Chapitre 2
La lumière tamisée des chandeliers projetait des ombres dans les vastes couloirs du Palais Sans-Souci. Éliana, fatiguée après une longue journée de travail, errait dans les allées silencieuses. Elle n'avait pas l'intention de se perdre, mais son esprit, encore perturbé par les événements du dernier banquet , l'avait conduite dans cette partie du palais qu'elle ne connaissait pas encore bien.
Les murs, couverts de tapisseries anciennes et de portraits royaux, semblaient renfermer les échos d'histoires oubliées. Chaque pas résonnait sur les pierres froides, et les bruits lointains de la cour se faisaient à peine entendre. Elle s'arrêta un instant pour ajuster le panier qu'elle portait, débordant de linge propre qu'elle devait déposer dans les chambres royales.
Elle n'avait pas l'habitude de se retrouver seule à une heure aussi tardive dans ce dédale de couloirs, mais l'envie de retrouver un peu de calme, loin du brouhaha de la journée, la poussait à avancer plus profondément dans les lieux.
Soudain, au détour d'un couloir particulièrement sombre, elle aperçut une silhouette solitaire. Un frisson traversa son dos. Avant même qu'elle n'ait le temps de se cacher ou de faire demi-tour, une voix profonde et familière résonna dans l'air.
— Tu es perdue, Éliana ?
Elle se figea, son cœur battant plus fort à l'entente de cette voix. L'atmosphère autour d'elle sembla se charger d'une tension étrange. Lentement, elle tourna la tête et se retrouva face à Henri Christophe, qui se tenait dans l'ombre, sa silhouette imposante et majestueuse bien que dénuée de la couronne. Il n'était vêtu que d'un manteau léger, sa posture presque décontractée, mais ses yeux perçaient l'obscurité avec une intensité qu'elle n'avait jamais vue chez lui.
Il s'avança doucement, son regard ancré sur elle, et elle, totalement déstabilisée, s'inclina légèrement, bien qu'il ne fût pas en public.
— Votre Majesté, dit-elle d'une voix timide, tout en cherchant à masquer son trouble.
Henri Christophe s'arrêta à quelques pas d'elle, sa présence envahissante, presque magnétique. Il ne semblait pas pressé. Ses yeux se plissèrent alors qu'il scrutait la jeune femme devant lui, comme si chaque détail de son être était une énigme à résoudre.
— Je vois que tu as l'habitude de vagabonder dans ces couloirs la nuit, dit-il sur un ton plus léger, presque taquin. Dis-moi, que cherches-tu, Éliana ?
Elle baissa les yeux un instant, gênée par la situation.
— Je… je suis simplement un peu perdue, Votre Majesté. Elle se mordit discrètement la lèvre inférieure. Je voulais déposer ce linge, mais je crois m'être égarée.
Henri Christophe, toujours observateur, fit un pas de plus vers elle. Il n'avait pas cessé de la regarder avec cette même intensité, ce regard perçant qui semblait percer à jour son âme.
— Les corridors peuvent être déconcertants pour quelqu'un d'extérieur. Il marqua une pause, son regard se faisant plus pénétrant. Mais tu sais, Éliana, il existe des endroits dans ce palais où il est facile de se perdre, même pour ceux qui y vivent depuis longtemps.
Elle sentit une étrange chaleur envahir son corps, son cœur s'emballant sous la proximité du roi. Elle se força à garder son calme, bien qu'à l'intérieur, tout semblait en effervescence. Pourquoi s'intéressait-il à elle, et pourquoi cette sensation étrange persistait, comme une sorte de jeu auquel elle n'était pas prête à participer ?
— Je suis certaine que vous vous êtes perdu dans ces couloirs, Votre Majesté. Sa voix était plus douce maintenant, mais elle tentait de dédramatiser la situation.
Il la regarda, un léger sourire se dessinant sur ses lèvres. Puis, dans un mouvement fluide, il s'approcha encore davantage, si près qu'elle sentit la chaleur de son corps, et murmura :
— Peut-être. Mais, à ce moment précis, je crois plutôt que je me suis trouvé.
Un silence lourd s'installa entre eux. Éliana, mal à l'aise, chercha à détourner son regard, mais il la tenait captive. Elle avait l'impression que la pièce entière s'était figée autour d'eux, que même le temps s'était arrêté. Ses yeux bruns fixaient ceux du roi, mais un élan de crainte et de désir se mêlait en elle, la rendant encore plus vulnérable.
Il se redressa légèrement, l'air soudainement plus grave.
— Tu n'as pas à avoir peur, Éliana. Sa voix était plus calme maintenant, presque douce. Je suis juste… curieux.
Elle se mordit la lèvre, confuse par ses propres émotions. Curieux ? Pourquoi lui ? Pourquoi la fixait-il ainsi, avec une telle attention ?
— Curieux de quoi, Votre Majesté ? La question échappa à ses lèvres avant qu'elle n'ait pu l'empêcher, et son regard s'intensifia encore.
Il haussait légèrement les épaules, une lueur d'amusement dans ses yeux.
— De toi, Éliana. Il laissa un silence s'installer, comme si cette réponse suffisait à elle seule. Puis il tourna lentement les talons. Tu devrais retourner à tes occupations et rejoindre tes quartiers. Ce n'est pas bon de traîner dans ces couloirs la nuit.
Elle hésita un instant, encore sous le choc de cette rencontre fortuite, puis s'inclina à nouveau, cette fois plus profondément.
— Oui, Votre Majesté.
Et alors qu'il s'éloignait, la jeune femme sentit un mélange d'émotions, un tourbillon qu'elle ne parvenait pas à maîtriser. Elle resta un moment là, dans le silence, son esprit embrumé. Cette rencontre la perturbait plus qu'elle ne l'admettait. Que voulait vraiment Henri Christophe d'elle ? Pourquoi l'avait-il abordée ainsi, loin des regards ? Il n'avait pas cessé de la regarder comme un roi scrutant ses sujets, mais il y avait une complexité dans son regard qui la déroutait.
Elle prit une grande inspiration et, avec une certaine hésitation, se remit en marche, ses pas résonnant dans le vide. Mais dans son cœur, une question persistait : pourquoi cette rencontre, cette nuit-là, se sentait-elle comme le début de quelque chose qu'elle ne comprenait pas encore ?
Éliana se dirigea d'un pas incertain vers les chambres royales, son cœur toujours agité par sa rencontre avec le roi. Les couloirs du palais semblaient encore plus vastes et plus mystérieux qu'auparavant, comme si l'ombre d'Henri Christophe flottait autour d'elle, imprégnant chaque pierre de son aura. La chaleur de sa présence la suivait, et la jeune servante n'arrivait pas à se défaire de l'impression qu'il la suivait en silence, même si, objectivement, il était bien trop loin pour cela.
Lorsqu'elle arriva enfin dans les quartiers des servantes, elle déposa son panier et se laissa tomber sur un banc, le souffle court. Elle se sentait en proie à un tourbillon d'émotions contradictoires. Le roi… lui avait adressé la parole d'une manière qui la perturbait profondément. Jamais elle n'aurait imaginé qu'elle le verrait ainsi, dans l'intimité de la nuit. Et encore moins que ces quelques mots échangés la laisseraient dans un tel état de confusion.
Alors qu'elle essayait de calmer son esprit, la voix de l'une des servantes, Marie, la fit sursauter.
— Éliana, tu vas bien ? demanda Marie, un regard inquiet sur le visage. Elle s'approcha d'elle avec une lueur d'interrogation dans les yeux. Tu as l'air toute chamboulée.
Éliana essaya de sourire, mais cela ressemblait plus à une grimace nerveuse.
— Oui… Oui, ça va. C'est juste que… je suis fatiguée. Elle se leva brusquement, essayant de paraître plus assurée qu'elle ne l'était en réalité. C'est juste un peu… oppressant ici, parfois.
Marie haussait les sourcils, intriguée mais non convaincue par l'explication d'Éliana.
— L'oppression, c'est plus les regards des nobles qui te perturbent, pas vrai ? Elle s'assit à côté de sa collègue, son ton devenant plus intime. Je t'ai vue avec le roi, toi aussi, ce soir. Il t'a adressé la parole, n'est-ce pas ?
Le cœur d'Éliana se serra à ces mots. Comment Marie savait-elle ? Était-ce vraiment évident qu'elle venait d'avoir une conversation avec Henri Christophe ? Elle se tourna vers elle, les joues rouges de gêne.
— Ce n'est rien, Marie… juste une rencontre fortuite dans les couloirs, je… je me suis perdue. Éliana tenta de masquer son trouble en riant légèrement, mais la jeune servante savait très bien que quelque chose n'allait pas.
— Perdue ? Marie lui lança un regard sceptique, ses yeux pétillant d'un mélange de curiosité et de malice. Tu veux dire que le roi s'est "perdu" dans les mêmes couloirs que toi ? Ce n'est pas le genre de chose qu'on voit tous les jours. Elle émit un petit rire. Et dis-moi, il t'a dit quoi exactement ?
Éliana sentit ses mains devenir moites alors qu'elle se souvient de la rencontre.
— Il m'a juste dit que je me perdais… et qu'il était curieux de moi. Sa voix était presque inaudible, comme si elle hésitait à prononcer ces mots. Mais c'est tout. Il m'a dit de retourner à mes occupations.
Marie la regarda attentivement, l'air pensif. Elle s'assit plus près d'Éliana, et son ton devint plus sérieux.
— Tu sais, Éliana, ce n'est pas anodin. Il est le roi, mais il ne parle pas à tout le monde de cette manière. Elle marqua une pause, comme pour peser ses mots. Il a quelque chose en toi qu'il veut comprendre, quelque chose qu'il ne trouve pas facilement chez les autres.
Éliana baissa les yeux, les pensées troublées. Elle n'était qu'une servante. Pourquoi le roi s'intéresserait-il à elle ? Il avait tout ce qu'il lui fallait, des femmes de la cour à ses pieds, des alliances politiques puissantes… Pourquoi se tournerait-il vers une jeune femme de condition modeste ?
— Tu veux dire… il s'intéresse à moi ? demanda-t-elle, ses mots pesant sur sa langue comme un lourd secret.
Marie sourit légèrement, mais son regard restait sérieux.
— Tu vois bien qu'il t'a remarquée, Éliana. Le roi, il ne perd pas son temps avec des inconnues. Il est… comment dire… exigeant, mais aussi assez… observateur. Elle sourit plus largement, comme si elle savourait un secret qu'Éliana n'avait pas encore compris. Si tu veux mon avis, il y a des chances qu'il revienne vers toi. Ce n'est peut-être pas encore le moment, mais je t'assure que tout cela a un sens.
Éliana sentit un frisson la parcourir à ces mots. Ses pensées étaient un mélange de peur et d'excitation. Comment réagirait-elle si le roi revenait vers elle ? Elle n'avait aucune idée de ce que cela signifierait pour elle. Elle n'était qu'une servante dans ce palais de luxe et de pouvoir.
Le silence s'installa un moment, jusqu'à ce que Marie brise la tension.
— En tout cas, Éliana, si tu veux ma recommandation, sois prudente. Le roi est un homme de grande puissance, mais aussi de grands secrets. Elle lui lança un regard perçant. Tu as vu ses yeux, n'est-ce pas ? Il est capable de voir au-delà des apparences. Et si tu veux survivre ici, il faut que tu apprennes à le voir aussi.
Les mots de Marie résonnèrent dans son esprit comme un avertissement silencieux. Éliana savait que le palais était un endroit dangereux, où la politique et les intrigues se mêlaient avec les désirs personnels. Mais ce qu'elle n'avait pas prévu, c'était que le roi Henri Christophe, une figure imposante et inaccessible, venait de l'inclure dans son monde.
Elle prit une profonde inspiration, essayant de calmer le tumulte dans son esprit.
— Je vais y penser. Mais pour l'instant, je dois terminer mon travail.
Elle se leva, prête à retrouver ses occupations. Marie la suivit des yeux, puis se leva à son tour.
— Ne t'oublie pas toi-même, Éliana. Son regard se fit plus doux, bien que son avertissement restait clair. Et souviens-toi, tout ce qui brille ne vaut pas forcément la peine d'être pris.
Alors qu'Éliana se dirigeait vers la sortie, elle ne pouvait s'empêcher de se demander si elle était prête à suivre ce conseil. Mais plus encore, elle ne pouvait ignorer l'appel silencieux que semblait lui adresser Henri Christophe. Elle savait que ce qu'elle venait de vivre dans les couloirs du palais n'était pas simplement une rencontre anodine.
Il y avait quelque chose de plus profond, un lien invisible qu'elle ne pouvait encore comprendre, mais qu'elle ressentait dans chaque fibre de son être. Un lien qui, tôt ou tard, changerait sa vie à jamais.
Le matin suivant, Éliana se rendit à la cuisine du Palais Sans-Souci, comme à son habitude. Les rayons du soleil, timides mais chaleureux, filtraient à travers les fenêtres de la grande pièce, illuminant les marmites bouillonnantes et les plats de mets délicieux qui étaient préparés pour la journée. L'agitation habituelle régnait parmi les cuisiniers et les servantes, mais Éliana n'arrivait pas à se concentrer. Son esprit était ailleurs, fixé sur la rencontre qu'elle avait eue avec le roi la veille au soir.
Elle se tenait à côté d'un fourneau, agitant une cuillère en bois dans une grande marmite, mais chaque geste semblait mécanique, comme si son esprit vagabondait loin d'ici. Les bruits de la cuisine étaient sourds, les voix de ses collègues ne parvenaient presque pas à traverser le brouillard qui emplissait son esprit. Le roi… Henri Christophe. Même après sa rencontre avec lui, elle ne pouvait s'empêcher de se demander ce qui était réel et ce qui ne l'était pas. Elle n'avait jamais imaginé que son nom serait un jour sur les lèvres des membres de la cour, ou qu'elle aurait ne serait-ce qu'une brève interaction avec lui.
Elle se força à se concentrer sur la tâche devant elle, mais chaque mouvement semblait ralenti, chaque bruit lointain. C'est à ce moment-là que Marie, qui travaillait de l'autre côté de la grande cuisine, s'approcha discrètement d'Éliana.
— Tu sembles dans la lune ce matin, dit-elle en souriant tout en épluchant des légumes. Tu pensais à ce qui s'est passé hier soir, non ?
Éliana sursauta légèrement, avant de tourner son regard vers Marie, une expression qui tentait de masquer son trouble.
— Non… répondit-elle en haussant les épaules. Je suis juste un peu fatiguée, je suppose. Elle tenta de sourire, mais c'était évident que son esprit était encore captif de la rencontre avec le roi.
Marie ne se laissa pas berner et s'approcha encore un peu plus.
— Tu sais… il ne s'est rien passé entre vous, n'est-ce pas ? Elle la regarda attentivement, comme si elle était en train de lire ses pensées. Il est évident qu'il t'a remarquée, Éliana, mais il ne faut pas se laisser emporter. Il est… le roi. Et tu sais ce que cela signifie. Marie marqua une pause, comme si elle cherchait ses mots. Il y a des choses qui sont au-delà de ce que nous, simples servantes, pouvons comprendre.
Éliana se sentit soudainement oppressée. Elle tourna son regard vers la cuisine, cherchant à échapper à la pression de la conversation. La tension de la veille la rattrapait, et les paroles de Marie ne faisaient qu'ajouter à son malaise.
— Je sais ce que tu veux dire, répondit Éliana d'une voix basse. Je ne cherche pas à me laisser emporter… Mais c'est juste étrange.
Marie hocha la tête, l'expression grave.
— C'est normal que tu sois troublée. Mais je te conseille de rester prudente, Éliana. Elle se tourna vers les autres servantes, puis baissa la voix. Les rumeurs peuvent aller vite, et si les mauvaises langues commencent à jaser… il y a peu de choses qui échappent à l'attention de la cour.
Éliana hocha la tête, essayant de garder son calme. Marie avait raison. La cour était un endroit où les mots se transformaient rapidement en vérités, où chaque geste et chaque regard pouvait être interprété, tordu, et utilisé contre soi. Et elle savait pertinemment qu'une simple rencontre avec le roi pouvait enflammer les imaginations des autres.
Elle déglutit difficilement.
— Je ne veux pas de rumeurs, Marie. Elle fixa la marmite qu'elle remuait, son esprit toujours en proie à la confusion. Je ne cherche rien de plus que d'accomplir mon travail ici.
Marie la regarda longuement, une lueur de compréhension dans ses yeux.
— Je sais. Et c'est ce qui fait de toi une personne digne de confiance, Éliana. Mais tu vois, parfois… il y a des choses qui dépassent le simple travail. Elle lui adressa un petit sourire énigmatique. Rien ne se passe par hasard ici. Pas avec lui. Pas avec le roi.
Éliana baissa les yeux, un léger frisson parcourant son échine. Elle savait que les mots de Marie étaient empreints de vérité, mais elle n'était pas encore prête à y faire face. Tout était trop récent. Trop intense. Elle se contenta de hocher la tête, mais ne répondit rien. Il y avait encore tant de questions sans réponses dans son esprit.
Le reste de la journée se passa lentement, rythmée par les gestes habituels de la cuisine. Éliana se concentra sur ses tâches, essayant de repousser ses pensées vers le fond de son esprit. Mais la présence du roi, son regard pénétrant, son assurance, restaient avec elle, comme une ombre silencieuse.
Dans l'après-midi, alors qu'elle faisait une pause dans le couloir pour souffler un peu, une silhouette se dessina au bout du couloir. Son cœur s'emballa immédiatement. Il était là, dans les ombres, comme si rien n'avait changé, comme si cette rencontre n'était qu'une fraction de seconde suspendue dans l'éternité.
Henri Christophe passa devant elle sans la regarder, son port majestueux et son visage implacable comme toujours. Mais Éliana ne pouvait s'empêcher de sentir une étrange chaleur, une assurance qu'il n'avait pas besoin d'exprimer pour qu'elle soit évidente. Rien n'avait été dit, rien n'avait été promis, et pourtant… quelque chose passait entre eux, même dans le silence.
Elle inspira profondément, essayant de rester calme, mais son cœur battait la chamade, emporté par la force de cet instant.
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La pièce était silencieuse, seulement troublée par le bruissement du linge que les deux femmes pliaient. Le parfum du savon flottait encore dans l'air, mais Éliana avait du mal à se concentrer.
Depuis qu'elle avait revue Christophe, elle était un peu troublée, voir même plus. Partout où elle allait, elle sentait son regard peser sur elle, chaque couloir qu'elle traversait, elle savait qu'il la cherchait.
— Tu es nerveuse.
La voix de Madame Fleury était calme, presque distraite, mais Éliana sentit immédiatement le poids caché derrière ces mots. Elle se raidit légèrement et secoua la tête.
— Non. Juste fatiguée.
Madame Fleury eut un léger sourire, un sourire qui disait clairement qu'elle ne croyait pas un mot de cette excuse.
— Fatiguée ? Moi je dirais plutôt… troublée.
Éliana ne répondit pas et s'appliqua à plier un drap avec plus d'attention que nécessaire.
— Je ne sais pas de quoi tu parles.
Madame Fleury haussa un sourcil, amusée par cette tentative maladroite de nier l'évidence.
— Oh, mais bien sûr que si.
Elle posa doucement le linge sur la table et croisa les bras.
— Tu crois que personne ne voit la façon dont le roi te regarde ? Moi, je l'ai vu.
Elle marqua une pause, puis ajouta, plus bas :
— Et la reine aussi finira par le voir.
Éliana sentit son cœur manquer un battement.
— La reine ?
Madame Fleury hocha lentement la tête, et cette fois, son regard n'avait plus rien d'amusé.
— Tu crois que c'est le roi qui représente le plus grand danger pour toi ? Détrompe-toi.
Éliana fronça légèrement les sourcils.
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
Madame Fleury inspira profondément, comme si elle hésitait à parler. Puis, d'une voix plus basse, elle déclara :
— Tu n'es pas la première à attirer l'attention du roi.
Elle s'approcha lentement, comme pour s'assurer que personne d'autre n'entendait.
— Et celles qui sont venues avant toi… elles ne sont plus là.
Un frisson parcourut Éliana.
— Le roi les a chassées ? murmura-t-elle.
Madame Fleury secoua la tête.
— Non. La reine.
Le silence devint étouffant dans la petite pièce.
— Elle ne fait pas d'esclandre, elle ne crie pas, elle ne pleure pas, poursuivit Madame Fleury. Mais chaque fois qu'une servante devient un peu trop intéressante aux yeux du roi… elle disparaît.
Éliana déglutit.
— Disparaît comment ?
Madame Fleury la fixa, puis baissa légèrement la voix.
— Certaines ont été mariées de force à des soldats et envoyées loin d'ici. D'autres ont simplement été renvoyées, sans un sou, sans protection.
Elle marqua une pause, laissant les mots s'ancrer en Éliana.
— Personne ne parle de ces femmes. C'est comme si elles n'avaient jamais existé.
Éliana sentit ses mains trembler légèrement.
— Alors… que dois-je faire ?
Madame Fleury posa une main légère sur son bras et la serra doucement.
— Fais attention, Éliana. Le roi te désire, ça se voit. Mais si la reine en vient à le voir aussi… c'est toi qui disparaîtras.
Éliana ne répondit pas.
Mais dans l'étouffement de la lingerie, elle comprit que ce qu'elle prenait pour un simple attirance était en réalité un piège.