Kael vacilla et s'accrocha à la manche du canapé, son souffle coupé net par la tempête qui ravageait son esprit. Une vague de souvenirs, jusque-là enfouis dans l'oubli, le submergea brutalement. Il revit cette nuit où il s'était laissé emporter par ses instincts les plus primaires, persuadé de ne partager son lit qu'avec un inconnu. Pourtant, c'était Ezra. Ezra qui avait été là, Ezra qui avait enduré cette nuit… et ni lui, ni son frère ne lui avaient jamais rien dit. Mais comme avait il pu passer à côté de ça. La vérité c'est qu'il voulait tellement fuir cette nuit qu'il prenait le fait d'avoir oublier les détails comme une bénédiction et n'avait pas cherché à en savoir plus.
— Non... murmura-t-il, sa voix rauque brisée par l'incompréhension.
Son cœur battait si fort qu'il crut qu'il allait exploser. Chaque souvenir qui resurgissait lui assenait un coup violent, lui ôtant un peu plus d'air à chaque nouvelle révélation. Toutes ces fois où il avait cru sentir l'odeur d'un oméga sur Ezra, toutes ces fois où la jalousie l'avait rongé… Ce n'était donc pas celle d'un autre. C'était celle d'Ezra, son odeur à lui, ses phéromones. C'était lui qu'il avait désiré, lui qu'il avait marqué.
Un goût amer se répandit dans sa bouche. Tout ce qui avait suivi était donc inévitable. Ce n'était pas un simple hasard, ni une mauvaise coïncidence. Ils s'attiraient.
L'horreur s'insinua en lui comme une lame glacée.
Il lui avait fait du mal.
Il l'avait forcé à subir cette nuit, à être noué, marqué contre son gré.
Kael sentit ses jambes céder sous lui. Il s'effondra sur le sol sur ses genoux, incapable de tenir debout sous le poids de cette vérité.
Tout était là, sous ses yeux. Pourtant, il les a ignorés. Même le plus petit des signes était visible. Pourtant, il est passé complètement à côté.
Gabriela se précipita vers lui, posant une main rassurante sur son dos tandis qu'il tremblait violemment. Les phéromones de l'alpha se déchaînaient, incontrôlables, une tempête invisible qui rendait l'air irrespirable.
— J'arrêtais pas de lui en vouloir d'être parti comme ça, mais… c'est vraiment moi qui l'ai fait fuir… J'ai agis comme un monstre… Je n'ai pensé qu'à moi…
Sa voix était rauque, brisée. Il ne se reconnaissait même pas.
— Non, Kael, ne dis pas ça, murmura Gabriela en caressant son dos d'un geste maternel.
Elle le laissa s'effondrer contre elle, ses tremblements s'apaisant peu à peu sous la douceur de ses paroles et la chaleur de son étreinte. Elle le berça comme elle l'aurait fait avec Ezra, avec une tendresse infinie.
Finalement, elle murmura :
— Le truc, c'est... qu'il a aussi appris pour ton mariage prévu. Je l'ai entendu en parler avec son cousin dernièrement… Peut-être qu'il s'est dit que rester te pousserait à aller à l'encontre de tes responsabilités, et il ne voulait pas t'imposer ça.
Kael releva brusquement la tête. Ses yeux brillaient d'une émotion qu'il ne parvenait plus à contenir.
— Mon...mariage ? Mais qui lui a parlé d'une telle chose?
Gabriela le fixa, interdite. Lentement, une lueur de compréhension traversa son regard.
— Donc il n'y avait pas de mariage…murmura-t-elle
Kael ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Son esprit venait de faire un bond en arrière, ramené à la soirée de son dernier anniversaire. Ce soir-là, sa mère n'avait cessé d'insister pour qu'il rencontre quelqu'un. Elle lui avait parlé de mariage avec une insistance étouffante en le présentant à toutes les filles de ses amis, comme si c'était une évidence, comme si son avenir lui appartenait plus qu'à lui-même.
Il se souvenait du ton catégorique qu'elle avait utilisé, des arguments qu'elle avait alignés comme des coups de poignard déguisés en conseils : " Tu es un Vesper, Kael. Tu dois penser à ton avenir, à ta lignée. Un mariage arrangé serait une opportunité, pas un fardeau."
Il se rappelait aussi de la colère sourde qui l'avait traversé à ce moment-là, de la dispute qui avait éclaté lorsqu'il avait refusé tout net. Il ne voulait pas finir avec quelqu'un qu'il n'aimait pas, quelqu'un qu'il ne connaissait même pas.
Et pourtant…
Quelqu'un avait parlé de ce « mariage » à Ezra. Quelqu'un l'avait convaincu que cette union était réelle, inévitable.
Une seule personne aurait pu faire ça.
Ses doigts se crispèrent sur son jean, sa mâchoire se serra à s'en faire mal. Il releva enfin les yeux vers Gabriela, et cette fois, sa voix était plus rauque, chargée d'une colère contenue.
— Ma mère.
Cancún 15h
— Je te jure, il s'est encastré direct dans le TecPro. Ce gamin pense vraiment qu'il est le prochain Kael Vesper, ma parole !
À l'autre bout du fil, la voix de Travis résonna d'un rire moqueur.
— Laisse-le vivre son rêve, répondit Ezra avec amusement. Kael était aussi têtu que lui au début, et pourtant, ça ne l'a pas empêché d'atteindre le sommet.
— Faudrait déjà qu'il reste en vie et en un seul morceau, surtout, grommela Travis. L'autre con avait bien fini par se reprendre après quelques bonnes claques.
— Mais oui, c'est ça, rigola Ezra.
Il porta son cocktail à ses lèvres, savourant la sensation fraîche et sucrée du mélange sur sa langue. L'air marin, chargé de sel et de soleil, caressait sa peau nue.
— Sinon, toi, ça va ? demanda Travis après une courte pause.
— Ouais, l'air est agréable ici. Si tu viens faire un tour, tu ne voudras plus repartir. Il y a des meufs trop canons.
Il savait que Travis ne résisterait pas à cette remarque. Comme prévu, il entendit un bruit de gorge étranglé à l'autre bout du fil.
— T'es sérieux ?!
Ezra éclata de rire.
— Ouais mais elles ne risquent pas de s'intéresser à ta tronche.
— Tss, enfoiré, marmonna Travis.
Puis, plus sérieusement :
— Il ne te parle toujours pas ?
Ezra savait exactement de qui il parlait. Son sourire s'effaça légèrement.
— À sa place, je serais aussi fâché. Donc je ne lui en veux pas vraiment...Je lui laisse le temps.
— Et ça risque de durer encore longtemps ?
Ezra haussa les épaules, même si Travis ne pouvait pas le voir.
— Juste le temps qu'il lui faudra… pour me pardonner et passer à autre chose.
Un soupir exaspéré résonna à l'autre bout du fil.
— Vous êtes trop dramatiques, tous les deux vous savez ça !
— Ouais je sais.
Un silence s'installa avant que Travis ne reprenne :
— Bon, faut que je te laisse, ça fait plus d'une demi-heure qu'on est au téléphone.
— T'inquiète.
— Ah, tiens, ta mère est là ? Passe-lui mon bonsoir.
Ezra secoua la tête.
— — Elle doit être à des kilomètres d'ici. Elle est partie rendre visite à une amie de longue date. Tu la connais, elle n'est pas faite pour rester à une place fixe.
— Ah, OK. À son retour alors.
— Ouais, j'y manquerai pas.
— Allez, prends soin de toi.
— Toi aussi.
Il raccrocha et leva les yeux vers la mer, observant ses cousins s'éclabousser joyeusement dans les vagues.
Il resta sous son parasol, savourant son cocktail, feuilletant un catalogue de voitures. Il aurait pu les rejoindre, mais il préférait la tranquillité. Son short noir contrastait avec sa peau dorée par le soleil, et ses muscles parfaitement dessinés attiraient l'attention des filles qui passaient près du campement.
Une petite voix l'interpella soudainement :
— Grand frère, tu peux m'aider à mettre de la crème sur mon dos, por favor?
Elle lui tourna le dos et tapota sa peau nue.
— Je n'arrive pas à en mettre ici et là aussi!
Ezra éclata de rire.
— Venga, vamos.
Il prit le tube de crème et étala doucement la lotion sur sa peau fragile.
— Y listo, señora.
Francesca, la fille de son cousin germain Dimitri, le regardait avec des yeux brillants. Minuscule pour ses huit ans, elle était malicieuse et attachante.
Elle rit, dévoilant ses deux dents manquantes, et posa un bisou bruyant sur sa joue en guise de remerciement.
Puis, soudain, elle prit un air grave et le fixa intensément.
— Nooo grand frère, tu devrais pas laisser les autres voir ton corps comme ça.
Ezra haussa un sourcil, amusé.
— Pourquoi ? On est à la plage. Tout le monde est pareil, même toi, tu portes un maillot de bain.
— Sí, pero...faut pas prendre exemple sur les autres ! Mira papa, là-bas. Il porte une chemisette parce qu'il sait que mamá serait trop trop jalouse si d'autres personnes le regardaient en son absence. Donc tu dois faire pareil pour que ta novia soit pas jalouse !
Ezra éclata de rire.
— Grand frère n'a pas de chérie, tu sais. Il n'y a que toi.
Francesca ouvrit grand les yeux.
— Oh lala, alors là, ça craint ! Tu vas vieillir tout seul dans ton coin !
Ezra la saisit en riant et commença à lui faire des chatouilles, la faisant se tortiller et éclater de rire.
— D'où tu sors tout ça, toi ?
Elle rigolait trop pour répondre.
Finalement, il la souleva et lui déposa un bisou sur la joue.
— Ne t'inquiète pas pour moi, ton grand frère est beau, il trouvera quelqu'un, c'est sûr !
Il lui fit un clin d'œil, et elle hocha la tête, l'air satisfaite.