Un bruit sec résonna dans la cuisine quand la lame du couteau rencontra la planche en bois. Kael soupira, ramena la mangue vers lui et la coupa en tranches, cette fois plus lentement. Le jus collait à ses doigts, suintant le long de son poignet avant de goutter sur le bord du comptoir. Il pesta, attrapa un torchon et essuya machinalement sa main sans vraiment y prêter attention.
Il mâchouilla distraitement un morceau, le regard vide, le goût sucré du fruit n'ayant aucun effet sur la boule qu'il avait dans la gorge. Ce n'est que lorsqu'un rire bruyant s'éleva dans la pièce qu'il se rappela qu'il était en appel vidéo avec ses amis. Il redressa l'écran de la tablette posée sur le comptoir et aperçut les visages hilares de Kris et Adrien.
— Tiens, tiens, regardez qui nous fait l'honneur de se pointer enfin à notre appel de groupe ! lança Kris avec un sourire moqueur.
— Désolé, j'avais pas trop le temps avant pour vous appeler, répondit Kael d'un ton neutre en continuant de découper ses fruits.
Adrien éclata de rire.
— Qu'est-ce qu'il nous sort celui-là ? On sait très bien que tu ne fous carrément rien chez toi. T'es occupé à pleurnicher dans ton coin comme une mauviette, c'est ça ?
Les deux se mirent à ricaner, mais Kael ne releva même pas. Il se contenta de prendre une autre tranche de mangue et de la mâcher lentement. Il n'avait pourtant même pas faim.
— Non mais sérieusement, qu'est-ce qu'ils ont fait à notre champion ? Rends-nous notre cher Kael Vesper ! s'exclama Kris, théâtral, la main sur le cœur.
Kael plissa les yeux.
— Quoi ? lâcha-t-il, levant les yeux vers l'écran.
— Franchement, reprit Adrien, que tu lui aies avoué tes sentiments, ça nous surprend pas tant que ça. Non mais carrément pas du tout.Depuis qu'on te connaît, tu l'as toujours traité comme si c'était ta meuf.
Kael haussa un sourcil mais ne dit rien. Il connaissait leur humour. Il savait aussi qu'ils n'avaient pas totalement tort.
— T'as même fait fuir tous les alphas qui osaient s'intéresser à lui, ajouta Kris. Avoue-le, t'étais en mode territoire marqué depuis le début… Le pauvre bêta, et dire qu'il ne s'en rendait même pas compte.
Kris enchaîna, l'air faussement agacé :
— Ouais, même pour nous, c'était chiant. Je te jure que si t'étais pas mon pote je t'aurais fait ravaler tes phéromones mon vieux.
Kael serra les dents, mais ne réagit pas. Il attrapa distraitement un verre d'eau posé sur le comptoir et en but une gorgée.
— Mais le plus ouf dans l'histoire,c'est qu'il ait choisi de partir au lieu d'affronter ses sentiments. Adrien laissa planer un silence avant d'ajouter : Ça se voyait à des kilomètres qu'il était également à fond sur toi.
Kael s'arrêta de mâcher. Il posa lentement son verre, ses doigts se crispant légèrement autour du bord.
— Arrêtez de dire n'importe quoi, lâcha-t-il enfin, le regard sombre.
— Du n'importe quoi ?! s'offusqua Kris. On dit que l'amour rend aveugle, mais toi, t'es devenu encore plus con que d'habitude ! Même Adrien, quand il est saoul, a plus de bon sens que toi en ce moment.
Adrien haussa les épaules.
— Alors toutes ces fois où la jalousie se lisait sur son visage quand tu étais entouré de tes conquêtes, ça te dit rien ? Ou cette fois où tu te faisais littéralement bouffer la queue au MC Pearl ? Tu vas me dire que t'as pas remarqué comment il te fusillait du regard ?
Kael détourna les yeux, visiblement tendu.
— Ah, et on ne va même pas parler de cette fois où il se dépêchait de justifier sa relation avec son pote de l'écurie, là… Comment il s'appelle déjà ?
— Travis, répondit Adrien du tac au tac.
— Ouais, Travis, reprit Kris. Il voulait surtout pas que tu te méprennes sur leur relation. Et toutes ces autres fois…
Kael passa une main sur sa nuque. Il avait chaud, soudainement.
— Parce que j'étais son meilleur ami, grogna-t-il. Oui, c'est vrai, on s'est laissés aller quelques fois, mais pour lui, je reste juste un ami.
Adrien soupira lourdement.
— Oh putain, vous êtes insupportables tous les deux ! Depuis tout ce temps, vous vous cachez derrière cette soi-disant amitié. Non mais franchement...
Kris, cette fois, ne rigolait plus vraiment.
— Continuez à agir comme des gamins et vous allez vraiment finir par vous perdre.
Kael laissa échapper un léger rire amer.
— Je ne peux pas le forcer à m'aimer plus qu'il ne l'a déjà fait.
Un silence s'installa avant qu'Adrien ne lâche, plus sérieux cette fois:
— Alors efforce-toi à l'oublier et reprends tes esprits, pauvre con.
Kris hocha la tête.
— Qui aurait cru que tu deviendrais si stupide ?
Kael passa une main sur son visage fatigué. Pourquoi tout le monde lui mettait ça sur le dos les uns après les autres? Et s'il était réellement celui qui compliquait cette histoire ?
Il inspira profondément et secoua la tête.
— Rejoins-nous ce soir. Y a une soirée chez Peter, dans le Quinze, comme ça tu pourras te changer un peu les idées, proposa Adrien.
Kael ouvrit la bouche pour répondre, mais un bruit strident retentit, interrompant sa phrase.
La sonnette.
Il fronça les sourcils. Qui pouvait bien venir chez lui sans prévenir ?
— On se parle plus tard, je raccroche.
— Attends, t'as pas répondu ! protesta Adrien, mais Kael coupa déjà l'appel. Il posa la tablette sur le canapé et se dirigea vers la porte.
Lorsqu'il l'ouvrit, son cœur manqua un battement.
— Gabriela…
Elle se tenait là sur le seuil, droite, avec cette prestance naturelle qui imposait le respect.
Son visage était attendrissant, oui. Mais aussi grave.
Kael sentit un frisson lui remonter l'échine.
— Il faut qu'on parle.
Son ton était sans appel.
Il resserra les doigts autour de la poignée, hésitant. Pendant une fraction de seconde, il envisagea de lui fermer la porte au nez. Pas par manque de respect, non. Mais parce qu'il ne savait plus comment réagir en sa présence.
Un soupir silencieux lui échappa.
Il finit par s'écarter lentement pour lui laisser l'entrée.
— Entre.