Quand Ezra ouvrit les yeux, il lui fallut un instant pour reconnecter les morceaux. L'odeur stérile, la lumière trop blanche, le bip régulier d'une machine… Un hôpital.
Il cligna des yeux, la tête lourde, avant d'apercevoir une silhouette affalée sur une chaise, juste à côté de son lit.
— Travis… ? murmura-t-il, la voix rauque.
Son ami releva aussitôt la tête, le regard encore chargé d'inquiétude avant de s'adoucir.
— Bordel, tu nous as foutu une de ces peurs, grogna-t-il en se redressant.
Ezra grimaça en essayant de bouger. Son corps était lourd, comme s'il avait couru un marathon.
— Désolé de vous avoir inquiétés.
— Mais qu'est-ce que tu racontes ? Sérieusement, ne nous refais plus jamais ça, fit Travis en tenant son cœur, comme pour montrer à quel point il avait eu mal.
— Où sont les autres ? finit par demander Ezra.
— Dehors. Attends, je vais les prévenir que t'es réveillé.
N'est-il pas censé prévenir le médecin d'abord ? pensa Ezra, amusé.
Quand les autres entrèrent accompagnés du docteur en charge, Ezra ne put cacher sa déception en ne voyant pas Kael parmi eux. Mais ses amis semblaient soulagés après que le médecin leur ait annoncé les résultats : fatigue et stress, rien de plus. Fallait voir leurs têtes quand ils ont soupiré de soulagement.
Une fois sa perfusion terminée, le docteur demanda à le voir un moment dans son bureau. Il ne restait plus que Travis pour l'attendre, après qu'il ait insisté pour que les autres rentrent se reposer.
Ezra s'assit face au docteur, le regard rivé sur l'écran d'ordinateur tourné vers lui, affichant une silhouette humaine parcourue de lignes bleutées. Il se sentait mieux, et selon les résultats, il n'y avait rien d'inquiétant. Alors pourquoi était-il là ?
— Voici votre profil hormonal avant, expliqua le docteur en affichant une première série de graphiques. Votre taux d'hormones était parfaitement stable, en adéquation avec votre classification de bêta.
Ezra suivait avec attention.
Puis le docteur fit glisser un autre dossier sur l'écran, révélant une nouvelle analyse.
— Et voici vos résultats après votre admission ici.
Ezra ne comprenait pas grand-chose, mais il pouvait remarquer des différences. Est-ce que j'ai attrapé une maladie incurable ? pensa-t-il. Peut-être que le docteur préfère me le dire loin des autres pour me laisser le temps d'encaisser ?
— Vos taux hormonaux ont subi une mutation soudaine. On observe une production accrue de phéromones spécifiques aux omégas, bien que votre corps n'ait pas encore enclenché de cycle de chaleur.
Un silence. Ezra ne comprenait pas.
— Attendez… je vous suis pas vraiment…
Le docteur inspira profondément, posant ses coudes sur le bureau.
— Pour faire court, vous êtes devenu un oméga.
La phrase lui coupa le souffle. Son cœur rata un battement.
— C'est une blague, souffla-t-il en riant nerveusement. Ce n'est pas possible ! Je suis un bêta ! Je l'ai toujours été !
Il s'attendait presque à ce que le docteur le corrige, mais l'homme secoua la tête.
— Il n'y a pas d'erreur, monsieur Cruz. Ce type de transformation est extrêmement rare, mais vos résultats sont clairs.
Ezra serra les poings.
— Mais comment ?!
Le médecin fit défiler d'autres données avant de lui adresser un regard analytique.
— Il semble que vous ayez été exposé à une concentration prolongée et intense de phéromones alpha.
— Je ne comprends pas…
— Êtes-vous en couple avec un alpha, monsieur Cruz ?
Ezra eut un rire nerveux, sans joie.
— Non. Mon petit ami est un oméga et ma dernière relation avec un alpha remonte à bien loin.
Le docteur arqua un sourcil, intrigué.
— Alors, côtoyez-vous régulièrement un alpha ? De manière très proche ?
Ezra ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Comme un éclair dans son esprit, une évidence le frappa de plein fouet.
Kael.
Le médecin nota son expression et hocha légèrement la tête.
— Vous avez trouvé la cause, je suppose.
Ezra resta silencieux, son esprit bourdonnant.
— Ce n'était pas un marquage physique, poursuivit le docteur, mais une imprégnation progressive par les phéromones. Combinée à votre stress et votre épuisement, votre organisme a réagi d'une façon inédite. Vous avez subi une sorte de transformation.
Le choc était trop grand. Ezra se leva brusquement.
— Non. Non, c'est impossible ! Il doit y avoir une erreur !
— Je comprends que c'est difficile à accepter, mais vos résultats ne mentent pas. Pour l'instant, vous ne dégagez qu'une infime quantité de phéromones, mais votre corps s'adapte bien. Vous n'avez pas à vous inquiéter, tout ira bien.
Ezra fit un pas en arrière, sa respiration s'accélérant. Il avait l'impression que le sol se dérobait sous ses pieds.
Il n'était plus un bêta.
Il était devenu un oméga.
Un de ceux que Kael détestait de tout son être.
"Vous êtes sûr que vous n'êtes pas en couple tous les deux ? C'est fou, mais vos paroles ne collent pas du tout."
"Je te jure que je ne serais même pas étonné si je te vois lui passer la bague au doigt, Kael."
"Tu es à moi, rien qu'à moi, Ez. C'est normal que je te protège de ces prédateurs qui ne pensent qu'au cul."
"Ce n'est pas parce que je suis une pauvre vieille dame que vous devez essayer de me berner, les jeunes."
Tous ces souvenirs le frappèrent d'un coup. Alors comme ça, Kael m'avait imprégné de ses phéromones au point que les autres aient pu penser qu'on était ensemble… Ces phrases qu'il prenait pour des plaisanteries.
Le docteur prit le temps de le calmer un peu avant de lui donner sa prescription. Quand il voulut payer, il apprit que quelqu'un qui l'accompagnait avait déjà réglé la note. Alors il prit juste ses médicaments et retrouva Travis à l'accueil.
Ils étaient en route pour rentrer quand son téléphone vibra. Un message de Jonathan. Il demanda alors à Travis de le déposer ici, malgré les protestations de ce dernier.
— Tu m'as l'air tout pâle, est-ce que ça va ? remarqua immédiatement Jonathan une fois assis dans le café.
— Juste un peu de fatigue, sinon ça va. Alors, pourquoi tu voulais me voir ?
Le serveur les interrompit en déposant la commande : un simple café accompagné d'un petit gâteau.
— Tu sais, après ce qui s'est passé… j'ai longuement réfléchi et… il s'interrompit un instant, puis reprit avec un air plus sûr de lui. Je veux qu'on rompe, tous les deux.
Alors vraiment, aujourd'hui, c'était pas son jour, pensa Ezra.
— Qu'est-ce qui va pas ? demanda-t-il, tentant de comprendre.
— Ezra, je sais que tu m'as donné toute l'affection que tu pouvais me donner, et que tu étais sincère sur ce point-là. Mais il y a des choses que je peux pas ignorer. Je suis un oméga, moi. Contrairement à toi, je sens l'odeur de ses phéromones sur toi à chaque fois.
— De quoi tu parles ? demanda Ezra calmement, essayant de saisir où il voulait en venir.
— À chaque fois qu'on était ensemble, il y avait son odeur sur toi. Je sais que tu m'as bien expliqué votre lien, que vous passez beaucoup de temps ensemble. Mais ce qui s'est passé cette nuit-là m'a permis de mieux comprendre certaines choses.
— Y a rien, et n'a jamais rien eu entre nous, et…
— Tu ne parles que de lui, le coupa Jonathan. À chacune de nos discussions, il faut toujours que tu le mentionnes. Dans ses yeux même, tu vois toute la possessivité qu'il te témoigne. Peut-être que tu ne le remarques pas, ou que tu fais semblant de ne pas comprendre, mais moi, je l'ai compris.
C'était vraiment pas son jour. Il sentait sa migraine revenir et n'avait plus le courage de réfléchir à quoi que ce soit, ni même de discuter.
— Mieux vaut qu'on arrête tout maintenant.
Les seuls mots qu'il réussit à entendre avant que Jonathan ne s'en aille.
Alors comme ça, même Jonathan avait vu ce que moi-même je ne voyais pas.