Chapitre 23

Ezra balançait distraitement ses jambes, le regard perdu dans le vide avant de se tourner vers Kael, qui fixait le plafond avec une expression neutre. Le silence entre eux était confortable, comme toujours, mais ce soir-là, Ezra avait besoin d'une réponse à une question qui le rongeait depuis un moment.

— Donc… t'as rien contre le fait que je sois gay ? demanda-t-il soudainement, brisant la quiétude de la pièce.

Kael tourna la tête vers lui, ses sourcils se fronçant légèrement, surpris par la question.

— Bien sûr que non. Pourquoi tu me demandes ça ? répondit-il d'un ton direct, presque blessé qu'Ezra ait pu penser le contraire.

Ezra haussa les épaules, essayant de paraître désinvolte, mais il évitait le regard de Kael.

— Je sais pas… Le gars que t'as recalé l'autre jour, celui qui t'avait proposé de sortir. C'était clairement ton type et pourtant, tu l'as jeté comme une vieille chaussette.

Un sourire amusé effleura les lèvres de Kael alors qu'il secouait la tête.

— Ça n'avait rien à voir avec le fait que c'était un mec idiot, répondit-il calmement. C'était... parce que c'était un oméga.

Ezra le regarda, intrigué, mais ne dit rien. Kael poursuivit, sa voix plus douce, presque nostalgique.

— Tu sais, j'ai aucun problème avec le genre, du moment qu'il y a une vraie connexion. Mais avec les omégas… c'est différent.

Ezra resta silencieux, digérant l'information. Kael, remarquant son silence, laissa échapper un petit rire.

— Disons qu'il s'est passé un truc qui m'a laissé de mauvaises séquelles.

La curiosité d'Ezra s'intensifia, mais il n'interrompit pas Kael, sentant que ce dernier avait besoin de vider son sac.

— C'était pendant des vacances d'été. Mes parents nous avaient emmenés, mes frères et sœurs, et moi, à Capri où ils ont une villa.

— On avait décidé de passer l'après-midi à la plage. Tout allait bien, on s'amusait et prenait du bon temps. Puis, à un moment, je me suis éloigné d'eux, marchant tranquillement sur le sable chaud jusqu'à ce que je les perde de vue.

Kael s'interrompit, son regard se perdant dans le passé. Ezra, suspendu à ses lèvres, ne dit toujours rien. Kael reprit, sa voix plus grave.

— Je m'apprêtais à faire demi-tour quand j'ai aperçu un homme près des rochers, àpeine dans la vingtaine je dirais. Il semblait avoir du mal à respirer. Sans réfléchir, je me suis précipité vers lui pour l'aider…

Il s'arrêta, un sourire amer aux lèvres, avant de tourner la tête vers Ezra, qui le fixait avec un regard empli de curiosité et d'inquiétude.

— … c'était là mon erreur, souffla-t-il. C'était un oméga, et il était en pleine chaleur.

Ezra écarquilla légèrement les yeux, comprenant instantanément où l'histoire allait.

— J'avoue qu'il essayait tant bien que mal de me repousser, continua Kael. Mais moi, têtu comme je suis, je pensais pouvoir l'aider. J'étais persuadé que si je me retenais assez je pourrais l'aider à retrouver les autres.

C'était stupide, hein ?

Il laissa échapper un rire sans joie.

— C'était la première fois que je me retrouvais confronté à ça. J'avais pas peur… ou peut-être que si. Mais ma peur était étouffée par quelque chose d'autre. Mon instinct d'alpha s'est réveillé et, au lieu de m'aider à le protéger, il m'a trahi.

Kael serra les poings sur ses genoux, la mâchoire crispée.

— À voir comme ça je l'ai un peu cherché, pas vrai ? murmura-t-il, plus pour lui-même que pour Ezra.

Ezra secoua la tête, furieux que Kael puisse penser ça.

— Tu es stupide ou quoi ? s'exclama-t-il avant de se pencher pour l'enlacer. Ce n'est pas de ta faute. T'as juste essayé d'aider quelqu'un. C'est tout.

Être bêta le protégeait de ces situations, mais il n'était pas ignorant de ce que Kael avait dû ressentir.

Kael ne répondit pas tout de suite. Il se contenta de rester dans les bras d'Ezra, trouvant un étrange réconfort dans cette étreinte.

— Mes parents ont vite étouffé l'affaire, murmura-t-il enfin. Ils détestent les scandales. Mais moi… j'en suis pas sorti indemne.

Un silence lourd s'installa entre eux, seulement interrompu par Ezra qui murmura, presque pour lui-même :

— Ces fichues chaleurs…

Kael rit doucement contre lui, trouvant un certain réconfort dans sa présence.

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Un bruit sourd provenant de la cuisine fit sursauter Ezra. Il cligna des yeux, réalisant que ce n'était qu'un rêve. Ou plutôt un souvenir, qui s'était invité dans son esprit après cette journée catastrophique.

Il se leva du canapé où il avait échoué la veille, incapable de trouver le sommeil. Il s'avança vers la cuisine, traînant les pieds, et s'arrêta net dans l'embrasure de la porte.

— Ah, mi amor, estás despierto, dit-elle en souriant.

— Sí, mamá, répondit Ezra, la voix encore rauque de sommeil.

— Tiens, bois un peu d'eau. J'y ai ajouté du miel, ça te fera du bien.

Ezra prit le verre, reconnaissant. Sa mère aurait dû être en Belgique pour son petit voyage tranquille, mais dès qu'elle avait reçu son appel désespéré la veille, elle avait annulé son vol pour être à ses côtés.

— Tía Sully a eu un fils, annonça-t-elle en souriant.

— Ah, elle a déjà accouché ?répondit Ezra en s'asseyant sur un tabouret.

— Oui, il est tout mignon, le bout de chou.

Ezra laissa échapper un petit rire.

— D'ailleurs j'ai pris un congé pour toi, ajouta sa mère en le regardant tendrement. Emma était si inquiète qu'elle aurait même pu te laisser toute l'année si tu l'avais demandé. C'est rare que tu tombes malade.

Ezra soupira, posant sa tête contre la table. Il avait eu raison de l'appeler. Sa mère avait cette capacité à le faire sourire, même dans les pires moments.

— On devrait sortir, tu penses pas ? proposa-t-elle soudainement. Faire du shopping, se promener un peu. Tu vas pas te transformer en homme des cavernes juste pour ça.

Ezra leva les yeux vers elle, un sourire moqueur aux lèvres.

— Je te rappelle que c'est toi qui as pris un congé, pas moi, m'dame.

Ils éclatèrent de rire ensemble, et l'atmosphère s'allégea légèrement.

Avec les conseils de sa mère, Kael commençait à accepter cette partie de lui-même qu'il tentait de fuir. Ils passèrent les trois jours suivant ensemble à profiter du moment présent comme deux enfants retrouvant leur innocence. Finalement, Ezra se surprit à apprécier ce temps chez lui, loin d'être aussi mal qu'il l'aurait cru. Le fait que ses phéromones ne se sentent presque pas l'aidait, avec les suppresseurs il redevenait le bêta qu'il a toujours été.

— Viens ici, mi bebé.

— Mamá, arrête avec ces surnoms stupides.

— Tu blesses mon petit cœur, là…

— Pff, comme si c'était vrai.

Elle lui tendit les bras et il vint se blottir contre elle, posant sa tête sur sa cuisse pendant qu'elle lui caressait les cheveux. Ils discutèrent comme de vieux amis.

— Tu boudes toujours ton copain ?

— C'est pas moi qui l'évite, c'est lui. Et pour la millième fois, c'est pas… Bon, j'arrête de te le dire, tu n'en fais qu'à ta grosse tête.

— Pourtant, il semble que tu lui manques. Et pas qu'un peu.

Ezra redressa la tête, intrigué.

— Et comment tu sais ça ? Tu l'as vu ?

— Et alors ? J'ai pas le droit ?

— Si, mais…

— Elena voulait me saluer, sachant que j'étais là…

— Et comment elle savait que t'étais là ? la coupa Ezra, les yeux plissés.

Le visage de sa mère trahit qu'elle s'était fait prendre la main dans le sac.

— Kael, commença-t-elle d'une voix hésitante, il m'appelle presque tous les jours pour prendre de tes nouvelles. Il me demande si je t'ai parlé, si tu vas bien, si tu m'as parlé de lui… Bref. Et avant que tu m'appelles, il m'avait déjà laissé un message pour que je rentre et m'occupe de toi. Mais je pensais pas que ton état était si grave. Ta voix de mort-vivant au téléphone m'a vite fait changer d'avis.

— S'il ne veut pas me voir, pourquoi il se donne tant de mal ?

Elle soupira, caressant doucement ses cheveux.

— Chéri, tu te souviens quand j'avais quitté la maison pour aller chez ta grand-mère parce que ton père m'insupportait ? En réalité, j'étais jalouse. Trop jalouse de sa collègue de travail avec qui il était proche. Je savais qu'il était fidèle, mais je pouvais pas m'en empêcher. Et quand j'ai su pour sa maladie, j'ai terriblement regretté d'avoir perdu ce temps précieux sans le lui consacrer.

— Où tu veux en venir ?

— Ce que je veux dire, c'est que parfois, on agit de manière stupide à cause de nos sentiments. Mais même ces réactions montrent à quel point on tient à quelqu'un. Peu importe qui s'excuse en premier, l'important, c'est de pardonner et d'avancer.