La nuit s'était installée, mais la capitale, elle, refusait de s'endormir. Les rues brillaient d'une multitude de lanternes suspendues, jetant sur les pavés un éclat doré et mouvant. Les cris des marchands, les rires des enfants, les effluves de brochettes grillées et de gâteaux de riz flottaient dans l'air tiède.
Jiayi, entourée de Xiaolan et des trois hommes — le garde de l'empereur, le conseiller Huang et le précepteur Xu —, avançait d'un pas lent. Malgré la fatigue qui alourdissait ses membres, son cœur, lui, était léger. Ce soir, elle voulait oublier la cour, les complots, les regards suspicieux. Juste un soir, être simplement une jeune femme parmi d'autres, respirant l'air libre de la capitale.
Voyant la lueur d'amusement dans les yeux de ses compagnons, Jiayi sourit et lança :
— « Continuons un peu encore... Cette nuit semble vouloir nous offrir un moment unique. »
Les regards complices échangés entre Xiaolan et les trois hommes firent rire Jiayi. Puis, au détour d'une rue animée, elle proposa :
— « Il y a une auberge célèbre tout près. On dit que leur vin de fleurs de prunier est incomparable. Que diriez-vous d'un dîner ? »
Aucun ne protesta. Tous hochèrent la tête avec enthousiasme, même le garde impérial, habituellement si réservé.
Ils marchèrent encore un instant et atteignirent une bâtisse élégante, nichée entre deux grandes maisons marchandes. L'enseigne, peinte de délicates fleurs de prunier, se balançait doucement au gré du vent. De l'intérieur, s'échappaient des éclats de rire, le son doux d'un luth et l'odeur enivrante des plats en train d'être servis.
À peine installés dans un coin discret de la grande salle, protégés par des paravents de soie, ils commandèrent un repas généreux : canard laqué, nouilles sautées, bouillon de légumes, raviolis aux crevettes, riz au jasmin et bien sûr, du vin de fleurs de prunier.
Le repas débuta dans une ambiance joyeuse. Xiaolan commentait chaque plat, les trois hommes échangeaient des piques pleines d'esprit, essayant d'impressionner Jiayi chacun à leur manière. Mais peu à peu, alors que le vin réchauffait les cœurs, une gravité douce s'installa.
Jiayi posa ses baguettes, croisa les mains devant elle, et prit la parole d'une voix posée.
— « Ce soir... je veux être honnête avec vous. »
Le silence tomba autour de la table. Même Xiaolan, habituellement si vive, se fit muette.
Jiayi respira profondément, ses yeux fixés sur la lumière tremblotante des lanternes.
— « Je sais ce que vous ressentez. Ce n'est pas que je ne vois pas... » Elle fit une pause, ses lèvres tremblant à peine. « Mais je ne peux pas. Pas encore. »
Le garde impérial fronça les sourcils, prêt à dire quelque chose, mais se ravisa.
— « Mon cœur a été abîmé, » continua Jiayi d'une voix plus douce. « Mon mariage... n'était qu'une cage dorée. Je croyais trouver du soutien, de l'amour... je n'ai trouvé que solitude et trahison. »
Ses yeux se voilèrent brièvement, des souvenirs douloureux l'effleurant comme des ombres.
Un long silence suivit ses paroles. Les trois hommes écoutaient, profondément émus, respectant la blessure qu'elle exposait avec tant de courage.
Jiayi releva la tête, déterminée.
— « Alors, vous comprenez pourquoi je ne peux pas... offrir mon cœur si facilement. Je dois d'abord me reconstruire. »
Le garde de l'empereur, le regard sombre mais résolu, fut le premier à répondre :
— « Même si cela prend une vie entière, nous attendrons. »
Le conseiller Huang esquissa un sourire doux, presque triste :
— « Le véritable amour ne force jamais. Il veille, il attend, il espère. »
Le précepteur Xu, posant son livre à côté de sa coupe, ajouta avec solennité :
— « Peu importe combien d'années il faudra. Ton bonheur sera toujours notre plus grande attente. »
À ces mots, Xiaolan, les yeux brillants, tapa doucement dans ses mains :
— « Voilà ce que mérite Dame Jiayi ! Rien de moins que des hommes prêts à patienter comme des montagnes immuables ! »
Jiayi éclata d'un rire léger, chassant un peu la lourdeur de ses souvenirs.
— « Vous êtes insensés, » dit-elle en secouant la tête, « mais... votre folie est douce ce soir. »
Elle leva sa coupe de vin de prunes.
— « À la patience, à l'espérance... et à la liberté de choisir son chemin. »
Ils trinquèrent, et pour la première fois depuis longtemps, Jiayi sentit une chaleur sincère, non pas imposée par le devoir ou la peur, mais née d'une bienveillance véritable, l'envelopper.
Sous les lanternes qui oscillaient au gré de la brise nocturne, dans cette auberge nichée au cœur d'une capitale vivante, Jiayi commença à entrevoir qu'après tant de luttes... il était peut-être temps de laisser une brise plus douce guider sa route.