Chapitre 66 - Jelly Mentalys

Les lourdes portes de pierre se refermèrent dans un grondement grave, coupant le dernier souffle d'air frais. Une obscurité lourde s'abattit aussitôt, bientôt percée par la lueur pâle de cristaux spirituels incrustés dans les parois. Feng Lin plissa les yeux, évaluant rapidement les lieux : un couloir de pierre aux parois humides, plusieurs embranchements à quelques mètres, et ce silence… anormal.

La voix du Maître d'Épreuve résonna dans l'espace comme un murmure glacial :

« Ce labyrinthe est un terrain d'éveil, ou un tombeau. En son sein, vous croiserez les Yingmo, des aberrations nées de la corruption d'anciennes bêtes spirituelles. Elles sentent la peur. Elles sentent le sang. Bonne chance. »

Puis, plus rien.

Feng Lin tourna la tête. La jeune femme — toujours sans nom — le regardait, tendue. Il capta une vibration sourde dans le sol. Quelque chose approchait. Lentement. Grattement sec. Cliquetis. Respiration sifflante.

Ils se plaquèrent contre le mur alors qu'une créature glissa à l'intersection.

C'était grand… et déformé. Une carcasse de lézard géant, debout sur deux pattes, la peau couverte d'écailles noires et de veines violettes, avec une gueule béante fendue jusqu'aux oreilles, laissant s'échapper une langue bifide d'un mètre de long. Ses yeux étaient vides, sans pupilles, comme s'ils voyaient… autrement.

Feng Lin comprit en une seconde : c'était l'odeur. La créature reniflait l'air à chaque mouvement. Pas un chasseur. Un charognard hyper-sensible. Un traqueur nécrophage.

Derrière elle, deux autres suivirent, rampant presque sur les murs. Leurs membres griffus raclaient la pierre, émettant un son aussi désagréable qu'une lame sur du verre.

« Yingmo... » souffla la fille. « Ces trucs sont attirés par les blessures et les émotions fortes. »

« Alors ne saigne pas, et ne pense à rien. »

Ils attendirent, immobiles. Les créatures passèrent sans s'arrêter, s'enfonçant dans un couloir à gauche. Puis, un cri au loin. Des os qui craquent. Une odeur de fer. Les Yingmo venaient de trouver une autre proie.

Ils reprirent leur marche, silencieux, traversant une série de couloirs piégés — certains dallés de glyphes invisibles qui s'activaient au contact, d'autres couverts de spores violets qui dissolvaient lentement la chair. Une seule erreur transformait un candidat en appât.

Dans une salle plus vaste, ils tombèrent sur deux autres survivants, visiblement jeunes, épuisés. Mais avant que Feng Lin n'ouvre la bouche, le plafond se mit à vibrer.

Une créature tomba du plafond.

Enorme, translucide, une sorte de méduse aérienne, flottant dans l'air comme un esprit vengeur. Ses tentacules clignotaient avec des impulsions lumineuses étranges — chaque flash déclenchant une panique incontrôlable dans l'esprit des deux jeunes. Ils hurlèrent. Se ruèrent vers les murs. L'un se fracassa le crâne contre une dalle. L'autre fut attrapé.

Feng Lin bondit, tirant la fille hors de portée. Il planta une lame chargée d'énergie dans la « tête » de la bête. Elle convulsa, puis explosa en une pluie de liquide visqueux qui brûlait les vêtements.

« C'était quoi ça ?! » cracha la fille, haletante.

« Une Jelly Mentalis... espèce manipulatrice des émotions. »

Elle le regarda avec suspicion. « T'as l'air de savoir beaucoup de choses pour un candidat. »

Il ne répondit pas.

Feng Lin haussa les épaules, le visage fermé. « J'ai lu quelques livres sur les créatures spirituelles avant de venir. »

C'était faux, bien sûr.

Cette chose — cette Jelly Mentalis — n'existait dans aucun bestiaire connu. C'était une invention. Une de ses créations, autrefois, dans sa vie passée. Un monstre forgé dans les entrailles d'un laboratoire secret, conçu pour infiltrer les esprits et manipuler les émotions d'un bataillon entier avant même le premier coup de sabre.

Il ne savait pas comment elle avait fini ici. Qui avait mis la main sur ses vieilles notes, ou réanimé ses cauchemars biologiques. Mais il le sentait : cette secte cachait quelque chose. Quelqu'un fouillait dans les ruines de son ancienne puissance.

Il se détourna sans un mot. Il n'avait pas peur. Mais il se méfiait. Et surtout, il devait découvrir si d'autres de ses œuvres perdues rôdaient dans l'ombre de ce labyrinthe.

Mais en réalité, ce n'était pas elle qui lui tordait l'estomac.

Il y avait un autre souvenir, bien plus tenace. Un visage. Un rire. Un regard. Quelqu'un qui, autrefois, avait marché à ses côtés… avant de devenir autre chose. Quelqu'un qu'il avait appelé frère. Ou peut-être ami. C'est flou maintenant.

Il aurait adoré cet endroit. Il aurait ri en voyant les autres se faire dévorer vivants. Il aurait applaudi le Maître d'Épreuve.

Feng Lin serra les poings.

Mieux vaut ne pas y penser.

Pas maintenant. Pas ici.

Finalement, la fille prit la parole, brisant la tension.

« Tu ne parles jamais beaucoup, hein ? » dit-elle d'un ton un peu moqueur. « C'est une bonne stratégie pour passer inaperçu ? »

Feng Lin la regarda brièvement, un léger sourire en coin. « Pourquoi parler ? Tant que j'avance, tout va bien. »

Elle haussait les épaules. « T'as pas tort, mais parfois, c'est bien de savoir à qui tu fais face. Un peu plus de paroles, ça pourrait aider à te comprendre. »

Il secoua la tête, l'air de celui qui savait bien mieux que de jouer à ce genre de jeu. « Et pourquoi ça m'intéresserait de me faire comprendre ? Ce qui compte, c'est d'être plus rapide que les autres. »

Elle le regarda, intriguée. « T'as un plan, ou tu fonces juste dans le tas ? »

Feng Lin n'eut pas besoin de réfléchir. « Si tu sais où tu vas, tu n'as pas besoin de plan. »

Elle éclata de rire, sans bruit. « Voilà qui explique beaucoup de choses. Tu crois que ce labyrinthe est juste une promenade, ou tu penses vraiment que c'est aussi simple ? »

Feng Lin haussait les sourcils, son ton sec et tranquille. « Simple, non. Mais je préfère avancer sans trop penser à ce qui pourrait mal tourner. »

Elle le fixa un instant, les yeux un peu plus perçants, comme si elle avait détecté quelque chose derrière ses mots. « Et si tu te trompais ? »

Feng Lin n'eut pas de réponse immédiate. Après quelques secondes de silence, il murmura presque pour lui-même, « Alors je m'adapte. »

Elle haussait les sourcils, souriant doucement. « Pas de regrets, hein ? »

Feng Lin se tourna légèrement vers elle. « Pas le temps pour ça. »

Elle sembla réfléchir à ses mots avant de se détourner à son tour, plongeant son regard dans les ombres autour d'eux. « C'est une manière de voir les choses, je suppose. »