— Santé ! s'exclama le petit groupe en chœur.
Les verres s'entrechoquèrent dans un tintement cristallin, tandis que les rires et les voix animées résonnaient dans le restaurant. Le restaurant vibrait sous le mélange des conversations et du tintement des verres. L'air portant une bonne odeur de grillades et d'épices.
Cette course avait été une période intense, chargée de pression et de stress, mais au final, ils avaient été récompensés pour leurs efforts.
Oui, ils étaient fatigués après cette journée éreintante, entre la course, la remise des prix et les interviews, mais il était hors de question de rentrer sans célébrer comme il se devait. D'autant plus que de nouveaux sponsors s'étaient manifestés, prouvant une fois de plus que l'écurie gagnait en notoriété. Et, bien sûr, Monsieur-trop-fier-de-lui avait encore lâché une phrase devant les journalistes qui laissait entendre que la victoire, pour lui, n'avait jamais été une question de chance.
Kael était là, pour une fois, monsieur ne s'était pas éclipsé pour ses petites soirées à part. Il était là, à partager ce moment avec eux, un sourire de vainqueur plaqué sur le visage.
— Tout doux, Travis, tu vas finir par t'étouffer, se moqua Mel en le voyant engloutir sa nourriture avec un enthousiasme démesuré.
— C'est notre champion qui paie, laisse-moi lui montrer ma gratitude comme il se doit, répondit Travis avec un clin d'œil.
L'ambiance était légère, détendue. Ils partageaient des anecdotes sur la saison, revenant sur les moments les plus marquants, qu'ils soient glorieux ou désastreux. Le stress était derrière eux, laissant place aux rires et à la satisfaction d'un travail accompli.
Kael s'étira légèrement avant de poser son regard sur Ezra, assis en face de lui.
— Ez, tu viens ? demanda-t-il en désignant le balcon d'un mouvement de tête.
Ezra cligna des yeux, comme s'il n'était pas sûr d'avoir bien entendu, puis, sans un mot, il posa son couvert et se leva.
— Ne partez pas maintenant, on va passer au dessert ! protesta Téo.
— Commencez sans nous, répondit Kael avec son éternel sourire charmeur.
Ils quittèrent la table et se dirigèrent vers le balcon. L'air frais de la nuit les enveloppa immédiatement. De là, ils avaient une vue imprenable sur la ville illuminée, les phares des voitures créant un ballet de lumières en contrebas. Le ciel était dégagé, parsemé d'étoiles, et la lune pleine projetait une lueur argentée sur les immeubles.
Ezra glissa une main dans ses cheveux, ajustant les mèches rebelles. Son wolf cut arrivait à dissimuler au mieux la marque sur son oreille, où il avait appliqué un pansement discret, cachant encore la cicatrice laissée par le marquage. Il savait que tant que ses cheveux le cachaient, tout semblait sous contrôle, mais il était bien conscient que ça ne durerait pas éternellement. Pour l'instant, c'était suffisant.
— C'était quoi déjà, ta constellation préférée ? demanda Kael, brisant le silence.
Sa voix était posée, presque douce, tranchant avec le vacarme de la salle derrière eux.
Ezra, appuyé contre la rambarde, tourna légèrement la tête vers lui.
— Je ne m'intéresse plus vraiment à ça, répondit-il, sa voix calme se mêlant au murmure du vent.
— Ah oui ? Moi qui pensais que tu allais devenir astrologue… ou astronome ? plaisanta Kael. Tu connaissais les noms et les positions des constellations par cœur avant.
— Ouais, et les gens changent. Ils finissent par se trouver d'autres passions, répliqua Ezra d'un ton détaché.
Un silence s'installa. Ils observaient tous les deux les voitures défiler en contrebas. L'air frais de la nuit apaisait la tension accumulée, mais Ezra sentait autre chose : cette odeur familière et enivrante. Depuis son marquage, il était devenu insensible aux phéromones des autres alphas… sauf celles de Kael. À son contact, il avait l'impression de perdre pied.
Kael se tourna vers lui, le fixant avec une intensité inhabituelle.
— Il est temps de respecter notre promesse, tu ne crois pas ?
La lune illuminait son visage, rendant son expression plus lisible que jamais. Il souriait, mais quelque chose dans son regard était différent.
— J'ai tenu parole et j'ai gagné cette course. Maintenant, ma récompense.
— Ce n'est pas comme si tu l'avais gagnée pour moi, rétorqua Ezra en croisant les bras.
— Tu peux être vraiment désagréable quand tu veux, soupira Kael, avant de prendre une inspiration. Bon, je commence alors…
Il marqua une pause, cherchant ses mots.
— Il s'est passé plein de choses ces dernières années... tu as toujours été là, célébrant mes victoires et m'épaulant dans mes rares échecs. Parfois, c'était compliqué entre nous, mais sans toi, je me demande si je n'aurais pas complètement craqué.
Il se redressa légèrement.
— Et...je t'aime, Ez. Énormément.
Ezra sentit son cœur rater un battement. Il ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit.
Il connaissait ses propres sentiments, avait appris à vivre avec, à les enfouir pour ne pas risquer de tout perdre. Mais là, Kael venait de lui avouer ses sentiments. Depuis quand ? Pourquoi maintenant ?
Avait-il fini par se souvenir de cette nuit où ils avaient couché ensemble ? Était-ce une façon de se racheter, une culpabilité mal placée ?
Non. Kael ne fonctionnait pas comme ça.
Ezra détourna le regard, fixant un point imaginaire au loin.
— Je vais quitter l'écurie.
Le silence qui suivit fut brutal.
— Quoi ? fut tout ce que Kael parvint à dire.
— Je vais retrouver ma mère au Mexique et m'y installer. Je voulais te le dire plus tôt, mais je n'avais pas trouvé le bon moment.
Kael passa une main dans ses cheveux, fit quelques pas en avant avant de revenir sur ses pas.
— Et moi alors ? demanda-t-il, sa voix plus dure qu'il ne l'aurait voulu.
— Kael, on s'est vraiment attachés l'un à l'autre, mais on n'est plus des gosses. On a chacun besoin de tracer notre propre chemin.
— Je viens de te dire que je t'aime, bordel ! le coupa Kael, sa voix plus forte cette fois.
Ezra ferma brièvement les yeux.
— Ne dis pas ça juste sous le coup de l'émotion.
— Donc, à tes yeux, je ne suis toujours pas à la hauteur ?
— De quoi tu parles ? Je suis censé être là pour t'empêcher de faire des conneries, pas en faire moi-même.
— Tu n'es pas mon père, Ezra.
Un silence pesant s'installa, brisé uniquement par la circulation en contrebas.
— Alors, dis-moi… Même notre amitié, tout ce temps, c'était juste parce que ta famille t'a demandé de veiller sur moi ?
— Tu sais bien que non.
— J'ai imaginé ce moment un millier de fois… Kael secoua la tête, un rire amer lui échappant. J'ai pris tout mon courage pour t'avouer ce que je ressens, mais je ne m'attendais pas à ce que tu sois si indifférent.
Ezra sentit son estomac se nouer. Il avait mal, horriblement mal. Mais il devait tenir bon.
Kael baissa légèrement la tête. Une larme coula sur sa joue, qu'il essuya d'un geste brusque, comme s'il se maudissait de montrer sa vulnérabilité.
Avait-il ressenti ce lien tout à fait particulier qui les unissait à présent ou avait-il tout rejeter sur l'amitié ou ces sentiments qu'il disait éprouver à son égard? se demanda Ezra.
— Ez…
Il s'approcha, si près que l'air lui-même sembla se charger d'électricité. Mais avant qu'il ne puisse dire autre chose, la voix joyeuse d'Emma résonna derrière eux.
— Hé, venez ! On attend que vous pour couper le gâteau !
Kael détourna le regard, avec regret il recula et, sans un mot de plus, tourna les talons et s'en alla.
Ezra l'observa s'éloigner, le cœur lourd.
— Tout va bien ? demanda Emma en croisant Kael.
— Ouais. Mais il ne s'arrêta pas.
Ezra soupira profondément.
Quelle idée stupide d'avoir cru qu'ils pourraient redevenir comme avant.
"Seigneur, rien ne va…" pensa Ezra en sentant son cœur battre douloureusement contre sa poitrine.
— Allez, viens, on t'attend, l'interpella Emma en le tirant doucement par le bras.
Il n'eut pas la force de résister. Son regard se perdit un instant sur la silhouette de Kael, qui s'éloignait déjà. Ce dernier ne s'était même pas retourné. Ezra pouvait encore ressentir la vague de phéromones qu'il avait laissée derrière lui, mais elles étaient différentes cette fois-ci. Il n'y avait plus cette chaleur familière, cette sensation rassurante qui l'avait toujours enveloppé. Il n'y avait que… de la douleur.
Il prit une profonde inspiration et suivit Emma à l'intérieur du restaurant, où l'ambiance était toujours festive. Pourtant, il se sentait ailleurs, comme si le monde autour de lui s'était mis à tourner trop vite pour qu'il puisse suivre.