Chapitre 1

Chapitre 1

Le convoi avançait lentement sur la route de pierre menant au Palais Sans-Souci. Sous le soleil éclatant, les façades blanches de l'édifice brillaient, contrastant avec la végétation luxuriante qui l'entourait. Du haut des escaliers menant à la grande cour, des soldats en uniforme bleu et or montaient la garde, fusils en main, observant avec méfiance les nouveaux arrivants.

Parmi eux, Éliana Darcel, dix-huit ans, serrait contre elle un petit baluchon contenant ses maigres effets. Son cœur battait à tout rompre. Elle avait quitté Cap-Henri à l'aube pour répondre à l'appel du Palais, où la reine Marie-Louise recrutait de nouvelles servantes. Elle n'avait jamais mis les pieds ici et n'aurait jamais imaginé se retrouver un jour au service de la cour.

Une voix grave la fit sursauter.

- Nom ?

Un homme massif, vêtu d'un uniforme impeccable, tenait une liste entre les mains. Ses yeux perçants balayèrent les nouvelles recrues.

- Éliana Darcel, monsieur.

Il haussa un sourcil, puis cocha son nom sur le registre.

- Âge ?

- Dix-huit ans.

- Origine ?

- Cap-Henri

Il hocha la tête et passa à la suivante, laissant Éliana souffler discrètement. Elle ne s'était jamais sentie aussi insignifiante. Autour d'elle, les autres filles murmuraient entre elles, certaines excitées, d'autres terrorisées.

Un chariot chargé de provisions passa près d'elles, et une femme d'âge mûr, vêtue d'une robe de coton simple mais propre, s'approcha.

- Bienvenue à Sans-Souci. Je suis Madame Bisset, intendante en chef des servantes. Si vous êtes là, c'est que la reine a jugé bon de vous accorder une place au sein du palais. Mais ne vous y trompez pas : servir ici est un honneur, et un honneur que vous devez mériter.

Son regard sévère passa sur chacune d'elles avant de s'arrêter sur Éliana.

- Quelle est ton expérience ?

Éliana hésita.

- J'aidais ma tante à tenir une petite échoppe au marché.

Madame Bisset soupira.

- Et te voilà servante du roi. Espérons que tu saches faire autre chose que marchander des ignames.

Quelques rires fusèrent dans le groupe, mais Éliana garda la tête haute.

- Je suis travailleuse, madame. Vous ne serez pas déçue.

L'intendante eut un sourire en coin.

- C'est ce que nous verrons.

Elle fit signe aux nouvelles recrues de la suivre.

Elle avait entendu parler de ce palais grandiose, de ses colonnes majestueuses et de ses jardins luxuriants. Un château digne des plus grands rois d'Europe, bâti par un ancien esclave devenu monarque.

- Dépêchez-vous ! lança l' intendante en frappant des mains.

Éliana pressa le pas, le regard rivé sur l'immense façade du palais qui se dressait enfin devant elle. Son architecture imposante semblait défier le ciel, reflet du pouvoir absolu du roi Henri Christophe.

En pénétrant dans le palais, Éliana fut frappée par l'opulence des lieux. Le marbre froid sous ses pieds, les hauts plafonds sculptés, les lustres de cristal qui scintillaient... Jamais elle n'avait vu un tel luxe.

Les servantes expérimentées s'affairaient partout : certaines portaient des plateaux d'argent, d'autres astiquaient les immenses miroirs dorés. Une jeune femme s'approcha d'elles.

- Je suis Solène, je vais vous montrer vos quartiers.

Elles traversèrent plusieurs couloirs avant d'arriver à une grande pièce remplie de lits de bois alignés.

- C'est ici que vous dormirez. Rangez vos affaires et mettez-vous au travail. Le roi n'aime pas voir des domestiques oisives.

Le roi.

Ce simple mot suffit à faire frissonner Éliana. Elle n'avait encore jamais vu Henri Christophe, mais on racontait qu'il était un homme impressionnant, sévère et redoutable.

Elle chassa cette pensée et posa son baluchon sur un lit libre. À cet instant, une voix moqueuse s'éleva derrière elle.

- Alors, la petite nouvelle, prête à servir comme il se doit ?

Éliana se retourna et tomba sur une jeune femme aux traits fins, mais au regard perçant.

- Je m'appelle Anabelle. Elle croisa les bras. Si tu veux survivre ici, retiens trois choses : ne pose pas trop de questions, ne cherche pas à attirer l'attention et surtout, ne croise jamais le regard du roi.

Éliana fronça les sourcils.

- Pourquoi ?

Anabelle sourit en coin.

- Parce que si tu l'attires, c'est fini pour toi.

__ Pourquoi est-ce que vous pensez que je vais l'attirer ? Je ne suis qu'une servante !

__ Tu es exactement le type de jeune femme qu'il aime.

Les paroles d'Anabelle résonnèrent en Éliana alors qu'elle et les autres nouvelles servantes furent alignées dans la grande cour. L'intendante, Madame Bisset, prit la parole d'un ton sec :

- Ici, vous ne faites plus partie du peuple. Vous servez Sa Majesté, la reine Marie-Louise et la cour. Obéissance et discrétion sont de rigueur. La moindre erreur peut coûter cher.

Éliana baissa la tête, consciente du poids de ces paroles. Elle avait entendu des rumeurs sur la discipline stricte imposée au palais. Certains parlaient même de châtiments exemplaires infligés par le roi lui-même.

Un murmure courut parmi les servantes lorsqu'un groupe de soldats passa près d'elles. Ils portaient fièrement leurs uniformes, sabres au flanc, incarnant la puissance militaire du royaume.

- C'est la Garde Royale, souffla une jeune fille à côté d'Éliana.

- Ils protègent le roi ? demanda Éliana à voix basse.

- Oui... et ils exécutent aussi ses ordres.

Un frisson lui parcourut l'échine. Qui était vraiment Henri Christophe ? Un héros ou un tyran ? Un roi juste ou impitoyable ?

Elle n'aurait sans doute jamais la réponse. Après tout, elle n'était qu'une simple servante.

Le soleil s'était désormais abaissé, enveloppant le Palais Sans-Souci d'une lueur dorée et irréelle. Éliana, la poitrine serrée par l'immensité de l'endroit, suivait les autres jeunes servantes à travers les couloirs du palais. Les murs étaient ornés de fresques complexes et de statues imposantes, rappelant sans cesse la grandeur et la gloire de ce royaume dirigé par un homme qui, à la fois, faisait trembler le monde extérieur et fascinait les plus proches.

Les portes du Grand Hall s'ouvrirent devant elles, et Éliana se faufila à l'intérieur, le regard curieux mais respectueux. Là, des domestiques s'affairaient à préparer la salle pour le dîner royal. Des centaines de chandeliers en argent scintillaient sur de longues tables en bois massif, et l'air était empli des arômes d'épices et de plats raffinés. Le luxe était palpable, écrasant.

- Tu vas t'habituer, dit une voix près d'elle. Une femme, plus âgée, la regardait d'un air compatissant. C'était Madame Fleury, une servante expérimentée. Elle tendit à Éliana un plateau de porcelaine blanche. - Ce n'est pas comme la vie dans les rues de la ville, mais il y a une certaine beauté dans l'ordre de ce lieu. Apprends vite, et tu trouveras ton rythme.

Éliana hocha la tête, le regard toujours émerveillé par la splendeur qui l'entourait. Mais, au-delà de la beauté du lieu, une autre pensée l'assaillait : le roi Henri Christophe, l'homme qui régnait sur cet empire, qui avait fait de ce palais un symbole de puissance. Elle n'en savait que peu de choses, à part les rumeurs qui circulaient dans la ville.

Certains le dépeignaient comme un tyran impitoyable, d'autres comme un homme visionnaire qui avait fondé une nation forte, libérée de l'oppression coloniale. La plupart le respectaient, mais d'autres murmuraient qu'il portait en lui les cicatrices de son passé d'esclave et qu'il en avait fait une forteresse. Elle en avait entendu parler, certes, mais il était difficile de juger un homme qu'elle n'avait jamais rencontré.

Au détour d'un couloir, un cri lointain se fit entendre, accompagné d'un claquement sec. Éliana se figea, effrayée.

- Ne t'en fais pas, c'est juste un petit rappel à l'ordre, dit Madame Fleury d'un ton calme, mais ferme. - Ici, la discipline est essentielle. Le roi ne tolère pas l'inaction.

Un frisson parcourut la jeune femme. L'ordre absolu régnait au palais. Et pourtant, quelque chose dans l'air lui semblait étrange, presque mystérieux. Quelque chose qui ne se contentait pas d'être figé dans l'autorité, mais qui semblait aussi secret.

Elle s'arrêta un instant dans le couloir, observant la lumière tamisée des torches qui tremblaient dans l'obscurité. Tout à coup, un bruit de pas résonna dans le silence. Un pas lourd, mais assuré. Éliana tourna la tête. Là, devant elle, dans l'ombre, se tenait une silhouette imposante. Elle ne pouvait qu'entrevoir les traits d'un homme, mais une présence presque palpable émanait de lui.

Ce n'était pas l'un des officiers, ni l'un des nobles. C'était lui. Henri Christophe.

Il se tenait là, son regard perçant balayait la pièce avant de se poser brièvement sur Éliana. Un instant, leurs yeux se rencontrèrent. Elle n'osa pas bouger, incapable de détourner son regard.

Henri Christophe, le Roi d'Haïti, marchait d'un pas rapide à travers les vastes corridors du Palais Sans-Souci, son esprit empli des préoccupations de son royaume. Il venait de terminer une réunion stratégique avec ses conseillers et s'échappait dans les couloirs pour prendre un peu d'air. Son corps était fatigué, chaque mouvement lourd, marqué par les années de lutte, de guerre et de gouvernance. Mais son esprit restait vif, intransigeant, comme l'acier. Il portait en lui les cicatrices d'un passé qu'il avait choisi de transformer en une forteresse de puissance.

Alors qu'il longeait un couloir, ses yeux se posèrent sur une jeune femme qui semblait hors de place parmi les servantes affairées. Elle était là, un plateau dans les mains, sa silhouette frêle contrastant avec la grandeur du lieu. Il s'arrêta, ses yeux scrutant cette nouvelle venue avec une attention subtile, mais perceptible. Un instant, il la fixa, se demandant quel destin l'avait amenée jusqu'ici.

Le regard du roi avait quelque chose de perçant, quelque chose d'intrusif, mais aussi d'indéfini.

Henri continua à la fixer un moment, son visage impassible comme une statue. Mais derrière ses yeux sombres, une lueur d'intérêt transparaissait, difficile à décrire. Il avait vu de nombreuses femmes au fil des années, mais quelque chose dans cette jeune servante, à part sa beauté, l'attira instantanément. Peut-être était-ce sa simplicité, son apparente fragilité, ou ce quelque chose qui émanait d'elle sans qu'elle le sache. Quelque chose qui lui parlait à un niveau plus profond.

. Il lui fit un signe de tête imperceptible, avant de poursuivre sa marche sans un mot.

Le temps sembla suspendu. Elle sentit son cœur battre plus fort dans sa poitrine. Ce n'était qu'un instant fugace, un simple échange visuel, mais cela suffira à la marquer .

Éliana se ressaisit rapidement, son visage se ferma dans une expression respectueuse. Elle se dirigea vers la cuisine, mais un sentiment étrange persistait, un mélange de fascination et de crainte.

Elle venait de rencontrer l'homme le plus puissant d'Haïti.

Le souper du soir se préparait dans l'immense salle à manger du Palais Sans-Souci. Éliana, encore éblouie par sa rencontre avec le roi, suivait Madame Fleury à travers les couloirs sombres et les vastes pièces décorées de sculptures et de tapisseries. Elles arrivèrent à la porte imposante du Grand Hall, où des domestiques s'activaient déjà, posant des coupes en argent, polissant les assiettes en porcelaine fine, et ajustant les chandeliers. La lueur des bougies dansait sur les murs, créant une atmosphère à la fois magique et solennelle.

- Bienvenue au souper royal, dit Madame Fleury d'un ton légèrement moqueur en s'éloignant d'Éliana pour saluer un autre domestique. - N'oublie pas ta place. Là-bas.

Éliana hocha la tête, les mains tremblantes alors qu'elle prenait place parmi les autres servantes. Elle observait, fascinée, les mets délicats qui défilaient sur les tables massives : des ragoûts d'agneau parfumés aux épices, des fruits tropicaux sculptés avec soin, des pains frais aux éclats de noix, et des plats à base de poisson, symboles de la richesse du pays.

Les invités, nombreux, s'asseyaient autour des grandes tables en bois, échangeant des sourires et des rires, mais chacun semblait parfaitement conscient de son rôle. Des officiers en uniformes impeccables, des ministres, des membres de la cour, tous vêtus de leurs plus beaux atours. Le roi, lui, n'était pas encore arrivé. La salle restait en suspens, l'air chargé d'une attente respectueuse.

Éliana se tenait à l'écart, un plateau de cristal à la main, observant discrètement la scène. Elle ne pouvait s'empêcher de chercher le regard du roi, même si elle savait que son rang l'en empêchait. Pourtant, une force invisible semblait la pousser à y penser.

Enfin, après ce qui parut une éternité, les portes du fond s'ouvrirent avec une majesté solennelle. Le roi Henri Christophe fit son entrée, suivi de quelques officiers et de sa femme, la reine Marie-Louise. Les conversations se turent aussitôt, et tous se levèrent pour saluer l'homme qui portait sur ses épaules la destinée d'une nation.

Le roi se dirigea vers le bout de la table, son regard perçant balayant la salle. Éliana sentit un frisson courir le long de sa colonne vertébrale lorsqu'il croisa son regard un instant, avant de se tourner vers les autres invités.

- Votre Majesté, dit un ministre en s'inclinant profondément. - Le banquet est prêt.

Henri Christophe hocha la tête, sans un sourire, et prit place, suivi de la reine. Il ne s'attarda pas sur les courbettes et les salutations qui lui étaient adressées, préférant se concentrer sur son repas. La reine, à ses côtés, souriait poliment mais semblait moins présente que lui, perdue dans ses pensées.

Éliana se redressa et se plaça à l'arrière de la salle, prête à servir. La première plate-forme de plats s'avançait alors qu'elle s'approchait de la table. Elle servit un plat de gâteau de manioc à un officier, qui la remercia d'un regard indifférent. Puis, elle s'approcha de la chaise où se trouvait le roi, les mains légèrement tremblantes.

- Votre Majesté, dit-elle en baissant la tête respectueusement, une voix douce mais fermement contrôlée. - Puis-je vous servir, Sire ?

Christophe leva les yeux de son assiette. Un instant, leurs regards se croisèrent à nouveau, et Éliana sentit son cœur battre plus fort. Son visage ne trahissait aucune émotion, mais ses yeux sombres et intenses étaient comme une mer calme juste avant la tempête. Il fit un léger mouvement de la main.

- Servez-moi, servante.

Elle s'empressa de déposer le plat devant lui, puis se recula légèrement, sans oser respirer. Un silence pesant s'installa autour d'eux.

- Maître d'hôtel, dit le roi d'une voix grave et autoritaire, ajoutez une touche de piment à ce plat. Il manque de vivacité.

Le maître d'hôtel acquiesça immédiatement, tandis qu'Éliana, toujours postée à côté, attendait en silence, son regard baissé, observant les gestes méticuleux des autres domestiques.

Les premiers plats furent servis, et la conversation se relança lentement autour de la table. Christophe écoutait plus qu'il ne parlait, ponctuant la discussion de rares interventions. La reine, quant à elle, semblait perdue dans ses pensées, échangeant de temps à autre quelques mots avec l'un des invités.

Un bruit sec résonna soudainement lorsqu'un verre se brisa. Éliana se précipita pour nettoyer la table d'un geste précis, mais son cœur battait désormais à tout rompre. Elle ne pouvait détacher ses yeux du roi. Lorsqu'elle se redressa pour recommencer à servir, un regard furtif s'échangea entre eux.

- Tu es nouvelle, n'est-ce pas ? demanda le roi soudainement, sans lever les yeux de son assiette.

Éliana sursauta, prise de court, mais elle se ressaisit rapidement.

- Oui, Votre Majesté. Elle inclina la tête, son ton respectueux. - Je suis arrivée aujourd'hui.

__ Tu t'appelles comment ?

__ Éliana, votre majesté.

- Tu as du courage, dit-il sans détour, ses yeux se posant un instant sur elle, ses paroles lourdes de sous-entendus. - Je m'attends à ce que tu sois une servante silencieuse, mais aussi déterminée dans tes actions.

Éliana ne sut quoi répondre, et, après un moment d'hésitation, elle se tourna vers les autres invités, poursuivant son service sans un mot. Elle sentit le regard du roi sur elle pendant un long moment, un poids sur ses épaules.

Le repas continua, ponctué de rires et de conversations discrètes. Mais pour Éliana, chaque mouvement semblait guidé par une force invisible, une force qu'elle n'avait pas encore complètement comprise. Le roi, en silence, continuait de la surveiller, comme s'il attendait quelque chose d'elle.

À la fin du souper, alors que les invités se levaient pour quitter la salle, Éliana s'approcha timidement pour commencer à débarrasser les assiettes. Soudain, une voix grave et autoritaire la fit sursauter.

- Tu peux rester un moment, Éliana.

Elle tourna la tête, presque figée de surprise. C'était Henri Christophe, seul à la table, toujours assis, mais son regard perçait l'obscurité comme une épée aiguisée.

- Viens ici.

Éliana, le cœur battant, se sentit à la fois paralysée et attirée par cette invitation. Elle s'avança lentement, un frisson courant sur sa peau. À mesure qu'elle se rapprochait du roi, l'air semblait se faire plus lourd, plus chargé de quelque chose qu'elle n'arrivait pas encore à comprendre.

Henri Christophe resta assis, observant la jeune femme s'approcher avec une intensité qui la faisait se sentir à la fois vulnérable et étrange. Un silence imposant s'installa entre eux, et Éliana sentit ses mains devenir moites alors qu'elle se plaçait à une distance respectueuse devant lui.

- Tu n'as pas à être nerveuse, dit-il enfin, sa voix basse et autoritaire, mais d'une manière presque calme. Il avait un air impassible, mais ses yeux reflétaient une curiosité qu'elle n'avait pas anticipée. - Je voulais simplement te poser une question.

Éliana, prise au dépourvu, s'inclina légèrement, les yeux baissés, mais son esprit était en ébullition. Pourquoi l'appelait-il ainsi, loin des regards et des oreilles curieuses des autres ?

- Votre Majesté ? répondit-elle, la voix un peu tremblante malgré ses efforts pour rester calme.

Le roi l'observa un instant avant de reprendre la parole, son ton toujours aussi mesuré.

- Comment te sens-tu ici, parmi nous ? Il ne semblait pas seulement s'intéresser à ses pensées mais aussi à ses sentiments. Il scrutait son visage comme s'il cherchait à lire dans ses yeux, à comprendre ses pensées les plus secrètes.

Éliana sentit une étrange chaleur envahir son corps, mais elle répondit d'une voix respectueuse, comme elle l'avait appris.

- C'est... c'est un honneur, Votre Majesté. Elle se força à parler avec clarté, même si l'émotion l'étouffait. Ce palais est plus grand et plus impressionnant que tout ce que j'ai pu imaginer. Mais, je suis... je suis ici pour servir, et c'est ce que je ferai du mieux que je peux.

Henri Christophe hocha lentement la tête, un léger sourire en coin, mais il ne semblait pas pleinement satisfait de sa réponse. Il se leva soudainement, et son imposante silhouette domina la pièce. Il s'approcha d'un grand miroir en face de lui, se scrutant un instant.

- Je ne te crois pas.

Éliana se figea. La tension dans l'air était palpable, et elle n'osait pas répondre. Elle avait l'impression d'être examinée sous un microscope, chaque détail de son être scruté par l'homme qu'elle servait.

Il se tourna lentement, et leurs regards se croisèrent à nouveau. Il se dirigea vers elle d'un pas mesuré, ne quittant pas ses yeux des siens.

- Tu ne ressemble pas aux autres servantes, Éliana, dit-il, chaque mot résonnant comme une déclaration de vérité. Je vois en toi quelque chose de différent. Un feu, peut-être. Quelque chose que beaucoup d'autres ici n'ont pas.

Éliana resta silencieuse, incertaine de la manière dont elle devait réagir. Elle n'avait pas l'habitude que quelqu'un l'observe aussi intensément, surtout pas un roi.

- J'ai beaucoup de travail à accomplir, Votre Majesté, réussit-elle finalement à dire, cherchant une excuse pour se détourner de cette situation de plus en plus gênante. Je... je ne voudrais pas vous déranger plus longtemps.

Henri Christophe la fixa un instant, comme s'il mesurait sa réaction. Puis il la regarda d'un air pénétrant.

- Déranger ? répéta-t-il, presque amusé. Tu ne me déranges pas. Mais Je suis curieux de connaître cette flamme en toi, Éliana.

Elle baissa la tête, luttant pour cacher son trouble. Le roi n'avait pas l'air de vouloir lui accorder la même distance qu'aux autres. Pourquoi ? Pourquoi elle ?

- Ce n'est pas de ma place de poser des questions, Votre Majesté. Elle essaya de maintenir une voix ferme, mais elle ne pouvait dissimuler la peur qui s'insinuait en elle.

Il se rapprocha encore, et cette fois, elle sentit son souffle se faire plus court. Le roi se pencha légèrement vers elle, si près qu'elle pouvait presque sentir la chaleur de sa présence.

- Tu es bien plus qu'une simple servante, Éliana. Il posa une main légère sur le dos de la chaise, mais son regard ne quittait pas le sien. Rappelle-toi de ça.

Un frisson parcourut son dos. Chaque parole semblait l'envelopper d'une aura indéfinissable. Il y avait quelque chose dans sa voix, une autorité mêlée de curiosité, quelque chose qui la poussait à se soumettre tout en l'intriguant de plus en plus. Mais Éliana savait qu'elle devait se maîtriser.

Elle s'inclina respectueusement.

- Je ferai de mon mieux, Votre Majesté.

Henri Christophe la fixa une dernière fois, puis, après un moment qui sembla durer une éternité, se redressa.

- Très bien, dit-il, se détournant d'elle avec un dernier regard perçant. N'oublie pas ce que je t'ai dit. La place d'une servante n'est pas définie seulement par son rôle. Elle peut être plus que cela, si elle sait saisir les occasions.

Éliana attendit qu'il se retire avant de se remettre en mouvement, sentant l'effet de ses paroles encore vibrer en elle. Une confusion étrange la hantait : il y avait quelque chose d'intriguant dans l'attitude du roi, mais elle n'arrivait pas à déterminer s'il la poussait à se dépasser ou à la piéger dans une toile dont elle ne pouvait échapper.

Elle reprit son travail, mais une pensée persistait dans son esprit. Elle venait de recevoir une attention particulière, mais à quel prix ? Les promesses et les menaces invisibles étaient déjà en place, et Éliana savait que sa vie au palais ne serait plus jamais la même.

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Christophe observa Éliana s'avancer vers lui avec prudence, ses grands yeux sombres cherchant instinctivement un repère dans l'immensité de la pièce. Il vit la façon dont elle essayait de masquer son trouble, sa posture droite et maîtrisée contrastant avec la légère crispation de ses doigts. Une femme qui savait garder le contrôle d'elle-même, malgré l'évidence du déséquilibre de pouvoir entre eux.

Il aimait ça.

Dès la première fois qu'il l'avait vue, il avait su qu'elle n'était pas comme les autres. Il ne s'agissait pas seulement de sa beauté - bien que ce soit un fait indéniable. C'était son regard, cette façon de se tenir droite malgré la modestie de son statut. Une femme née pour survivre, même dans un monde qui ne lui ferait pas de cadeaux.

Mais ce n'était pas seulement la force qu'il percevait en elle. Il y avait aussi ce feu sous-jacent, cette lumière qui, bien que contenue, brillait encore. Une lueur d'insolence sous son humilité. Une promesse de défiance bien dissimulée sous ses bonnes manières.

Et cela le fascinait.

- Tu n'as pas à être nerveuse.

Sa voix résonna dans la pièce, plus douce qu'il ne l'aurait voulu. Il s'était attendu à ce qu'elle sursaute légèrement, mais elle ne broncha pas. Seule la tension dans sa mâchoire trahit une émotion qu'elle ne voulait pas montrer.

- Je voulais simplement te poser une question.

Il vit l'éclair de surprise passer dans son regard. Une servante ne s'attendait pas à ce que le roi s'adresse à elle autrement que par des ordres. Mais il ne s'intéressait pas à elle en tant que servante.

Il voulait voir jusqu'où allait sa résistance.

__ Votre majesté ?, Répondit - elle d'une voix un peu tremblante.

- Comment te sens-tu ici, parmi nous ?

C'était une question banale en apparence, mais il voulait entendre sa réponse. Pas les mots formatés qu'elle aurait appris à réciter, mais la vérité cachée sous sa voix.

- C'est... c'est un honneur, Votre Majesté. Ce palais est plus grand et plus impressionnant que tout ce que j'ai pu imaginer. Mais, je suis... je suis ici pour servir, et c'est ce que je ferai du mieux que je peux.

Un honneur. Christophe esquissa un sourire en coin. Bien sûr. C'était ce qu'elle devait dire. Mais la manière dont elle l'avait dit... Trop de retenue. Une part d'elle n'était pas sincère.

- Je ne te crois pas.

Là, il la vit tressaillir légèrement. Un détail infime, mais il l'avait perçu. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il insiste.

Un silence s'étira entre eux. Il la scrutait, la détaillant comme un soldat jaugerait son adversaire avant un combat. Puis il se leva lentement et marcha jusqu'au miroir, où son propre reflet lui renvoya une image familière : celle d'un homme que peu osaient défier, et qui pourtant, en cet instant, cherchait à comprendre une femme bien en dessous de son rang.

Pourquoi s'intéressait-il à elle, déjà ?

Il connaissait des femmes plus belles, des femmes qui lui étaient offertes sans qu'il ait besoin de faire le moindre effort. Mais elles n'étaient qu'ombres et illusions, prêtes à se fondre dans ses désirs sans jamais le surprendre.

Éliana, en revanche, avait quelque chose de brut, d'incontrôlable.

Et Christophe n'aimait pas l'inconnu. Il voulait savoir ce qu'elle cachait derrière toute cette beauté.

Il se retourna vers elle et croisa son regard. Cette fois, il s'avança plus près, réduisant volontairement l'espace entre eux. Il vit sa respiration se modifier imperceptiblement, mais elle tint bon.

- Tu ne ressemble pas aux autres servantes, Éliana, dit-il.

Elle ouvrit la bouche, sans doute pour protester, mais il l'arrêta d'un regard.

- Je vois en toi quelque chose de différent. Un feu, peut-être. Quelque chose que beaucoup d'autres ici n'ont pas.

Elle détourna les yeux, visiblement mal à l'aise. Elle voulait garder sa place, suivre les règles, mais elle savait aussi qu'il ne lui posait pas ces questions par hasard.

- J'ai beaucoup de travail à accomplir, Votre Majesté. Je... je ne voudrais pas vous déranger plus longtemps.

Une esquive. Intéressant.

- Déranger ?

Il répéta son mot avec une pointe d'amusement. Elle pensait réellement qu'elle pouvait le déranger ? Non. Il n'avait pas convoqué cette discussion pour rien.

- Tu ne me déranges pas. Mais je suis curieux de connaître cette flamme en toi, Éliana.

-Ce n'est pas de ma place de poser des questions, Votre majesté.

Il s'approcha encore. Cette fois, elle ne put reculer, piégée entre lui et la chaise derrière elle. Il n'avait pas besoin de la toucher. Sa seule présence suffisait à l'ébranler.

- Tu es bien plus qu'une simple servante, Éliana. Rappelle-toi de ça.

Un frisson traversa son corps. Il le vit. Il le sentit.

Elle ne voulait pas céder.

Mais lui, il n'avait pas l'intention de l'oublier.

Alors qu'elle s'inclinait pour prendre congé, Christophe la regarda disparaître, une étrange satisfaction naissant en lui.