Le tumulte du palais impérial s'était enfin apaisé.
Après les événements dramatiques de la journée, l'Empereur avait regagné ses appartements privés, escorté par le garde Wei et quelques proches conseillers, discutant à voix basse de la sécurité du prince héritier.
Les serviteurs, encore sous le choc, s'étaient empressés de retourner à leurs tâches, cherchant à oublier l'ombre de la trahison qui avait brièvement plané sur le pavillon du jeune prince.
Seuls restaient là, dans la vaste cour silencieuse, deux femmes.
L'Impératrice Mingzhu se tenait droite, son visage lisse et figé comme une statue d'albâtre.
Face à elle, en retrait mais sans courber l'échine, la noble consort Ying caressait doucement son ventre légèrement arrondi.
Un silence glacial s'étira entre elles.
Puis, d'un geste lent, presque affectueux mais lourd de menaces, l'Impératrice avança et posa deux doigts effilés sur le ventre de la consort.
Son sourire, mince et cruel, ne parvint pas à atteindre ses yeux sombres :
— « Prends soin de ton héritier, Noble Consort Ying... » murmura-t-elle d'une voix douce comme la soie mais coupante comme une lame. « Le palais est vaste… et les accidents si vite arrivés. »
La Noble Consort, serrant instinctivement son ventre, sentit son cœur battre avec fureur.
L'Impératrice, satisfaite de son effet, pivota gracieusement sur ses talons et s'éloigna d'un pas calme, sa traîne de soie écarlate balayant le sol derrière elle comme une marée de sang.
Lorsque la silhouette de l'Impératrice disparut au détour du corridor, la Noble Consort Ying releva lentement la tête.
Ses yeux, brillants de fureur froide, fixaient l'endroit où Mingzhu avait disparu.
Un éclat de défi, implacable, dansait dans ses prunelles sombres.
— « Nous verrons bien… qui rira la dernière. » murmura-t-elle entre ses dents serrées.
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Pendant ce temps, loin des intrigues du palais, au Manoir des Shen, l'ambiance était toute autre.
Jiayi, après avoir quitté le palais sous bonne escorte, était rentrée avec Xiaolan, sa fidèle servante.
Le manoir, baigné par les dernières lueurs du crépuscule, semblait accueillant et serein après les tensions de la cour.
Les domestiques s'étaient alignés à l'entrée pour accueillir leur maîtresse, soulagés de la voir revenir saine et sauve.
Dans le grand salon privé, Jiayi s'affala élégamment sur une méridienne, riant doucement, enfin libre de respirer sans la pesanteur des regards impériaux.
Xiaolan, toujours nerveuse, arrangeait les coussins autour d'elle.
Après un moment de silence, Jiayi tourna vers elle un regard espiègle.
— « Xiaolan, » dit-elle en tapotant légèrement la place vide à côté d'elle, « tu as bien mérité un peu de repos, toi aussi. »
Xiaolan rougit, maladroite, et s'assit timidement.
Jiayi l'observa un instant, puis, un sourire taquin étirant ses lèvres, lança malicieusement :
— « Alors ? Parle-moi de ce cher cuisinier... Ce jeune homme n'aurait-il pas volé ton cœur pendant que je risquais le mien au palais ? »
Xiaolan sursauta, les joues s'embrasant comme deux pivoines en pleine floraison.
— « M-maîtresse... ce n'est pas... ce n'est pas ce que vous croyez... » bégaya-t-elle en triturant nerveusement le tissu de sa robe.
Jiayi éclata de rire, un rire clair, libre, qui chassa toute tension.
— « Oh ? » s'amusa-t-elle. « Ce n'est pas ce que je crois ? Pourtant, la dernière fois que je t'ai surprise dans les cuisines, tu avais l'air de trouver la soupe bien plus délicieuse lorsqu'il la préparait, non ? »
Xiaolan cacha son visage entre ses mains, incapable de répondre.
Jiayi, attendrie, lui tendit une main douce :
— « Allons, ma chère Xiaolan. Tu es jeune. Si tu ressens de l'affection, n'aie pas peur. Le bonheur, même dans un monde aussi cruel que le nôtre, doit être saisi sans hésitation. »
Xiaolan osa enfin relever la tête, les yeux brillants d'une émotion sincère.
— « Il... il m'a promis de me préparer des boulettes sucrées demain... » murmura-t-elle timidement.
Jiayi rit de plus belle, tapotant affectueusement sa main.
— « Voilà un début prometteur ! »
Le vent du soir fit bruisser les stores de soie, apportant avec lui l'odeur des fleurs de prunier du jardin.
Pendant un instant précieux, tout semblait simple.
Mais Jiayi savait que derrière cette paix passagère, les sombres machinations du palais continuaient de tisser leur toile.
Et elle, désormais si proche du prince héritier, était plus que jamais dans la ligne de mire.
Pourtant ce soir-là, elle choisit de savourer cette pause, de rire encore, et d'encourager Xiaolan à vivre son premier amour, pendant que, dans l'ombre, l'Empire frémissait.