Chapitre 36

La sueur perlait sur le front de Kael. Ses mains, crispées sur le volant, semblaient faire corps avec la machine. Son cœur battait à une vitesse aussi folle que celle de son moteur. Dans ses oreilles, le monde extérieur était réduit à des sons lointains : le rugissement des moteurs, les cris de la foule qui formaient un brouhaha indistinct, la voix de Jane qui résonnait comme un écho.

La dernière ligne droite se profilait. C'était maintenant. C'était le moment où tout allait se jouer.

Le souffle court, il sentit son corps se tendre comme une corde sur le point de rompre. Son pied appuya sur l'accélérateur dans un ultime effort. Chaque muscle de son être était mobilisé, chaque fibre nerveuse était en alerte maximale. Il n'y avait plus de doute, plus de peur, seulement cet instinct brut qui guidait ses gestes avec une précision chirurgicale.

Derrière lui, son rival n'abandonnait rien. L'autre voiture, une silhouette fantomatique dans ses rétroviseurs, était si proche qu'il pouvait presque sentir la pression qu'exerçait son adversaire.

— Allez, Kael, c'est le moment ! grogna Jane dans l'oreillette.

Kael hocha la tête sans répondre, ses mains serrant le volant. La voiture répondait bien, mais il savait qu'il devait rester prudent et très prudent même.

Il sentait sa propre respiration se caler sur le rythme des battements de son cœur, rapide, irrégulière, comme une mélodie incontrôlable. Les secondes s'étiraient en une éternité insupportable.

Dans le stand, personne ne parlait plus. Téo avait cessé de taper nerveusement du pied. L'ingénieur en chef n'osait même plus regarder l'écran, préférant fixer ses doigts tremblants. Kyle, toujours sur la piste mais quelques places plus loin, retenait lui aussi son souffle. Chaque membre de l'équipe, chaque technicien, chaque mécanicien, était suspendu à ce moment précis, à cette fraction de seconde qui allait tout décider.

Puis vint le dernier duel.

L'autre pilote fit une tentative désespérée, se décalant légèrement pour prendre l'intérieur du virage. Une audace risquée. Kael comprit immédiatement l'enjeu : soit il défendait sa position avec une précision millimétrée, soit il perdait tout.

Il ne réfléchit pas. Il agit.

Un coup de volant net. Un blocage parfait. La voiture adverse, obligée d'élargir sa trajectoire, perdit quelques centimètres cruciaux.

Centimètres qui allaient tout changer.

Il jeta un coup d'œil au chrono. Il avait gagné quelques millisecondes de plus, c'était parfait, mais ce n'était pas encore suffisant. Il n'était pas encore à la fin. Il fallait continuer.

Kael replongea sur la trajectoire optimale. Il était devant. À quelques mètres de l'arrivée.

— Allez Kael! rugit Jane.

Dans la voiture, il n'entendit plus rien. Plus un son. Plus un bruit. Juste un silence assourdissant, comme si l'univers entier retenait son souffle avec lui.

Puis il franchit la ligne.

Un flou total.

Était-il premier ? L'autre voiture était-elle passée en même temps ? Impossible à dire. L'écran du tableau de bord ne donnait encore aucun verdict.

Dans le stand, le silence dura une seconde. Une éternité.

Puis un cri.

Un seul cri, suivi d'une explosion de joie.

"Et c'est Kael qui l'emporte ! Quelques centièmes de seconde seulement, mais l'avantage était indéniable. Il aura fallu toute l'intelligence de pilotage et la précision d'un athlète de haut niveau pour le dépasser dans ce dernier combat de vitesse."

L'annonce tomba comme un coup de tonnerre, et une seconde plus tard, le stand explosa. Un chaos euphorique s'empara de l'équipe : des cris, des rires, des étreintes incontrôlées. Certains frappaient des poings sur la table, d'autres levaient les bras au ciel, laissant éclater des hurlements de triomphe. C'était la victoire qu'ils attendaient, celle qu'ils avaient construite à force de travail acharné, de nuits blanches, de sacrifices silencieux.

Oui ils l'avaient encore fait.

Mais ce n'était pas seulement la victoire de Kael. C'était celle de toute l'équipe. Celle d'Epex Lynx, qui venait une fois de plus d'imposer son nom au sommet.

Dans l'habitacle de sa voiture, Kael resta figé une seconde de plus, ses mains toujours crispées sur le volant, comme s'il avait besoin de s'ancrer dans la réalité. L'adrénaline pulsait encore violemment dans ses veines, mais un sourire finit par étirer ses lèvres. Celui d'un homme qui venait de tout donner et qui, enfin, pouvait savourer.

L'épuisement pesait sur ses épaules, son corps criait qu'il avait atteint ses limites, mais la victoire était une drogue trop puissante pour qu'il y prête attention. Il inspira profondément, laissant le poids du moment l'envahir.

Et pas seulement lui. Kyle aussi avait signé un exploit. Troisième place. Lui qui, lors de sa dernière course, n'était sorti que cinquième, avait su s'imposer et grimper sur le podium. Une ascension fulgurante.

— Putain… on l'a fait…

Dans l'oreillette, la voix de Jane était brisée par l'émotion.

— Oui, Kael. On l'a fait.

Les freins crissèrent alors qu'il ralentissait pour rejoindre la voie des stands. Il pouvait déjà voir son équipe l'attendre, les bras en l'air, les yeux brillants d'une fierté indélébile.

Kyle, toujours en course, lâcha dans la radio, mi-amusé, mi-admiratif :

— T'as intérêt à me laisser toucher ce foutu trophée.

Kael éclata de rire, son corps encore secoué par l'adrénaline.

— Viens me le prendre, petit poussin.

Mais pour l'instant, il savourait ce moment. Au milieu de toute cette joie, une pensée lui vint à l'esprit.

Ezra.

Cette promesse qu'ils s'étaient faite, et ce trophée qu'il devait ramener en échange.

Kael baissa légèrement la tête, un grand sourire en coin se dessinant sur son visage. Il avait tenu parole. Il avait remporté cette course, et maintenant… Ezra devait tenir la sienne.

L'excitation de la victoire s'entremêlait à une impatience nouvelle. Il voulait savoir. Il voulait entendre ces mots qu'Ezra lui avait promis.