Le poids du terrain

POINT DE VUE D’ADRIEN

Un silence total engouffrait la pièce, les flammes des bougies vacillaient comme si elle cherchait à se cacher de ce qui allait arriver.

Quelques veines apparaissaient subitement sur le visage du chef des Oubliés alors qu’il serrait les poings.

— Tu ne serais tout de même pas en train de m’accuser d’être à l’origine de ce qui leur est arrivé ?

Je laissai planer le silence avant de répondre, d’une voix la plus pausée possible.

— Toi, à l’origine de ce qui leur est arrivé ? Non. Non, car tu vois pour en être à l’origine, il faudrait que tu lèves ton cul de ton trône doré. La seule chose que vous savez faire chez les Oubliés, c’est rester dans votre quartier et prêter une attention toute particulière à ne surtout pas faire de vague.

Chaque mot que j’enchaînai faisait ressortir de plus en plus les nerfs de son visage.

— Bah oui, on ne sait jamais, si l’occasion se présentait de retourner au centre-ville, il ne faudrait pas froisser nos chers ex-dirigeants. Après tout, même les chiens le savent, on ne mord pas la main de celui qui nous nourrit !

C’était trop, il explosa la partie de la table face à lui d’un seul coup de poing, son assistant tellement surpris se retrouvait au sol trébuchant de sa chaise.

— Tu veux qu’on aille s’expliquer dehors, gamin. Je servais déjà la cité que tu n’étais même pas encore dans les couilles de ton père et tu veux jouer les durs ?

— Oh, tu servais la cité ? Celle qui t’a mis à la porte ? Celle qui massacre des innocents pour le plaisir ? Non, franchement, bravo ! Peut-être que l’on pourrait tous se lever et le féliciter, vous ne pensez pas ?

Je pouvais le voir dans ses yeux, à ce moment-là, il avait qu’une envie, m’écraser contre le premier truc qui venait, mais à la place il se tournait vers le chef du Dernier Cercle.

Voyant que tout cela dégénérait, il prit la parole.

— Adrien, je pense que tu vas un peu trop loin, les Oubliés ne rentrent pas beaucoup en conflit direct avec True Human, c’est vrai. Mais, sans leurs organisations et leurs productions de nourriture, beaucoup plus de gens mourraient de faim. Et je te rappelle que, s’il est parmi nous à l’extérieur, c’est parce qu’il a déserté, refusant de tuer des innocents.

Je le fixais, droit dans les yeux, puis finalement répondit, d’une voix plus relâcher.

— Il se permettait de mettre en doute nos informations comme si on cherchait à le piéger et je n’aurais pas le droit de mettre en doute un homme, donc sa faction a pour règle “pas d’Éveillées” à savoir la même règle que le gouvernement ? Me demandez-vous de ne pas réagir quand un homme renie notre opération ? Quand un homme doute de nos attentions après tous les sacrifices que l’on fait chaque jour ? Se lever chaque matin sans jamais être sûr que l’on recroisera nos camarades ?

L’homme, pris un instant, semblait chercher les mots justes, mais c’est Lumia qui intervenait en première d’un ton ferme.

— Adrien, ça suffit. Je pense que tu en as assez fait et assez dit.

Malgré son ton dur, lorsqu’elle me regardait, je ne ressentais aucune colère dans son regard, ni même dans sa gestuelle, en faites, il m’avait presque semblé la voir esquisser un sourire pendant une fraction de seconde.

Je me réinstallai au fond de ma chaise, sans un mot.

Cependant, bien que mon intervention avait surpris toute la pièce, ils n’étaient pas au bout de leurs surprises, car c’est le chef des Sangs-Divins qui se leva et prit la parole.

— Je suis venu avec une Éveillée ayant un pouvoir de soin, vous n’aurez qu’à partir avec elle à la fin du conseil, elle fera de son mieux.

Il s’arrêta un instant, tout le monde le regardant d’un air étrange.

— Disons que je fais cela pour prouver ma volonté et celle des Sangs-Divins de participer à cette coalition.

Personne n’en revenait, moi y compris. J’espérais secrètement avoir l’aide du Dernier Cercle, mais que les Sangs-Divins le proposent ne rentrait dans aucun de mes calculs.

Voulant briser à tout prit le silence presque malaisant, il enchaînait, se justifiant :

— Et puis, si ton unité est dans cet état, c’était pour sauver une Éveillée, ne pas vous aider serait contre nos principes.

Lumia se tournait vers lui, l’air solennel :

— Je te remercie ainsi que ta faction pour votre assistance.

Seb se levait, recadrant la conversation.

— Bien, voilà une bonne nouvelle, et au nom du Dernier Cercle, je te remercie aussi pour ton geste. Du coup, Nick pour notre opération conjointe ?

Je le fixais du coin de l’œil, je ne cherchais pas à observer discrètement son expression, non, bien au contraire j’espérais qu’il le remarque.

Il jetait un dernier coup d’œil sur le document, puis soupira.

— J’enverrais des hommes pour vous aidez dans l’opération, j’ai quelque ancien membre des forces spécial, ayant fait leurs carrières dans le renseignement.

— Et bien on dirait que notre conseil arrive à son terme, personnellement, je n’ai plus rien à ajouter, mis à part éventuellement définir un moyen de communication entre nous.

— Les Recycleurs peuvent s’en charger, livrer les informations par les égouts ne devrait pas poser de problème, vu que nous pouvons atteindre chaque faction en toute discrétion. Nous livrerons les messages, mais conduirons aussi les personnes souhaitant une entrevue en personne. proposa Edgard

— Parfait, le Dernier Cercle continuera de toute façon de sécuriser les environs pour vous faciliter la tâche. enchaînait Seb

Il attendait quelque seconde, fixant chaque autre chef de faction un à un, puis finalement concluait.

— Et bien vu que personne n’a quelque chose à rajouter, je déclare le Conseil des Cinq Gardiens officiellement terminé.

Le chef des Oubliés était le premier à se lever, accompagner de ses assistants il quitta la pièce après avoir serré la main des autres chefs sans exception.

Il était rapidement suivi par le Chef des Sangs-Divins, puis des Reclycleurs.

Je me levais en même temps que Lumia alors qu’elle se tournait vers moi et la membre du Clair de Lune toujours debout derrière nous.

— Vous pouvez remonter rejoindre les autres et préparer notre départ, j’arrive dans quelques minutes.

On s’exécuta tous les deux sans attendre.

De l’autre côté, les membres gardant la porte s’étaient tous installés autour d’une table. À première vue, ils semblaient s’être bien amusés pendant notre absence, disputant une partie de poker endiablée.

Élénora fut la première à se lever et à rejoindre les autres, tandis que Victor était assis derrière une immense pile de jetons me regardant d’un air satisfait.

— Je vois que tu t’es bien amusé. lachai-je un sourire en coin

— Ouais on va dire ça. répondit-il le sourire aux lèvres

Mais alors qu’il se levait pour nous rejoindre, un homme installé à la table l’interpella d’une voix grave.

— Toi ! Je n’en resterais pas là, tu n’as pas intérêt à t’enfuir, car la prochaine c’est moi qui gagnerai !

Victor ne prenait même pas la peine de se retourner, faisant un simple geste de la main.

— Oui, oui, n’hésite pas à repasser quand tu ressentiras à nouveau l’envie de goûter à la défaite.

Alors qu’il semblait presque énervé de la défaite, il éclata de rire répondant :

— Ouais, je n’y manquerais pas va !

Au niveau du couloir, malgré la capuche dissimulant toujours son visage, je pouvais voir Élénora se figer vers la table de jeu soupirant. Vu le nombre de jetons se trouvant à sa place, elle n’avait pas dû passer une bonne partie autour de cette table de fou furieux.

Finalement, elle demanda à tout le monde de la suivre, puis nous remontions tous à la surface.

J’avançais sans un mot accompagné de la membre du Clair de Lune, Victor accepta finalement de débriefer la partie avec son nouveau compagnon de jeu.

Cependant, la remonter était assez désagréable, tous ceux ayant participer à la réunion jetaient constamment un regard en arrière, dans ma direction, essentiellement les deux assistants de chaque chef n’ayant pas décroché un mot de la réunion, et ceux n’ayant pas participé faisaient de même, mais en se demandant qu’avais-je de spécial pour mériter autant d’attention.

Et, honnêtement, moi-même, je ne voyais pas la raison de tous ses regards. J’avais mis un coup de pied dans la fourmilière certes, mais bon, parfois, les choses doivent être dites et, finalement, ça s’était plutôt bien terminé.

Une fois de retour à l’air libre, les différentes factions se séparaient, rejoignant leurs véhicules.

Je me dirigeais vers la voiture retrouvant les autres membres nous accompagnant.

Les Oubliés ainsi que les Recycleurs quittèrent la zone tandis que j’attendais adossés à notre véhicule.

Après une bonne dizaine de minutes, les membres restants du Dernier Cercle et Lumia sortirent du souterrain.

À peine eut-elle le temps de faire quelques mètres, que le chef des Sangs-Divins l’interpella accompagné de la seule femme de son groupe.

Femme était un terme qu’y dans les circonstances actuelles pouvaient lui être appliqué, mais il y a de cela un peu plus d’un an, on l’aurait plutôt qualifié de jeune fille.

— Je te présente Amélie, malgré son jeune âge, ces pouvoirs de guérison sont inégalables au sein de notre faction. Je compte sur vous pour nous la ramener en toute sécurité une fois qu’elle aura rétabli vos compagnons.

Il marquait une courte pause, détournant le regard dans ma direction.

— Cependant, je préférerais être clair, ses pouvoirs sont puissants, mais pas sans limite, il se peut que, si leur état est trop grave, elle ne puisse rien faire…

Lumia esquissa un léger sourire, le premier du conseil, ce qui déstabilisa légèrement le chef des Sangs-Divins.

— Ne t’en fais pas, j’en suis consciente. Je te promets de te la ramener le plus rapidement possible et en toute sécurité.

— Et bien, sur ceux, nous allons y aller, à la prochaine.

Il serra la main de Lumia avant de partir en direction de son véhicule, tandis que l’Éveillée à ses côtés se rapprochait d’un pas timide.

— Bienvenue parmi nous, Amélie, sache qu’à partir de maintenant, tu es sous ma protection et je veillerais à ce que ton séjour parmi nous se passe bien.

Tous nos membres s’étaient réunis autour de nos véhicules, attendant le départ avec impatience.

— Bon, on décolle, direction le quartier général !