Seuls, face aux responsabilités

J’avais retrouvé ma chambre, plongée dans l’obscurité comme à son habitude.

Je fixais le plafond où se dessinaient diverses formes créées par les rayons du soleil reflétés par le sol carrelé du couloir.

Je les regardais parcourir la pièce, changeant de forme au gré des nuages survolant le quartier général.

Aurais-je dû mieux réagir ?

Sûrement, au fond de moi je savais qu’elle ne pensait pas à mal.

Ces propos étaient plus maladroits qu’outrageux, cependant le simple fait de revoir leur corps sur un lit d’hôpital me tiraillait.

Une seule vraie question occupait mon esprit.

À qui revient la faute ?

Si je connaissais le contenu de la cargaison, est-ce que cela aurait changé quelque chose ?

Dans la précipitation, nous n'aurions pas eu le temps de lui enlever son collier, donc nous aurions dû évacuer sans nous diriger vers le quartier général.

Ce qui revenait au même résultat.

Non c’était Élodie qui avait raison, si Sarah était restée avec nous elle ne serait pas dans cet état-là, et avec Bastien de bien plus expérimenté, Gabriel s’en serait mieux sorti.

Au final, le seul problème… c’était moi.

Alors que mon esprit vaguait entre remords et colère, un visage familier passa sous les rideaux de fer presque entièrement fermés donnant sur le couloir.

De longs cheveux blonds soigneusement brossés, un regard bleu azuré et une légère odeur de rose.

— Bonjour ! Laissa échapper la jeune fille alors qu’Élodie se fraya avec plus de peine un passage sous le rideau métallique.

Je me tournai vers elles sans un mot, je ne savais pas quoi leur dire, devrais-je m’excuser, devrais-je lui dire qu’elle avait raison et que je ne mérite pas ma place.

Alors que j’entrouvrais la bouche tentant de laisser échapper un premier son, Élodie s’était déjà avancée des quelques mètres qui la séparait de mon lit.

Elle s’asseyait au pied de celui-ci, fixant à son tour le plafond avant de laisser s’échapper un long soupir.

— Eh bien, pas facile ces derniers temps.

Un autre silence s’installa alors que je me redressais afin de m’asseoir sur le lit.

— Je… je suis…

Élodie se retournait brusquement vers moi, ses yeux brillants malgré l’obscurité de la pièce.

— Je t’interdis de t’excuser ! Tu n’as pas le droit ! Pas le droit de prendre la responsabilité de ce qui s’est passé.

Ces yeux brillaient encore plus mais aucune larme ne s’écoulait, je pouvais ressentir toute sa colère dans sa voix. Pas contre moi, contre la vie, ce monde…

D’une légèreté semblable à une légère brise, elle se laissa glisser, posant sa tête délicatement sur mes genoux.

— En réalité, c’est moi qui suis désolé. Les responsabilités m'ont toujours effrayé, penser que chacune de mes décisions pouvait bouleverser la vie de ceux qui m'entouraient me terrifiait. Quand tu as pris le poste de chef de section, j’avais beau faire genre que cela me déprimait et que j’étais déçu de cette rétrogradation, en réalité, j’étais soulagé.

Elle se crispait, je pouvais ressentir chacune des pulsions de son cœur générant une onde de choc se répercutant dans tout son corps.

— J’ai fui… fui mes responsabilités plutôt que de les affronter. J’ai préféré te laisser seul avec ce fardeau au beau milieu de cette tempête.

Son corps se tourna, sa tête s’enfonçant contre mon ventre, s’écrasant dans mon T-shirt comme pour tenter de s’y cacher.

Ses doigts s’agrippaient fermement à la couverture, la serrant de toutes ses forces.

— Je suis tellement désolé !

Alors qu’elle tremblait et que je pouvais sentir ses larmes pénétrer le tissu, je posais une main sur son épaule, l’autre sur sa tête, la caressant délicatement, parcourant ses cheveux.

— Tu n’as pas non plus à t’excuser, on ne m’a pas imposé ce rôle, on me l’a proposé, et j’ai accepté. Tu n’as pas fui, la preuve, tu es toujours là dans l’unité et ce malgré les réticences de ta mère. Tu es plus forte et courageuse que tu le penses.

Ne comprenant pas réellement ce qu’il se passait, Jasmine s’était rapprochée du lit et se couchait auprès d’Élodie. Je ne l’avais pas remarquée plus tôt mais ses yeux étaient imbibés de larmes pleurant comme par procuration, voyant le désarroi de celle qui veillait sur elle ces derniers jours.

Les heures défilaient, mais le temps semblait comme figé, personne ne disait le moindre mot ou ne faisait le moindre geste, c’était… paisible.

Jasmine avait fini par s’endormir contre Élodie qu’elle enlaçait d’une main, comme pour l’empêcher de tomber du lit.

Moi, je restais immobile, les jambes engourdies par le temps. Je maintenais ma position afin de ne pas troubler le calme qu’Élodie retrouvait peu à peu.

Je continuai de parcourir ses cheveux inconsciemment, alors que je contemplais ce moment de calme.

Et comme toujours, ce moment figé dans le temps ne dura pas assez longtemps.

Des dizaines de bruits de pas faisaient écho dans le bâtiment tandis qu’une paire de jambes s’arrêta au niveau du rideau métallique.

Il s’arrêta le temps d’une seconde, puis frappa trois fois contre le métal.

Une voix féminine s’éleva, rompant de nouveau le silence.

— Un grand repas aura lieu dans moins d’une heure, rassemblant toutes les unités avant l’opération de demain, la chef m’a demandé de te prévenir. Elle a dit… elle a dit qu’elle serait bien venue en personne mais elle ne voulait pas que tu le prennes mal donc… donc elle m’a chargé de te le dire… Je ne sais pas ce qu’il s’est passé entre vous mais elle semblait très… triste. Bon… je te laisse.

Je laissai échapper un vague “OK” tout en soupirant.

Élodie se retournait, prêtant une grande attention à ne surtout pas réveiller Jasmine. Une fois la manœuvre effectuée avec brio, elle me regardait droit dans les yeux.

— Tu sais, ça m’a fait plaisir de rester ici quelque temps, ça m’a rappelé le bon vieux temps, avant l’arrivée des Éveillés.

Je ne pouvais m’empêcher d’esquisser un léger sourire.

— Le bon vieux temps, tu dis, voilà bien une phrase de cinquantenaire. Mais d’un autre côté j’ai l’impression que ces deux dernières années durent depuis mille ans.

Élodie se redressait puis approcha ses lèvres de l’oreille de Jasmine, lui chuchotant quelques mots inaudible, tout en lui caressant l’épaule, appuyant juste ce qu’il faut pour la réveiller.

Jasmine ouvrit finalement les yeux, ne réprimant pas un immense bâillement tout en tournant la tête, scannant son environnement.

— On est toujours dans la chambre d’Adrien, tu t’es endormie. chuchota Élodie

Elle saisissait la main de la petite, la guidant vers l’extérieur de la pièce.

— Bon, on se retrouve au repas !

— Ouais… au fait, sache que moi aussi ça m’a fait du bien ce petit moment, on remet ça quand tu veux.

Elle ne fit qu’un simple geste de la main en réponse, mais alors qu’elle passait la tête sous le rideau métallique, faisant attention à ne pas se cogner, j’avais pu apercevoir brièvement un grand sourire arborant son visage.

Afin de passer le temps jusqu’au repas, mais surtout parce que j’en avais besoin, je rassemblai quelques affaires propres, pris une serviette, un morceau de savon, puis me dirigeais vers les douches.

À ma grande surprise, je croisais Bastien sur le chemin, il discutait avec des membres d'autres unités. Alors qu’il m’aperçut, il se tournait vers moi s’écriant :

— Ah Adrien, du coup tu pars en opération sans moi ?

Je m’approchais afin d’éviter d’élever la voix au point de crier dans le couloir, puis répondis.

— Ouais, je pars demain au lever du jour, mais si tout se passe bien, on sera rentré dans le courant de la nuit.

— Vous partez à beaucoup, vous avez de la place pour moi ?

— Désolé, on part à trois véhicules et on est déjà complet, mais d’ailleurs tu ne te reposes pas chez toi ?

— Je passais prendre des nouvelles, voir Sarah et Gabriel. Mais je ne vais pas tarder à rentrer.

— Ah oui, je sais que je ne suis pas vraiment bien placé pour te faire la réflexion, mais prends le temps de te reposer, tu l’as bien mérité après toutes ces émotions.

— Ne t’en fais pas, va, j’ai pas mal dormi depuis qu’on est rentré mais je te promets d’être totalement opérationnelle pour notre prochaine mission !

Alors qu’il se retournait, reprenant sa conversation, je me dirigeais vers ma destination.

Les douches se trouvaient au dernier étage, sous une immense cuve se trouvant sur le toit. On avait percé un trou dans le plafond permettant de relier un tuyau d’arrosage de la cuve à la pièce juste en dessous.

Cette douche était réservée uniquement à ceux qui habitaient le bâtiment et une deuxième dans le même style se trouvait un peu plus loin.

Et aujourd’hui j’avais de la chance car elle était inoccupée.

Après une douche rapide mais terriblement bienvenue, je retournais déposer mes affaires dans ma chambre puis me dirigeais vers le réfectoire.

Lorsque je me retrouvais finalement au niveau de celui-ci, qui se trouvait être situé dans un ancien restaurant rapide. Plusieurs tables avaient été aménagées afin d’optimiser l’espace.

Il y avait déjà beaucoup de monde de présent, et il n’avait suffi que de quelques secondes après mon arrivée pour voir la silhouette d’Élodie et Jasmine se dessiner au fond du couloir.

— Bon, on va s’installer ? interrogea Élodie

Bien qu’employant l’interrogative, Élodie se déplaça en direction d’une petite table un peu à l’écart sans attendre ma réponse.

Chaque unité avait sa table assignée, cependant le chef de chacune d’entre elles était assis à une table surélevée au fond de la salle.

Lorsque Lumia arriva, le bruit ambiant s’apaisa instinctivement.

Elle circulait de table en table, et peut-être était simplement mon imagination, mais j’avais l’impression qu’elle essayait à tout prix de ne pas regarder dans la direction de notre table.

Finalement, elle arriva au niveau de la table du fond et s’essaya sur la chaise située au centre de celle-ci.

Cette fois-ci ce n’était pas la dernière arrivée, cependant les quelques retardataires, dont le chef de la section de recherche, arrivèrent en trombe dans la salle, s’excusant pour leur retard avant de partir s’installer.

Alors que tout le monde était finalement présent, Lumia se leva, faisant tintiller son verre.