Chapitre 24

Son retour parmi la bande ressemblait presque à une scène sortie d'un vieux film dramatique. On aurait dit qu'il avait passé dix ans dans le coma, tant l'ambiance changea dès qu'il franchit les portes de l'écurie.

- Elles sont classes, ces bagnoles. Comment elles ont atterri là ? lança Kael en scrutant les nouveaux bolides.

- Du calme, mec, tu viens juste de revenir, le taquina Teo avec un sourire en coin.

- C'est juste des bagnoles qu'on nous ramène pour les perfectionner, répondit Danni en s'approchant, Travis à ses côtés.

- C'est toi qui nous as ramené ces donzelles ? T'aurais pu me prendre une part de gâteau à la place, fit Travis avec un clin d'œil provocateur.

- T'as qu'à aller le chercher toi-même, répliqua Ezra, les bras croisés, mais son sourire trahissait son amusement.

L'écurie vibrait d'une énergie particulière. Chaque année, ils ouvraient leurs portes aux jeunes passionnés qui rêvaient de piloter. Certains voulaient en faire une carrière, d'autres cherchaient juste à ressentir l'adrénaline d'une vraie course. Et eux, les pilotes confirmés, étaient là pour les guider.

Le grondement des moteurs résonnait sur le circuit, chaque vibration se répercutant jusque dans la poitrine d'Ezra. Il était appuyé contre la rambarde métallique, les yeux fixés sur les bolides qui défilaient à toute vitesse.

- Il viendra pas aujourd'hui.

La voix de Jane le tira de ses pensées. Elle s'était approchée sans qu'il la remarque, s'adossant à son tour à la rambarde, les bras croisés.

Ezra tourna légèrement la tête vers elle, un sourcil levé.

- Depuis quand t'es la porte-parole de Kael ?

Jane esquissa un sourire en coin, amusée par son ton.

- Depuis que je le vois traîner à la casse à ces heures là.

Elle le regarda de biais.

- Mais t'as déjà remarqué, non ? Ça fait un moment que tes yeux cherchent un fantôme sur cette piste.

Ezra souffla par le nez, un rire bref.

Elle haussa les épaules, laissant planer un silence avant d'ajouter :

- Si tu veux le voir, tu sais où le trouver.

Elle le laissa là, retournant à ses affaires sans un mot de plus. Ezra resta un moment immobile, le bruit des moteurs s'estompant derrière le tumulte dans sa tête.

Finalement, il quitta le circuit.

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La casse s'étendait devant lui, un labyrinthe de carcasses de voitures sous un ciel grisâtre. L'air était lourd, saturé de l'odeur métallique et de la poussière. Ezra n'eut pas besoin de chercher longtemps. Il le repéra rapidement.

Kael était là, assis sur le capot d'une vieille bagnole, le regard tourné vers le ciel. Une silhouette figée dans un décor rouillé.

Ezra s'approcha, ses pas résonnant sur le sol craquelé. C'était la première fois depuis des jours qu'ils se faisaient face, vraiment. Pas un regard volé à travers l'atelier, pas un échange silencieux. Là, ils étaient rien que tous les deux.

- T'es venu faire une œuvre d'art contemporaine ? lança-t-il, sa voix brisant le silence.

Kael tourna la tête lentement vers lui. Son regard croisa celui d'Ezra, mais il garda le silence.

Ezra s'avança encore et prit place à ses côtés, tendant une canette de bière vers lui qu'il avait prise au passage en venant ici.

- Tiens. Ça t'évitera de déprimer dans un endroit pareil.

Kael attrapa la bière sans un mot. Et à ce moment-là, il y eut cette sensation, complètement inconnue.

Une odeur nouvelle flotta dans l'air, imperceptible au début, mais assez présente pour qu'Ezra s'arrête net. C'était frais, comme la brise matinale qui caresse la peau au lever du soleil. Il y avait quelque chose de sauvage là-dedans, un parfum brut, presque primal, mais adouci par des notes plus subtiles, comme un mélange de bois humide après la pluie et d'un soupçon de citrus discret. Ce n'était pas écrasant, juste assez pour s'insinuer doucement, profondément, dans ses sens.

Ezra se figea. Son cœur rata un battement.

C'est quoi ce bordel ?

Il réalisa, d'un coup, ce que c'était. Les phéromones de Kael. C'était la première fois qu'il les ressentait. Avant, en tant que bêta, ces trucs-là glissaient sur lui sans effet. Mais maintenant... maintenant, c'était comme si son propre corps reconnaissait quelque chose qu'il avait toujours ignoré.

Une chaleur sourde monta en lui, incontrôlable. Il détourna les yeux, prit une gorgée de bière, espérant noyer cette fièvre nouvelle.

Le silence s'étira, lourd, pesant. Puis Kael brisa enfin la distance entre eux.

- Pardon.

Le mot flotta dans l'air, inattendu, presque irréel. Ezra tourna la tête brusquement, surpris. Kael qui s'excusait ? Ce n'était pas dans ses habitudes.

- Je... Ezra chercha ses mots, la gorge serrée, la tête encore embrouillée par cette odeur qui refusait de le lâcher. J'ai été dur, moi aussi.

Kael hocha la tête, son regard dérivant vers l'horizon rouillé.

- J'ai cru que c'était fini entre nous. J'ai pas su me contrôler et j'ai fait n'importe quoi.

Ces mots résonnèrent dans la poitrine d'Ezra, lourds de sens.

- Alors on est quittes, souffla-t-il, sa voix plus douce.

Kael tourna à nouveau la tête vers lui, et cette fois, ses yeux étaient différents. Il y avait quelque chose de plus profond, un éclat qu'Ezra n'arrivait pas à décrypter.

- S'il te plaît, n'aie plus peur de t'ouvrir à moi, peu importe ce que c'est.

Ezra resta silencieux. Les mots brûlaient sur le bout de sa langue, mais il n'était pas prêt à les laisser sortir. Pas encore. Alors, il hocha simplement la tête, espérant que ce geste suffirait, au moins pour aujourd'hui.

Ils restèrent là, à discuter de tout et de rien, la tension s'effaçant peu à peu, remplacée par une complicité fragile mais indéniable.

Il l'avait enfin retrouvé... Kael.

Sur le chemin du retour, Kael lança d'un ton moqueur :

- J'espère que vous n'aviez pas rompu à cause de moi.

Ezra éclata de rire, secouant la tête.

- Bien sûr que c'était à cause de toi.

Il jeta un coup d'œil à Kael, un sourire en coin.

Kael haussa les épaules, un sourire discret aux lèvres.

- Tu trouveras quelqu'un d'autre.

Ezra ricana, secouant la tête.

- Ouais, c'est ça.

Arrivés à leurs voitures, Ezra hésita. Il n'avait pas envie de le laisser partir maintenant, ce moment lui semblait trop bref, même s'il savait qu'ils se reverraient demain.

- Ma mère a ramené tes nouilles préférées. Ça te dit de passer ? J'en cuisinerai pour toi.

Kael fouilla dans ses poches, sortant ses clés.

- Pourquoi pas la prochaine fois.

Ezra cacha sa déception derrière un sourire.

- Ouais, une prochaine fois alors.

Kael démarra sa voiture, s'éloignant dans la nuit. Ezra resta là, l'odeur de Kael encore vivante dans son esprit, puis il partit à son tour.