chapitre 3

« C'est ici, Monsieur, nous y sommes », notifia le chauffeur à Sora, qui lui avait initialement indiqué l'adresse où ils se rendaient : l'entreprise sénégalaise Teranga Trade.

Sora paya la somme convenue et descendit du taxi en même temps que Yui.

En franchissant les portes vitrées de l'entreprise, ils furent abasourdis par un bourdonnement d'activité. Le hall d'entrée était vaste et lumineux, baigné d'une lumière naturelle qui se reflétait sur les surfaces polies des comptoirs d'accueil en marbre blanc. Des éclats de voix s'élevaient au-dessus du cliquetis régulier des claviers, tandis que des employés pressés zigzaguaient entre les visiteurs avec une efficacité calculée. L'air était imprégné d'un mélange de café fraîchement moulu et de l'odeur métallique de la technologie neuve.

Le couple, évitant tant bien que mal un télescopage avec des agents distraits par leurs occupations, parvint au petit bureau de l'assistante de direction.

« Bonjour, nous venons pour une réunion avec votre patron, M. Isaac », dit Sora.

L'assistante tendit l'oreille attentivement, comme pour assimiler chaque mot sorti de sa bouche.

« D'accord. C'est de la part de qui ? »

« Sasuke & Co. », répondit Sora avec un peu d'agacement.

« Un instant. »

L'assistante passa le combiné sur son oreille droite et hocha la tête en réponse aux paroles de son patron à l'autre bout du fil. Elle raccrocha ensuite et s'intéressa enfin aux deux visiteurs.

« Il dit qu'il vous a donné rendez-vous demain à 12 h. Il est d'ailleurs présentement en réunion, ce qui veut dire... »

« À quelle heure termine-t-il ? », la coupa-t-il.

La concernée vérifia sa montre et déclara : « À 12 h. Vous pouvez patienter si vous le souhaitez. »

Sora accepta à contrecœur la suggestion de l'assistante, ne voulant pas repartir bredouille et avoir l'air stupide.

Yui et lui allèrent s'asseoir sur les sièges d'attente.

« On devrait rentrer et revenir demain. C'est mieux », proposa Yui.

« Tu ne comprends pas. Je ne veux pas que cette affaire nous prenne inutilement du temps », grince Sora entre ses dents. « Finissons-en et retournons chez nous pour pouvoir passer de vraies vacances et, pourquoi pas, nous marier ! »

Yui tiqua à l'énonciation du terme "mariage". Ce n'était pas qu'elle ne le voulait pas, mais elle avait peur d'être plus une esclave, une acquisition qu'une épouse, en se liant à Sora.

« Tu exagères quand même. Moi, au contraire, je serais ravie d'en savoir plus sur le Sénégal. C'est un pays charmant, je trouve », soutint-elle.

« Rien ne te dérange jamais, toi. » Sora secoua la tête et soupira de dépit. « Pourquoi j'ai l'impression que je suis le seul à être pressé pour notre mariage ? » ajouta-t-il en lançant un regard suspicieux à Yui.

Elle déglutit et se mit à fixer la pointe de ses escarpins.

« Est-ce que tu m'aimes vraiment ? », l'interrogea-t-il tout en la lorgnant.

Un silence de plomb s'installa.

« Tu as perdu ta langue ? »

Là, il lui saisit le menton et l'obligea à le regarder en face.

Yui avait des sueurs froides. Ses dents craquaient, sa bouche entrouverte. Elle était incapable de s'exprimer clairement. « Euh... Je... »

« Monsieur, Madame de Sasuke & Co., le patron vient de finir sa réunion », retentit la voix de l'assistante, interrompant net la discussion tendue du couple.

Sora bondit de son siège et se dirigea prestement vers le bureau de direction, Yui lui collant aux basques.

« Où est-il ? », demanda-t-il, titillé.

« Venez, je vais vous conduire à la salle de réunion où il devrait être en ce moment », dit l'assistante en ouvrant la marche. Sora et Yui la talonnèrent.

Les trois, en file indienne, montèrent les escaliers puis prirent un ascenseur avant d'accéder à une grande salle aux larges vitres en verre.

L'assistante toqua à la porte pour se signaler et dit à ses compagnons d'entrer.

Sora ne se fit pas prier.

À l'intérieur, ils trouvèrent le boss en train de serrer la main à des messieurs qui s'apprêtaient à prendre congé.

« Ça a été un plaisir. À bientôt. »

« Oui, à bientôt. »

Ce fut la dernière interaction entre le patron et un vieux tout rond, portant de grosses lunettes.

En tournant les talons, il salua Sora et Yui. Celle-ci lui rendit son salut en s'inclinant légèrement, mais Sora, trop pressé, fonça à la rencontre de M. Ndecky.

Ce dernier était penché sur une table, à arranger des papiers.

« Bonjour », l'apostropha Sora.

Il se redressa lentement, un sourire franc aux lèvres.

« Bonjour, M. Sora. Comment allez-vous ? Et votre fiancée, elle va bien ? »

« Oui, tout va bien, merci. »

« En quoi puis-je vous aider ? »

« Vous ne savez vraiment pas ? »

M. Ndecky cligna des yeux et s'étonna tout bas :

« On avait un rendez-vous aujourd'hui ? »

« Pas vraiment. C'est pour demain, mais ça ne doit pas poser de problème qu'on le fasse maintenant. »

« Là, ça ne pourra pas être possible. Je dois me rendre à une cérémonie familiale. »

« Et ça ne peut pas attendre ? Je veux dire, signer les accords est plus important que tout ce que vous pourriez faire d'autre. Collaborer avec notre entreprise est un véritable prestige pour la vôtre. »

« Écoutez, j'ai été très clair au sujet des horaires. Je ne peux pas renoncer à mes obligations familiales pour un simple accord. Revenez demain, à 12 h, et on en parlera plus posément. »

« En gros, vous nous renvoyez alors que nous nous sommes donné tout ce mal pour venir jusqu'ici. C'est comme ça que vous traitez les gens ? »

« Il n'y a pas lieu d'en faire toute une histoire, M. Sora... »

« Vous laissez passer une occasion en or de travailler avec nous pour un ridicule... »

« Excusez-moi », le coupa M. Ndecky. « Vous ne me faites aucune faveur. Cette collaboration me sera autant profitable qu'à vous, donc arrêtez avec vos prétentions orgueilleuses. J'en ai vu des types comme vous, et aucun d'entre eux n'a pu prévaloir une quelconque autorité sur moi. »

Sora fulmina, les poings serrés. « Si je franchis cette porte, soyez certain de ne plus me revoir dans vos locaux. Vous pouvez dire adieu aux contrats. »

M. Ndecky, avec un sourire goguenard, défia sans broncher son interlocuteur.

« Je ne vous retiendrai pas non plus. Après tout, c'est votre choix. »

Le jeune Nippon, les os de la mâchoire saillants de rage, se traça un chemin direct vers la sortie. Yui, qui était restée à l'écart, tenta de le retenir en lui tenant la main.

« Sora, attends ! »

Sora ne l'écouta pas. Il la repoussa brutalement et poursuivit sa route.

Yui ne tarda pas à s'affaisser au sol, totalement chamboulée...