Plonger dans le passé

Je me retrouvais finalement seul avec Sarah, nous progressions dans un silence presque anormal, brisé par moments par des bruits de pas de l'autre équipe.

Notre premier objectif était l'accueil. Je me positionnais au niveau de la porte, poignée en main, tandis que Sarah se mettait en position de tir. Je poussais lentement la poignée, et la porte s'ouvrit, non verrouillée.

Sarah rentrait au rythme de l'ouverture de la porte et balayait la pièce avec sa lampe torche.

— RAS.

La salle était composée de bureaux alignés au niveau du mur vitré, et des casiers étaient superposés le long du mur du fond, un immense tableau en liège où divers documents y étaient accrochés.

Les bureaux étaient recouverts d'une multitude de papiers, recouvrant en partie les claviers et souris des ordinateurs.

Je fouillais rapidement les casiers puis me retournais vers Sarah.

— Bon, il n'y a rien ici, on peut… 

Sarah était face au tableau, la main posée contre un document qu'elle caressait doucement.

Je pouvais vaguement apercevoir des photos de visages d'enfants entre ses doigts qui défilaient légèrement, recouvrant un à un chacun des visages.

Je m'approchais à son niveau, son regard était froid, malgré la finesse de ses mouvements ses muscles étaient tendus, ses yeux bleus étaient profonds comme l'océan, et dans le tumulte de ses pensées, une seule goutte, une simple goutte s'échappait, s'écoulant le long de sa joue.

— Dis-moi Adrien, comment l'Homme peut-il en arriver là ?

Sa voix était lourde, presque assommante et c'était bien la première fois que je la voyais comme ça.

— La peur, je présume, l'Homme a toujours été effrayé par l'inconnu et cherché à le fuir ou l'éliminer…

— La peur, tu dis… je comprends. Je ne sais pas ce que je ferais face à l'une de mes plus grandes peurs.

Sarah enleva finalement sa main du document et fixa le visage des enfants.

— Mais dis-moi, à quel point le visage de ces enfants t'effraie-t-il ?

Malgré cette larme et la tension dans ses muscles, sa voix était d'un calme terrifiant. Je savais où elle voulait aller et surtout je savais qu'il n'existait en ce monde aucune bonne réponse.

— L'endoctrinement et la manipulation par la peur, rien de tel pour assujettir les plus faibles et avec les attaques d'une infime minorité des Éveillés surexploitée par les médias, le tour était joué.

— Chaque nuit, je le revois encore… son sourire, ses rires, il n'avait jamais fait de mal à qui que ce soit. Un matin je m'étais réveillé à cause d'un bruit sourd provenant de sa chambre, alors que je m'étais précipité pour voir ce qu'il se passait accompagné par mes parents eux aussi réveillés par le bruit, il était là, en plein milieu de sa chambre faisant léviter ses jouets, le bruit sourd provenait d'un de ces meubles qui était retourné, je ne l'avais jamais vu si heureux…

Son poing se fermait ; ses ongles, pourtant soigneusement coupés, s'enfoncèrent profondément dans sa chair, laissant s'écouler un filet de sang.

— Comment tu lui expliques, lorsqu'en pleurs il te demande pourquoi il n'a pas le droit d'utiliser son pouvoir, parce que lui il veut juste l'utiliser pour jouer avec ses copains et il fera très attention.

L'unique larme était désormais rejointe par un torrent d'émotions, elle se mit à trembler tandis que son sang s'écrasait sur le sol goutte par goutte depuis son poing.

— Nous avions décidé de le garder à la maison un maximum de temps en disant qu'il était malade, mais cela avait ses limites et il fallait bien qu'il retourne à l'école un jour ou l'autre… Il était si content de retrouver ses amis, et tu sais quoi ? Il a tenu. Il a tenu du mieux qu'il a pu. Mais tu vois, un jour, alors qu'il rentrait de l'école avec une amie, un connard a décidé de venir foutre la merde. Un putain de connard n'a rien trouvé de mieux que de venir les agresser, et alors qu'il commençait à devenir violent, il l'a envoyé voler contre un mur utilisant sa magie, devant les quelques passants probablement trop occupés pour venir voir ce qu'il se passait plus tôt. À ton avis, aux yeux de tous, qui était le monstre, ce détraquer ou un enfant de huit ans ayant utilisé la magie pour se sauver, lui et son amie. Parce qu'il maîtrise la magie, n'avait-il lui aussi pas le droit d'avoir peur ?

Ses jambes cédèrent. Je la rattrapai de justesse et l'attirai contre moi. 

Je comprenais…

Trop bien.

Moi aussi, j'ai bien trop de questions, et trop peu de réponses…

— C'est pour ça qu'on est là, pour un avenir, et c'est pour ça que l'on doit impérativement protéger la gamine pour qu'elle ne retombe pas entre les mains de ces enfoirés !

Je me redressais tout en l'aidant à se tenir droite.

— La mission n'est pas finie. On doit continuer, se battre… et leur faire payer leurs péchés.

Sarah reprenait ses esprits, essuyait ses larmes, puis reprenait son arme en main.

— Tu as raison, nous devons sauver ceux qui peuvent encore l'être et les faire payer.

Nous reprenions finalement notre exploration du rez-de-chaussée. Sarah avait déjà bien repris ses esprits et semblait même plus calme et assurée dans ses déplacements, elle ne paniquait plus au moindre craquement ou bruit provenant de l'équipe de Gabriel et Élodie au-dessus de nous.

Le reste du rez-de-chaussée était composé de salles de classe respectant une mise en place similaire de l'une par rapport à l'autre, seule l'une d'entre elles se différenciait par les instruments qui la composaient, et de la mousse insonorisante qui recouvrait les murs. La salle aurait été idéale pour passer la nuit… mais les mousses, rongées par l'humidité, plongeaient toute la pièce dans une odeur de moisi.

Après presque une heure d'exploration, le groupe de Sarah et Gabriel redescendait afin de nous rejoindre.

— Alors tout va bien ? Questionnais Gabriel

Je jetais un regard discret vers Sarah.

— Tout va bien, et vous ?

— Il y a une bibliothèque qui occupe une bonne partie de l'étage mais surtout un dortoir avec des lits et des rideaux encore en relativement bon état. répondit Élodie.

Gabriel se tournait, observant à gauche puis à droite.

— Bastien n'est toujours pas revenu ?

— Non, toujours pas, et ça devient inquiétant.

Gabriel se tournait vers Élodie. 

C'est à cette occasion que je remarquai que le poids de la petite commençait à se faire sentir, cela faisait maintenant pas mal de temps qu'Élodie la portait sur son dos. Et ça, il l'avait aussi remarqué.

— Bon, je vais partir à sa recherche voir si tout va bien. Proposa Gabriel

— Très bien, pendant ce temps nous allons préparer la salle où nous allons passer la nuit, cela nous permettra de mettre la petite au lit…

Alors que je terminais ma phrase, quelque chose m'intriguait, alors que j'étais tourné en direction d'Élodie, j'aurais juré avoir vu la petite ouvrir les yeux et les refermer instantanément.

— Quelque chose ne va pas ? Interrogea Élodie

— Non rien du tout, allez on s'y met, histoire de dormir un peu avant de reprendre la route demain !

Gabriel se mit en route vers les bâtiments à l'extérieur à la recherche de Bastien et Élodie nous guida à l'étage jusqu'à la salle des dortoirs.

J'étais persuadé que la petite était réveillée, mais si j'avais été à sa place j'aurais probablement fait la même chose, je me contentais donc de la garder d'un coin de l'œil au cas où sans rien dire.

La salle était en effet un plutôt grand dortoir avec une dizaine de lits alignés de chaque côté du mur, avec de grands rideaux couvrant les fenêtres donnant sur la petite cour intérieure de l'entrée principale.

Élodie déposait la petite dans un lit, la recouvrant délicatement d'une couverture. Sarah fermait l'intégralité des rideaux, et je m'occupais de faire un peu de place pour que l'on puisse facilement circuler en cas de problème.

Après presque vingt minutes d'attente, la porte du dortoir s'ouvrit.