Chapitre 38

6h00 AM

Allongé sur le dos, Kael fixait le plafond depuis une bonne demi-heure, les bras écartés, la respiration lourde. L'air frais du matin filtrait à travers les rideaux entrouverts, projetant des ombres pâles sur les murs de sa chambre.

Dans son esprit, la conversation de la veille dans sa voiture tournait en boucle, comme un disque rayé.

— Tu comptes vraiment partir, ou c'est juste une excuse pour fuir tes propres sentiments ?

— Arrête, Kael.

Ezra avait détourné les yeux, serrant légèrement sa veste entre ses doigts.

— Je respecte tes sentiments, crois-moi. Mais tu ne peux pas vouloir que j'emprisonne ma vie dans la tienne. Je te promets que cela ne changera absolument rien à ce qu'il y a entre nous.

— Ce qu'il y a entre nous… avait murmuré Kael pour lui-même.

Ezra avait relevé les yeux, la mâchoire tendue.

— Notre amitié.

Kael avait serré le volant plus fort, les jointures blanchies par la pression.

— Et tu comptes partir quand ?

— Demain, si tout se passe bien. J'ai déjà réservé mon billet.

Un rire amer échappa à Kael, vide de toute joie. Il avait secoué la tête, le regard rivé sur la route.

— Donc tu avais déjà tout prévu… Et même si je t'avais supplié, les genoux à terre, tu ne serais pas resté.

Ezra n'avait pas hésité une seule seconde avant de répondre :

— Non.

Ce simple mot avait été comme un coup de couteau dans la poitrine de Kael. Il s'était contenté d'hocher la tête.

— D'accord.

Il n'avait plus rien dit jusqu'à l'arrivée devant l'appartement d'Ezra. Lorsque ce dernier était sorti, il s'était arrêté un instant devant la vitre pour lui dire bonne nuit. Kael l'avait ignoré, et avait juste redémarré, filant dans la nuit sans un mot.

Un bourdonnement fit vibrer son téléphone sur le lit à côté de lui, le sortant de ses pensées. Il passa une main sur son visage, tentant d'effacer ces souvenirs, puis se redressa lentement. Le drap glissa sur son torse, exposant sa peau marquée par les draps.

Il ne prit même pas la peine de vérifier son téléphone.

D'un pas lent, il se leva et se dirigea vers la cuisine, vêtu seulement de son boxer. Le carrelage froid sous ses pieds nus lui arracha un frisson, mais il n'y prêta pas attention. Il ouvrit machinalement le placard, attrapa une tasse et fit couler du café noir. L'odeur amère emplit la pièce, se mêlant à la légère brise matinale.

Dans sept heures, Ezra serait à bord de son vol.

Kael ferma les yeux un instant, les doigts crispés autour de la tasse brûlante. Une part de lui espérait encore un miracle, un retournement de situation digne d'un drama où le protagoniste réalise à la dernière minute qu'il ne peut pas laisser partir l'amour de sa vie.

Mais il savait que ça n'arriverait pas. Ezra était du genre à prendre des décisions et à s'y tenir.

Les autres avaient protesté contre son départ. Après quelques larmes et des adieux forcés, ils avaient fini par accepter. Mais lui… il n'avait rien fait. Il n'était pas allé lui dire au revoir, et il n'irait pas. Il ne pouvait pas. Assister au départ de la seule personne qu'il aimait réellement ? Regarder Ezra lui tourner le dos et disparaître ? Non. Il n'avait pas cette force.

Même l'idée folle de partir avec lui lui avait traversé l'esprit. Mais il s'était ravisé. Si Ezra s'en allait, c'est qu'il voulait mettre de la distance entre eux.

Alors il ne fit rien.

Il porta sa tasse à ses lèvres et prit une gorgée. Trop chaud. Il ne sentit presque pas la brûlure sur sa langue.

Il resta debout un instant, le regard perdu sur l'écran de la télévision allumée sur une chaîne quelconque. Il n'écoutait pas vraiment. Il voulait juste du bruit, quelque chose pour combler le vide.

Aéroport international de Cancún

Ezra avançait d'un pas rapide, traînant sa valise derrière lui. Le hall de l'aéroport était animé, des voyageurs pressés, des annonces diffusées au micro, des familles qui s'embrassaient avant un départ.

Au loin, il aperçut une silhouette familière.

_ Mamá… je t'avais dit que ce n'était pas la peine de venir, lança-t-il en s'approchant.

Gabriela croisa les bras, un sourire malicieux aux lèvres.

_ Ne me gâche pas mon plaisir, mi amor. Et puis, j'avais du mal à croire que tu allais vraiment laisser ton copain derrière toi pour venir ici.

Ezra roula des yeux avant de l'étreindre. Son parfum familier, un mélange de jasmin et de vanille, lui apporta un réconfort qu'il n'avait pas ressenti depuis longtemps.

Ils se dirigèrent vers la voiture de sa mère, et à peine installé, Gabriela attaqua.

— Et tu comptes rester longtemps ?

Ezra soupira, posant sa tête contre l'appui-tête.

— Quoi, tu me repousses déjà ?

Sa mère haussa un sourcil.

— Je trouve ça louche, moi... Je te préviens, si c'est juste une querelle amoureuse, tu descends de cette voiture, tu prends un vol et tu retournes d'où tu viens. Tu ne vas pas venir te cacher ici, ¿entiendes?

Ezra ferma les yeux, exhalant lentement. Son cœur lui faisait mal, et son estomac était noué.

— J'ai juste besoin de me retrouver, souffla-t-il.

Gabriela comprit immédiatement que ce n'était pas une décision prise à la légère. Elle n'insista pas. Elle le connaissait trop bien pour ne pas comprendre que quelque chose avait du profondément le bouleversé. Elle changea donc de sujet, son ton devenant plus léger.

— Ton cousin Felipe a hâte de te voir !

Ezra hocha la tête distraitement. Son regard se perdit par la vitre. Les rues défilaient sous ses yeux, mais il ne les voyait pas vraiment.

Il ne sentait plus lui même. Un nœud dans la gorge comme s'il se retenait de pleurer, une boule dans l'estomac. Son cœur lui faisait mal. Et pourtant, il n'avait pas fait marche arrière.

Au début il avait prévu de prendre son vol pendant le week-end, il voulait un moment pour souffler, pour mettre de la distance entre lui et Kael, et arrêter cette folie entre eux. Mais hier soir, en le voyant, en entendant ses mots, il avait compris qu'il ne pourrait pas rester et qu'il devait partir le plus tôt que possible.

Il lui avait envoyé plusieurs messages ce matin. Aucun n'avait reçu de réponse.

Il se sentait mal, vidé, comme s'il avait laissé une partie de lui derrière. Était-ce dû à leur lien ? Ou était-ce simplement la douleur d'un cœur brisé ?

Il serra les poings sur ses genoux.

Il ne méritait pas Kael. Ni son amour, ni sa loyauté.

Il avait menti. Encore et encore.

Et maintenant, il fuyait pour de bon.

Un lâche. Voilà ce qu'il était.

Son reflet dans la vitre lui renvoya une image brisée de lui même.