Chapitre 10

Chapitre 10

Éliana se réveilla en sursaut, haletante, le cœur battant fort dans sa poitrine. Ce n'était pas un rêve qui l'avait réveillée, mais plutôt un malaise inexplicable. Le matin était déjà bien avancé, et les rayons du soleil perçaient à travers les rideaux, éclairant doucement la chambre. Mais au lieu de la réchauffer, la lumière semblait l'agresser.

Elle se sentit soudainement épuisée, comme si toute son énergie s'était envolée pendant la nuit. Un lourd poids pesait sur ses épaules, et son estomac se tordait dans un tourment qu'elle n'arrivait pas à identifier. Ce n'était pas une douleur physique, mais une sensation de malaise général, de fatigue accablante qui la prenait par surprise.

Elle ferma les yeux un instant, tentant de se concentrer sur sa respiration. Chaque inspiration semblait plus difficile que la précédente. Ses pensées étaient embrouillées, comme si un brouillard opaque se dispersait dans son esprit, l'empêchant de penser clairement. Il y avait cette sensation constante de vide, un sentiment qui l'envahissait sans raison apparente.

Ce n'était pas la première fois qu'elle ressentait cela ces derniers jours, mais c'était la première fois qu'elle se levait avec ce sentiment de lourdeur dans les jambes, ce vertige qui l'empêchait de se concentrer. Elle se leva lentement, le sol sous ses pieds semblait plus instable que d'habitude, comme si le monde autour d'elle vacillait légèrement.

Elle se dirigea vers la petite bassine de sa chambre, espérant qu'un peu d'eau froide suffirait à chasser cette sensation. Elle se pencha sur la bassine et se rinça le visage, attendant que la fraîcheur de l'eau apaise son malaise. Mais, au lieu de la réconforter, elle se sentit encore plus faible, une lourde nausée s'installant dans son estomac.

Elle s'appuya sur le rebord du bassine, essayant de se stabiliser. Il fallait qu'elle aille travailler, qu'elle assume son rôle, comme elle l'avait toujours fait. Mais aujourd'hui, l'idée de faire face aux autres servantes, de marcher dans les couloirs du palais, lui semblait une montagne insurmontable. Elle n'avait jamais ressenti cela avant. Un étrange mélange de nervosité et d'épuisement, comme si quelque chose de plus grand, d'invisible, la rongeait de l'intérieur.

Elle prit une profonde inspiration et se força à se redresser. Peut-être qu'un peu de thé pourrait l'aider à se sentir mieux. Oui, un peu de chaleur, de réconfort. Mais au moment où elle se tourna pour quitter la chambre, un autre frisson de malaise la saisit, plus intense que les autres. Elle s'appuya contre le mur, fermant les yeux pour tenter de calmer les battements irréguliers de son cœur.

Elle savait qu'il n'y avait qu'une seule personne qui pourrait peut-être la réconforter, mais cette pensée apportait plus de confusion que de soulagement. Christophe. Son esprit se tourna immédiatement vers lui, mais elle se reprit aussitôt. Il n'était pas là pour cela. Il était le roi, et elle, une simple servante. Mais quelque chose dans la chaleur de cette pensée, dans le fait de savoir qu'il pouvait être là pour la soutenir, l'apaisa un instant.

Elle ferma les yeux et se força à reprendre le contrôle de ses pensées. Elle devait faire face à la journée. Elle n'avait pas d'autre choix.

Mais ce malaise, cette sensation désagréable… Cela la préoccupait plus qu'elle ne voulait l'admettre.

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Éliana n'avait pas cessé de se sentir mal depuis son réveil, le malaise persistant tout au long de la journée. Les tremblements dans ses mains ne disparaissaient pas, et l'épuisement qui la gagnait n'avait pas de cause apparente. Mais ce n'était que lorsqu'elle entra dans la chambre de la guérisseuse du palais, à bout de forces, qu'elle eut la révélation qui allait changer sa vie à jamais.

La guérisseuse, une femme âgée et sage, l'avait accueillie avec un regard empli de compréhension. Elle l'avait examinée avec attention et, après quelques instants de silence, lui avait posé la question qui fit s'effondrer tous ses espoirs :

– « As-tu manqué tes saignements, Éliana ? »

Le visage d'Éliana s'était immédiatement figé, son cœur battant à tout rompre. Elle n'avait pas voulu y penser, pas voulu admettre ce qui se passait. Mais en entendant la question, quelque chose s'était brisé en elle. Elle avait baissé les yeux, luttant contre les larmes qui menaçaient de tout engloutir. Oui, elle avait constaté un retard. Mais cela n'aurait pas dû être le cas… pas dans ce contexte.

Elle tenta de parler, mais les mots ne venaient pas. La guérisseuse, d'un calme implacable, avait pris sa main et lui avait demandé de s'allonger, avant de procéder à un examen plus approfondi. Puis, après un silence interminable, elle avait donné la réponse fatidique :

– « Tu es enceinte, Éliana. »

La terre sembla se dérober sous ses pieds. Elle avait reculé sous le choc, son regard flou, l'esprit perdu. Tout était devenu flou autour d'elle. Comment cela avait-il pu arriver ? Elle se sentait submergée par la panique, un tourbillon d'émotions et de pensées. Elle se leva précipitamment et se dirigea vers la porte, mais la guérisseuse la retint d'une voix douce, mais ferme :

– « Il faut que tu prennes le temps de réfléchir. Ce n'est pas un fardeau, mais une bénédiction. Tu n'es pas seule dans cette situation, Éliana. »

Mais Éliana ne pouvait entendre ces mots. Sa tête bourdonnait, et une seule pensée dominait son esprit : fuir. Fuir le palais, quitter Christophe, tout effacer et repartir ailleurs, loin des regards et des rumeurs. Elle savait qu'un tel secret ne pourrait pas être gardé longtemps. Et si le roi découvrait sa grossesse, tout serait fini. Leur relation, leurs vies, tout.

Elle se réfugia dans sa chambre, en proie à une terreur indicible. Ses mains tremblaient, son souffle court. Elle pensa à tout ce qu'elle risquait : sa vie, sa réputation, et surtout la vie de l'enfant qu'elle portait en elle. Elle avait envisagé de partir, mais la pensée de quitter tout ce qu'elle avait connu, de fuir loin de Christophe, la paralysait. Son esprit se troublait, pris dans une spirale d'incertitude.

Elle savait qu'elle ne pouvait pas porter cette lourde vérité seule. Christophe. Il devait savoir, même si cela signifiait tout changer, tout remettre en question. Mais comment allait-il réagir ? Sa vie à lui était déjà trop compliquée, et une grossesse illégitime… c'était une condamnation en soi.

Le soir, alors qu'elle attendait dans l'ombre de la chambre, un léger bruit à la porte la fit sursauter. Elle tourna lentement la tête. La silhouette du roi se découpait dans l'encadrement de la porte. Il s'était glissé sans un bruit, comme s'il avait toujours su qu'il la retrouverait ici, dans la solitude de sa chambre.

– « Éliana… » Sa voix, douce mais ferme, la fit frissonner. « Il y a quelque chose que tu veux me dire ? »

Elle sentit son cœur se serrer. Elle savait qu'il avait déjà compris, qu'il avait vu au-delà de son masque de tranquillité. Mais elle n'était pas prête à parler. Pas encore.

– « Je… je suis perdue, Christophe. » Les mots sortaient difficilement, comme si elle avait du mal à les libérer de sa gorge. « Je… je suis enceinte. »

Christophe la fixa un instant, une lueur de compréhension dans ses yeux, suivie d'une expression plus sombre. Il s'approcha doucement d'elle, écartant les mèches de cheveux qui tombaient sur son visage, un geste empli de tendresse mais aussi de sérieux.

Il fut un peu surpris, mais se reprend.

– « Tu n'as rien à craindre, Éliana. » Sa voix était plus basse, plus intime, mais pleine d'une détermination sans faille. « Je te protégerai. Et je protégerai notre enfant. Peu importe ce qu'il adviendra, tu n'es pas seule dans cette épreuve. »

Il posa une main réconfortante sur son ventre, comme s'il voulait déjà poser la première pierre d'une promesse.

– « Je ne peux pas te garantir que tout sera facile. Mais tu peux être certaine d'une chose : je serai toujours là pour toi et pour notre enfant. Même dans l'ombre, même dans les ténèbres. Rien ni personne ne nous séparera. »

Éliana le regarda, son cœur battant plus fort. Les paroles de Christophe réchauffaient son âme, mais la peur était toujours présente, tapie dans un coin de son esprit. Comment allaient-ils vivre, eux, dans ce palais, dans ce royaume où l'ombre du pouvoir et des attentes sociales pesait sur chacun de leurs gestes ?

Mais pour la première fois depuis qu'elle avait appris sa grossesse, un léger sourire se dessina sur ses lèvres, à la fois triste et pleine d'espoir. Peut-être qu'ensemble, ils pourraient surmonter cela. Peut-être que cette vie en elle, bien que secrète, pourrait avoir un avenir, même caché dans l'ombre du palais.

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La lueur des chandelles vacillait dans le bureau du roi, projetant des ombres dans la pièce silencieuse. Christophe, assis derrière son large bureau de bois massif, faisait lentement tourner un verre de rhum entre ses doigts, le regard perdu dans le liquide ambré. Son esprit était en ébullition.

Il était heureux. Heureux d'être à nouveau père. Heureux qu'Éliana porte son enfant. Et pourtant, cette joie était entachée par une inquiétude sourde qui ne le quittait pas.

Le bruit discret d'une porte qui s'ouvre le tira de ses pensées. Un homme entra, vêtu d'un uniforme impeccable, son visage marqué par la sagesse et la loyauté. C'était Jean-Baptiste Rameau, l'un des rares hommes en qui Christophe avait une confiance absolue.

— "Tu sembles soucieux, mon ami." Rameau s'approcha, scrutant le visage du roi avec attention.

Christophe posa son verre sur la table et se passa une main sur le visage.

— "J'ai appris une nouvelle qui aurait dû me combler de joie. Éliana attend un enfant."

Rameau haussa légèrement un sourcil, mais ne sembla pas surpris. Il connaissait Christophe mieux que quiconque et se doutait qu'un jour une liaison interdite éclaterait au grand jour.

— "C'est une nouvelle importante." Il s'assit en face du roi, croisant les bras. "Mais je vois à ton visage que cette joie est troublée par autre chose."

Christophe soupira longuement.

— "Tu sais comme moi que cette grossesse est un danger." Il fit rouler son verre entre ses doigts. "Si Marie-Louise venait à l'apprendre, ou pire, si des rumeurs se propageaient dans la cour… Éliana serait en danger. Et l'enfant aussi."

Rameau acquiesça gravement. Il savait à quel point les intrigues du palais étaient perfides. La reine, bien que discrète, n'était pas une femme à sous-estimer. Et que dire des officiers et des nobles ? Ils se jetteraient sur cette faiblesse comme des chiens affamés.

Après un instant de réflexion, Rameau posa ses mains sur le bureau.

— "Il faut qu'Éliana quitte le palais."

Christophe redressa la tête.

— "Quitter le palais ?"

— "Oui. Pas définitivement, mais le temps que l'enfant naisse." Rameau parlait d'un ton posé et réfléchi. "Elle doit partir à Cap-Henri. Là-bas, elle pourra vivre loin des regards et mettre au monde ton enfant en sécurité."

Le silence s'installa. Christophe fixa son ami, son esprit pesant le pour et le contre. L'idée de voir Éliana partir, même temporairement, lui semblait insupportable. Il s'était habitué à sa présence, à leurs rencontres secrètes, à cette lumière qu'elle apportait dans son monde de responsabilités et de trahisons.

Mais Rameau avait raison.

S'il gardait Éliana ici, il la condamnait.

— "Cap-Henri est un bon choix." Murmura-t-il enfin.

— "J'ai un domaine sûr là-bas." Continua Rameau. "Peu de gens connaissent son existence. Elle pourrait même y vivre sous un faux nom, entourée de domestiques de confiance."

Christophe passa une main sur son menton, réfléchissant.

— "Et après la naissance ?"

— "Alors nous aviserons. Mais pour l'instant, il faut penser à sa sécurité."

Le roi se leva lentement, s'approcha de la fenêtre et observa la cour du palais, où les gardes patrouillaient dans la nuit. Son cœur se serra. Il savait que Rameau avait raison, mais prendre cette décision lui coûtait.

— "Je vais lui en parler."

Rameau hocha la tête et se leva à son tour.

— "C'est la meilleure décision, mon ami. Un roi protège ceux qu'il aime, même si cela signifie les éloigner."

Christophe ferma les yeux un instant. Oui, il protégerait Éliana et leur enfant. Même si cela signifiait se priver de sa présence.

Mais une seule question persistait dans son esprit : Éliana accepterait-elle de partir ?

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La lueur des lanternes projetait des ombres dans le pavillon secret où Éliana et Christophe se retrouvaient loin des regards indiscrets. L'air était chargé d'émotions contradictoires : tendresse, inquiétude, désir, mais surtout une angoisse latente qui pesait sur leurs cœurs.

Éliana était assise sur le lit à baldaquin, ses doigts entremêlés sur ses genoux, tandis que Christophe arpentait la pièce d'un pas lourd, signe de son agitation intérieure.

— "Tu veux que je parte ?" demanda-t-elle enfin, la voix tremblante.

Christophe s'arrêta net, la regardant avec une intensité brûlante.

— "Non." Il fit un pas vers elle. "Jamais je ne voudrais te voir loin de moi."

Elle baissa les yeux.

— "Alors pourquoi ?"

Il inspira profondément et s'agenouilla devant elle, prenant ses mains dans les siennes.

— "Parce que je dois te protéger. Parce que cet enfant que tu portes est aussi le mien, et que je refuse qu'il grandisse sous la menace des intrigues du palais."

Éliana sentit un frisson lui parcourir l'échine. Elle savait qu'il disait vrai. Depuis quelques jours, elle avait remarqué les regards insistants de certaines servantes, les murmures qui s'évanouissaient dès qu'elle entrait dans une pièce. Elle n'était plus invisible.

— "La reine sait-elle ?" demanda-t-elle d'une voix faible.

— "Non. Pas encore. Mais elle se doute de quelque chose." Christophe serra les mâchoires. "Et ce n'est pas seulement elle qui m'inquiète. Il y a aussi mes ennemis, les traîtres tapis dans l'ombre, prêts à utiliser toute faiblesse contre moi. S'ils apprennent ton existence… celle de l'enfant…"

Éliana ferma les yeux. Elle comprenait. Elle comprenait et pourtant, une partie d'elle refusait cette idée. Quitter Christophe, quitter le palais, s'exiler loin de tout ce qu'elle connaissait…

— "Je ne veux pas partir." Avoua-t-elle dans un murmure.

Christophe posa son front contre le sien, sa main caressant doucement sa joue.

— "Moi non plus, je ne veux pas que tu partes." Sa voix était rauque d'émotion. "Mais c'est la seule solution."

Elle ouvrit les yeux et plongea son regard dans le sien.

— "Tu viendras me voir ?"

— "Je le promets."

Le silence s'étira entre eux, empli d'un poids immense. Finalement, Éliana inspira profondément et hocha lentement la tête.

— "D'accord." Sa voix était faible, mais déterminée.

Christophe la serra contre lui, enfouissant son visage dans ses cheveux, respirant son parfum comme s'il voulait en garder la trace à jamais.

— "Je veillerai sur toi. Toujours."

Ce soir-là, ils s'aimèrent avec une intensité nouvelle, celle d'un amour menacé par le temps et la séparation imminente.

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L'aube teintait le ciel d'un bleu pâle lorsque la porte dérobée du palais s'ouvrit en silence. Le claquement lointain des sabots sur les pavés et le grincement du carrosse brisèrent le calme de la nuit finissante. Éliana, enveloppée dans une cape sombre, jeta un dernier regard au palais Sans-Souci, son cœur partagé entre la douleur et l'espoir.

Elle était arrivée ici comme une simple servante, discrète et invisible. Aujourd'hui, elle repartait en maîtresse du roi, portant en elle le fruit de leur amour interdit.

Christophe n'était pas là pour lui dire adieu. Il l'avait prévenue. C'était trop risqué. Il ne pouvait être vu près des quartiers des servantes à cette heure-ci sans éveiller les soupçons. Pourtant, Éliana sentait sa présence dans chaque battement de son cœur, dans le vent tiède qui caressait sa peau.

Elle serra le médaillon qu'il lui avait donné la veille, un bijou en or fin, frappé aux armes du royaume. Un symbole de sa promesse.

— "Prenez soin d'elle." Murmura une voix grave à côté du cocher.

Éliana leva les yeux et aperçut l'homme à qui Christophe avait confié son départ. Un officier loyal, l'un des rares à connaître la vérité. Il lui adressa un bref regard avant de se détourner, signe que le temps pressait.

Elle monta dans le carrosse sans un mot. À l'instant où la porte se referma derrière elle, elle sentit une vague de solitude l'envahir. Le bois craqua sous les secousses, et bientôt, le palais s'éloigna, englouti par l'obscurité et le silence des montagnes.

Le voyage vers Cap-Henri fut long et discret. Peu de haltes, peu de paroles échangées. Chaque village traversé lui rappelait que son monde venait de changer. Désormais, elle n'était plus Éliana la servante. Elle était la mère de l'héritier secret du roi.

Quand enfin le carrosse s'arrêta devant une demeure isolée près de la mer, Éliana descendit avec précaution, une main posée sur son ventre encore imperceptible.

— "Vous êtes en sécurité ici." Lui assura l'officier avant de la saluer et de remonter sur son cheval.

Elle hocha la tête, les yeux brillants de larmes contenues.

Elle était seule. Seule, mais protégée. Seule, mais porteuse d'un amour que personne ne pourrait lui arracher.