Chapitre 26 – Promenades et Pouvoirs déchus

Le silence qui avait suivi la proposition de Jiayi était chargé d'une tension presque palpable. Le garde impérial, le conseiller Huang et le précepteur se fixaient avec méfiance, comme si chacun cherchait à percer les intentions de l'autre. Jiayi, pourtant, gardait son calme. Elle connaissait le poids de leur présence, mais aussi l'effet qu'elle avait sur eux. Un mince sourire aux lèvres, elle brisa la glace :

— « Si trois hommes aussi respectés de la cour veulent se battre pour m'accompagner, alors que ce soit pour une promenade civilisée dans la capitale… »

Chacun des hommes hocha lentement la tête. Aucun ne voulait céder, et tous se savaient observés par Jiayi. Xiaolan, quant à elle, ne put retenir un petit rire moqueur en coin, murmurant :

— « Trois coqs dans la même basse-cour, c'est un miracle qu'il n'y ait pas encore de plumes qui volent… »

Ils se mirent en route à travers les ruelles animées. Le marché regorgeait de vie : musiciens ambulants, stands de douceurs, enfants courant avec des cerfs-volants. Jiayi marchait légèrement en tête, suivie de près par les trois hommes, chacun tentant de se démarquer à sa façon. Le garde impérial, silencieux et vigilant, restait à sa droite, comme un rempart discret. Le conseiller Huang, lui, argumentait avec finesse sur la beauté des lieux et la stratégie commerciale de la capitale, espérant impressionner par son érudition. Le précepteur, toujours un livre à la main, citait des poèmes anciens, tentant de capter l'attention de Jiayi sur des vers parlant de beauté et d'intelligence.

Jiayi souriait, mais son esprit était ailleurs. Malgré cette agréable mascarade, elle savait que la cour n'oubliait jamais. Chaque sourire était une stratégie, chaque regard, une manœuvre.

Pendant ce temps, dans l'enceinte glaciale du palais impérial, un autre jeu bien plus cruel se jouait.

***

L'impératrice entra sans être annoncée dans le quartier privé de l'empereur. Ses pas étaient rapides, précis, presque furieux. Lianfei, à quelques mètres derrière elle, peinait à suivre. Les gardes du palais, surpris, s'inclinèrent sans oser la stopper. Quand elle parvint enfin à la salle d'audience intérieure, l'empereur était seul, assis devant une table basse, un parchemin à la main.

— « Tu l'as destitué », lança-t-elle d'une voix glaciale.

Nangong leva lentement les yeux vers elle. Ses traits restaient impassibles, mais son regard brillait d'une flamme que peu osaient défier.

— « Le ministre Jiang n'est plus digne de ses fonctions. Ce qu'il a tenté de faire n'est pas seulement une trahison envers moi, c'est une trahison envers l'empire. »

L'impératrice s'avança d'un pas, la mâchoire serrée.

— « Il est mon frère. Mon sang. Celui qui a toujours veillé sur moi, même lorsque j'étais seule au palais, alors que toi, tu étais trop occupé à te perdre dans des intrigues. »

— « Et c'est ton sang qui a comploté avec une puissance ennemie pour me faire chuter », répliqua froidement l'empereur. « Dois-je pardonner cela parce qu'il est ton frère ? »

Elle recula légèrement, comme si ses propres émotions l'avaient trahie. Mais elle ne voulait pas fléchir. Elle s'approcha encore, à quelques pas de lui, ses yeux brillants de larmes contenues.

— « Si tu l'abats, c'est une partie de moi que tu détruis aussi… »

L'empereur la regarda longuement. Le silence pesait comme une chape de plomb entre eux. Puis, lentement, il reposa le parchemin sur la table.

— « Je n'ai pas levé l'épée contre lui. Je l'ai seulement retiré du pouvoir. Il restera vivant, mais loin de la cour. »

L'impératrice détourna les yeux, blessée, humiliée. Elle fit volte-face, sa robe de soie effleurant le sol, traînant derrière elle une dignité froissée.

— « Tu crois que tu peux tout contrôler. Même les sentiments. Tu te trompes. »

Elle s'arrêta un instant, sans se retourner.

— « La loyauté se gagne, elle ne s'impose pas. Un jour… tu comprendras. »

Puis elle quitta la pièce, le cœur empli de colère et de chagrin.

***

Pendant que le palais vibrait sous les remous politiques, Jiayi, elle, continuait sa balade entre les effluves de gâteaux de riz et les lanternes suspendues. Les trois hommes à ses côtés rivalisaient d'élégance, et Xiaolan n'en pouvait plus de leurs regards jaloux échangés en silence.

— « C'est moi, ou la guerre pour le trône est moins féroce que celle pour votre cœur, Dame Jiayi ? » plaisanta-t-elle.

Jiayi ne répondit pas tout de suite. Elle regardait au loin, là où les rues se perdaient dans l'agitation.

— « Le cœur… » murmura-t-elle. « On me le dispute, mais personne ne me demande ce que moi, je désire. »

Et elle reprit sa marche, laissant les trois hommes derrière elle, silencieux, troublés, fascinés.