Chapitre 11
Trois mois s'étaient écoulés depuis son départ du Palais Sans-Souci. À Cap-Henri, Éliana vivait dans une maison discrète, entourée d'un jardin luxuriant où le chant des oiseaux lui rappelait les journées paisibles de son enfance. Pourtant, son cœur était enchaîné à un autre lieu, à un autre homme.
Son ventre, à présent légèrement arrondi, était la seule preuve tangible de l'amour qu'elle partageait avec Christophe. Chaque jour, elle posait une main sur lui, cherchant du réconfort dans la seule chose qui lui restait de lui.
Le soleil était haut dans le ciel lorsqu'une domestique frappa à la porte de sa chambre.
— "Madame, un messager est arrivé pour vous."
Éliana se redressa immédiatement, le cœur battant.
— "Faites-le entrer."
Un homme vêtu d'une tenue sobre pénétra dans la pièce et s'inclina légèrement. Il lui tendit un parchemin scellé du sceau royal.
— "De la part de Sa Majesté."
Ses doigts tremblèrent alors qu'elle brisait le sceau. Son regard parcourut les lignes tracées à l'encre noire.
"Mon amour,
Chaque jour loin de toi est une torture que seule la pensée de notre enfant à venir apaise. Sache que tu n'es pas oubliée. Tout est en place pour que tu sois en sécurité. Je viendrai dès que je le pourrai. Sois forte, mon Éliana.
— Christophe"
Une larme coula sur sa joue. Il pensait à elle. Il ne l'oubliait pas.
Mais combien de temps encore pourrait-elle supporter cet exil ? Combien de temps avant qu'il ne soit trop tard ?
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Quatre mois plus tard…
Sept mois de grossesse. Sept mois de solitude.
Éliana se tenait près de la fenêtre, une main posée sur son ventre rond. L'enfant grandissait en elle, un héritier clandestin, fruit d'un amour interdit. Depuis son arrivée à Cap-Henri, les jours s'étaient enchaînés avec lenteur. La chaleur tropicale était parfois accablante, et les nuits, bien que calmes, étaient emplies de doutes et de nostalgie.
Elle n'avait reçu que deux lettres de Christophe depuis son départ. La dernière datait d'il y a un mois. Il lui jurait qu'il ferait tout pour la revoir, mais la situation au palais devenait de plus en plus instable. La reine Marie-Louise semblait toujours méfiante, et certains de ses conseillers lui avaient conseillé de renforcer la surveillance autour de lui.
Une domestique entra discrètement dans la chambre, portant un plateau de fruits et d'eau fraîche.
— "Madame, vous devriez vous reposer. Le médecin qui vous a examinée hier a dit que vous deviez éviter toute fatigue."
Éliana esquissa un léger sourire.
— "Je vais bien, Rosalie. J'ai juste… besoin d'air."
Mais en vérité, elle étouffait. Chaque jour loin de Christophe pesait sur elle.
Soudain, un bruit de sabots se fit entendre dans la cour. Éliana se figea. Ce n'était pas un jour de livraison.
— "Allez voir qui c'est." dit-elle à Rosalie.
La domestique hocha la tête et sortit précipitamment. Éliana attendit, son cœur battant à tout rompre. Quelques instants plus tard, Rosalie revint, les yeux agrandis par la surprise.
— "C'est un émissaire du roi. Il veut vous voir en privé."
Éliana inspira profondément avant de hocher la tête.
— "Faites-le entrer."
L'homme qui pénétra dans la pièce était un visage familier : l'officier fidèle à Christophe, celui qui avait supervisé son départ du palais. Il s'inclina légèrement avant de tendre une lettre cachetée.
— "Sa Majesté m'a envoyé en personne. Le roi a un message urgent pour vous."
Les mains tremblantes, Éliana ouvrit la missive.
"Ma chère Éliana,
Le temps joue contre nous. Des rumeurs commencent à circuler, et je crains que notre secret ne soit plus à l'abri pour longtemps. Si quelque chose devait arriver, sache que mon amour pour toi et pour notre enfant ne faiblira jamais. Je te promets que je trouverai une solution.
Prépare-toi. L'heure approche.
— Christophe"
Elle releva les yeux vers l'émissaire, le souffle court.
— "Que dois-je faire ?"
L'homme hésita un instant avant de répondre.
— "Le roi veut que vous soyez prête à partir… au cas où."
Un frisson parcourut son dos. Elle comprit alors que son destin et celui de son enfant étaient plus incertains que jamais.
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La nuit était tombée sur Cap-Henri, enveloppant la demeure d'Éliana d'un voile de silence et de douceur. La lueur des chandelles vacillait sur les murs, projetant des ombres dansantes alors qu'elle était allongée sur son lit, une main posée sur son ventre arrondi. Son enfant bougeait légèrement, comme s'il sentait son impatience, son attente.
Depuis des semaines, elle rêvait de ce moment. De revoir son roi. De sentir la chaleur de ses bras, d'entendre sa voix sans que ce soit au travers de lettres griffonnées à la hâte.
Un bruit de sabots se fit entendre au loin, suivi d'un mouvement discret dans la cour. Son cœur bondit dans sa poitrine. Elle se redressa, tendant l'oreille.
Puis, la porte de sa chambre s'ouvrit lentement.
Christophe se tenait là, vêtu d'un manteau sombre, le visage marqué par la fatigue et l'émotion. Mais dans son regard brillait une tendresse infinie.
— "Mon amour…" murmura-t-il en refermant la porte derrière lui.
Avant qu'elle n'ait eu le temps de répondre, il traversa la pièce et la prit dans ses bras, son étreinte forte, protectrice. Éliana s'accrocha à lui, les larmes coulant silencieusement sur ses joues.
— "Tu es enfin là…" souffla-t-elle contre son cou.
Il s'écarta légèrement pour caresser son visage du bout des doigts, puis baissa les yeux vers son ventre. Un sourire doux étira ses lèvres alors qu'il posait une main sur l'arrondi.
— "J'ai attendu ce moment depuis si longtemps."
Éliana posa sa main sur la sienne.
— "Je croyais ne plus jamais te revoir."
Il soupira, son regard s'assombrissant légèrement.
— "J'ai fait tout ce que j'ai pu pour apaiser les tensions. Il n'y a plus de danger pour l'instant. Personne ne sait que je suis ici ce soir. Je voulais… te voir. Te toucher. Être avec toi, ne serait-ce qu'une nuit."
Elle hocha la tête, incapable de parler tant l'émotion la submergeait.
Il l'aida à s'asseoir sur le lit, puis s'agenouilla devant elle, pressant un baiser sur son ventre.
— "Notre enfant…" murmura-t-il. "Je te jure que je ne le laisserai jamais sans protection. Peu importe ce qui arrivera, il portera mon sang, et il aura un avenir."
Les larmes d'Éliana redoublèrent, mais cette fois, ce n'était pas de tristesse. C'était un soulagement.
Cette nuit-là, pour la première fois depuis des mois, elle s'endormit dans les bras de son roi, oubliant le monde extérieur, oubliant le passé et l'avenir.
Seul comptait cet instant volé, cette paix fragile qu'ils s'offraient l'un à l'autre.
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Quelques jours plus tard…
La nuit était lourde sur Cap-Henri, l'air chargé d'humidité et de tension. Éliana se tordit de douleur sur son lit, les draps imbibés de sueur. Son souffle était court, ses mains agrippant les montants du lit à chaque vague de souffrance qui la traversait.
— "Il faut prévenir le médecin !" s'affola la servante à son chevet.
Éliana hocha faiblement la tête, les larmes coulant sur ses tempes. L'heure était venue. Son enfant allait naître.
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À plusieurs lieues de là, un cavalier filait à toute vitesse sur la route sombre menant à la demeure. Christophe.
— "Plus vite !" cria-t-il à son escorte, son visage fermé par l'angoisse.
Depuis qu'il avait reçu la nouvelle, plus rien n'avait compté. Il avait tout laissé derrière lui, ignorant le danger, la prudence. Rien ne pouvait l'empêcher d'être là. Pas ce soir.
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Quand il arriva enfin, le manoir était en pleine agitation. Des servantes allaient et venaient, transportant de l'eau chaude, des linges propres. Le cri d'Éliana résonna dans la demeure, et Christophe sentit son cœur se serrer.
Il gravit les marches quatre à quatre et entra dans la chambre.
— "Mon roi, vous ne pouvez pas—" commença la matrone, mais il leva une main pour l'interrompre.
Éliana, épuisée, leva les yeux vers lui.
— "Tu es venu…" murmura-t-elle, la voix brisée par l'émotion et la douleur.
— "Où d'autre pourrais-je être ?" répondit-il en s'agenouillant à ses côtés, lui prenant la main.
Il lui embrassa le front, son regard brûlant de détermination.
— "Tu es forte, mon amour. Bientôt, notre enfant sera là."
Elle serra sa main avec une force qu'il ne soupçonnait pas.
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Les heures suivantes furent interminables. La pièce était baignée d'une lumière tamisée, les voix des femmes autour d'Éliana se mêlant au souffle court de la future mère. Christophe ne lâcha jamais sa main, murmurant des mots d'encouragement, caressant son visage quand elle semblait sur le point de s'effondrer.
Puis enfin, un dernier cri.
Le silence.
Puis, un vagissement brisa l'attente.
Une servante tendit à Éliana un petit corps chaud, enveloppé dans un linge blanc.
— "C'est un fils."
Les larmes roulèrent sur ses joues alors qu'elle posait un regard fatigué mais émerveillé sur son enfant. Christophe, le cœur serré, caressa le front du bébé du bout des doigts.
— "Mon fils…"
Sa voix était rauque d'émotion. Il embrassa le front d'Éliana, puis celui du nourrisson.
— "Je te l'avais promis. Je veillerai sur vous."
Mais dans son regard, une ombre persistait. Car il savait que, malgré tout son amour, le monde qui les entourait ne leur permettrait jamais d'être une famille au grand jour.