Départ pour le conseil

La nuit s’était déroulée dans le calme, les premiers bruits de pas et chuchotements retentissaient depuis le couloir.

Blotties l’une contre l’autre, étendues sur le matelas posé au sol, se trouvaient Élodie et Jasmine. Leurs souffles étaient lents, chacune semblant être apaisée par la présence de l’autre.

Je me levai, discrètement, planifiant soigneusement mon trajet dans la pièce afin de faire le moins de bruit possible.

Je contournais les diverses affaires posées sur le sol, me dirigeais en direction de la chaise où se trouvaient mes vêtements pour la journée, puis passai sous le rideau métallique, me baissant au maximum afin d’éviter de faire du bruit.

Le couloir était vide le soleil encore bien bas dans le ciel ne donnait toujours pas de signe de vie depuis la baie vitrée du plafond.

Je me dirigeais vers les vestiaires pour m’habiller, faisait un rapide détour vers ma chambre pour glisser furtivement mes affaires sales sous le rideau métallique puis me dirigeais vers le point de rendez-vous se trouvant au rez de chaussée près de l’entrée. 

Victor était le seul présent, une tasse de café à la main, une cigarette dans l’autre.

Je m’approchais, descendant les marches de l’ancien escalator jusqu’à arriver à son niveau.

— Premier arrivé, comme d’habitude, tu ne dors pas la nuit ?

— Je te retourne la question, tu as une heure d’avance toi aussi !

On esquissait chacun un léger ricanement tandis qu’il posait sa tasse sur un petit muret près de lui afin de me serrer la main.

— Je t’en sers un ? demanda-t-il, tournant le regard vers une vieille cafetière et une unique tasse vide.

— Volontiers.

Il déposait sa cigarette encore fumante dans un cendrier, puis faisait couler un café à l’apparence bien corsée dans la tasse.

— C’est drôle, mais j’ai comme l’impression que tu t’attendais à me voir.

Alors qu’il finissait de remplir la tasse et me la tendait, il esquissait un grand sourire.

— Tu sais comment ça se passe, à chaque opération commune on se retrouve tous les deux en avance à attendre ici. Les autres auraient probablement parié qu’avec ce que tu as vécu tu serais “juste à l’heure” ou “légèrement en retard” et personne ne t’en aurait tenu rigueur, mais j’étais persuadé de te voir débarquer ici en avance comme d’habitude.

— Tu me connais bien, en fait, ça en devient presque effrayant.

Alors qu’il reprenait sa tasse et sa cigarette, il regardait en direction de l’extérieur.

— Parfois, quand on te regarde, tu donnes l’impression de porter tout le poids de la faction sur tes épaules et sans jamais t’en plaindre, sans jamais faillir. J’ai l’impression de me voir à travers toi, cette étincelle dans ton regard, toujours prêt à se rendre sur le terrain avec la volonté de changer les choses.

Je restais de marbre face à ces louanges, d’un côté ça me faisait plaisir, d’un autre je savais que j’étais bien différent du portrait qu’il dépeignait.

Alors que des bruits de pas retentissaient au loin, Victor engloutissait sa tasse de café avant de se redresser.

— Bon, on dirait que tout le monde commence à arriver.

Il passa à mon niveau, posant sa main contre mon épaule gauche sans la moindre force.

— N’oublie pas ce que je t’ai dit, et surtout sache que tu n’es que le chef d’une unité parmi sept, tu peux te reposer sur nous de temps en temps.

Je terminais à mon tour mon café d’un seul trait, puis me dirigeais vers les autres.

Le chef de l’unité Écho ainsi que les premiers membres d’unité venaient d’arriver.

Je saluais un à un chaque arrivant, puis me trouvais une place tranquille, un peu à l’écart, attendant le début de l’opération.

Finalement, après une dizaine de minutes, tout le monde était présent, la chef de la faction toujours accompagnée de son assistante était suivie du chef de la garde ainsi que des chefs d’unité chargés de rester sur place pour assurer la protection du quartier général le temps de notre absence.

Certains membres faisaient des allers-retours entre le hall et les véhicules stationnés à l’extérieur portant d’immenses malles en métal remplie de matériel.

La plupart du matos avait été préparé la veille, rendant le processus beaucoup plus rapide.

Lorsque l’heure du départ approchait, Lumia rassemblait tout le monde alors que les membres de l’unité du Clair de Lune nous accompagnant nous avaient rejoints.

Lumia rappela l’itinéraire ainsi que la formation qui avait été adoptée, puis nous prenions finalement la direction des véhicules.

Alpha ouvrait le convoi tandis qu'Écho le fermait, laissant Lumia, deux membres de l’unité du Clair de Lune et moi-même dans le véhicule central.

Je montais à l’arrière à côté de Lumia évitant de croiser son regard, c’était peut-être immature, mais je n’avais pas encore digéré sa remarque de la veille, et donc tant que la situation ne l’exigeait pas je préférais ne pas lui donner d’attention.

Le convoi finissait par partir, nous quittions le parking du quartier général puis passions le poste de sécurité.

Nous traversions les rues désertes de la banlieue d’Eternalys, à cette heure, rares étaient les personnes se trouvant dans la rue et le peu qui s’y trouvaient se cachait probablement à l’entente du bruit des moteurs vrombissant au loin, de peur qu’il provienne des véhicules de True Human.

Il y avait bien quelques carcasses de voiture barrant certains axes secondaires, mais un simple message par la radio du véhicule de tête et nous contournions l’obstacle via des rues adjacentes.

Tout le monde était à l’affût, le regard scrutant l’horizon, le haut des immeubles, les ruelles sombres.

Dans ce paysage si statique, le moindre mouvement se détachait de la masse silencieuse, nous permettant de repérer même les rats profitant encore du calme matinal pour chercher de quoi manger, et cela malgré la vitesse du convoi.

Cependant, alors que nous approchions de la sortie d’Eternalys, le pire scénario nous faisait face.

Plusieurs carcasses de voitures, des poubelles retournées barraient la route sur plusieurs mètres et les ruelles adjacentes étaient bien trop étroites pour les emprunter avec nos véhicules.

Dans ce cas-là, il n'y avait qu’une seule procédure à suivre.

J’attrapais mon fusil d’assaut posé à mes pieds, ouvrais la portière et sortais.

Je n’étais pas le seul, le passager avant de notre véhicule sortit à son tour ainsi que deux membres de chaque voiture.

— En formation, Alpha vous prenez la droite, Écho la gauche, moi et…

— Dan.

— Dan et moi, on s’occupe de vérifier le passage en amont.

À ma grande surprise, sans la moindre hésitation ou objection, tout le monde s’exécuta, répondant d’un ton sérieux “Reçu”.

Je me dirigeais au bout du convoi, analysant l’horizon tout en faisant signe au véhicule qui fermait la marche d’enclencher la marche arrière.

Alors qu’il entamait sa remontée de la route, les premiers rapports d’escouades parvenaient.

— Ruelle droite, R.A.S. On enchaîne.

— Ruelle gauche, R.A.S.

Je continuais de surveiller l’horizon en jetant un rapide coup d’œil au niveau des toits des immeubles nous entourant.

Les mètres se décomptaient un à un, chaque ruelle scrupuleusement vérifiée. 

Après une vingtaine de minutes de remontée, le convoi arrivait finalement vers l’axe nous permettant de contourner l’obstacle.

Jetant un dernier rapide coup d’œil aux alentours, j’ordonnai :

— Bien, tout le monde remonte, il ne faut pas qu’on traîne ici éternellement.

Sans oublier de se couvrir mutuellement, tout le monde remontait sur son siège, permettant au convoi de repartir pour de bon.

La tension redescendait d’un cran, nous arrivions finalement au niveau de l’axe principal, nous permettant de quitter Eternalys. Dan et la conductrice du véhicule discutaient de tout et de rien tandis qu’à l’arrière nous restions dans un silence tendu.

Finalement, après presque deux heures de trajet depuis le quartier général, nous quittions finalement la ville, les immeubles de plusieurs dizaines de mètres de haut laissaient place à d’immenses plaines agricoles se trouvant à perte de vue. La plupart étaient abandonnées mais il paraissait qu’un groupe de survivants s’y était installé récemment.

Quelques minutes après avoir quitter la ville, Dan se tournait vers l’arrière du véhicule, regardant dans ma direction, le sourire aux lèvres.

— D’ailleurs je ne te l’ai pas encore dit, mais respect, il ne t’a pas fallu plus d’une seconde pour tout de suite réagir et prendre le commandement. Ce n'est jamais facile d’opérer dans ce genre de situation de stress.

Il semblait presque fasciné, me fixant du regard, attendant une réaction.

— Honnêtement, je n’ai rien fait d’extraordinaire, c’était à prévoir, faire tout le trajet sans se retrouver bloqué aurait relevé du miracle.

C’est alors que, sans comprendre pourquoi, Lumia se mit à pouffer de rire. Face à cette scène, Dan semblait se retenir de rigoler aussi.

— Ce qui est le plus surprenant chez toi, c’est que tu ne te rends même pas compte. affirma Lumia

Je ne savais pas trop quoi penser, y avait-il quelque chose qui devait m’interpeller ?

Dan laissa échapper un soupir répondant :

— Ta façon de voir les choses n’a rien d’habituelle, analyser les éventualités sur un plan dans un bureau est une chose, l’appliquer sur le terrain sans hésitation en est une autre.

— Victor aurait fait pareil, d’ailleurs il est resté dans le véhicule, si ce n’est pas la preuve que rien d’extraordinaire allait se passer.

— Si tu veux mon avis, si tu n’étais pas avec nous, il serait sorti, cependant il semble beaucoup attendre de toi. répondit Lumia

— Si vous le dites…

Alors que Lumia se redressait, reprenant un air plus sérieux, ou disons professionnel, elle se tournait vers moi.

— Le fait que tout cela soit naturel pour toi renforce l’idée que tu es la personne la plus disposée à diriger l’unité Delta et cela peu importe ce que tu en penses. Je regrette l’état dans lequel on a retrouvé Gabriel et Sarah.

Elle s’arrêtait, reprenant son souffle, détournait le regard, regardant au loin le paysage depuis sa fenêtre.

— Ici la seule responsable de leurs états… c’est moi.