Le matin naissait à peine sur le manoir des Shen, baignant les couloirs d'une lumière dorée et tiède. Jiayi, encore dans ses appartements privés, s'étirait doucement, savourant la quiétude de l'aube, lorsque la porte s'ouvrit discrètement.
Xiaolan, radieuse, entra dans la chambre avec la vivacité d'un oiseau printanier.
Ses joues étaient roses, ses yeux brillaient d'un éclat heureux, et un léger sourire flottait sur ses lèvres, trahissant son humeur exquise. Elle portait son tablier de servante, mais ses gestes étaient presque dansants, comme si elle effleurait le sol.
Jiayi, installée devant son miroir, ne perdit pas une seconde pour remarquer son état.
— « Oh, mais qui voilà, toute pompette dès l'aurore ? » taquina-t-elle en levant un sourcil amusé. « Xiaolan, aurais-tu bu du vin de fleur toute la nuit, ou est-ce simplement l'amour qui t'enivre ainsi ? »
À ces mots, Xiaolan devint aussi rouge qu'une grenade mûre, bafouillant, ses mains tremblant légèrement autour de la brosse à cheveux.
— « Je… je… maîtresse ! Ce n'est pas… ce n'est pas ce que vous croyez ! »
— « Vraiment ? » répondit Jiayi, son ton moqueur adouci par la bienveillance dans ses yeux. « Je n'ai rien dit de précis… Serait-ce donc une confession, ma chère Xiaolan ? »
Xiaolan baissa la tête, incapable de soutenir le regard rieur de sa maîtresse, tandis que Jiayi éclata d'un rire cristallin.
Le joyeux moment fut cependant interrompu par un éclat de voix venant du jardin.
L'intendante, une femme stricte mais juste, passait en revue le personnel du manoir. Son visage fermé et son ton sévère ne laissaient place à aucun doute : elle était furieuse.
— « Comment se fait-il que l'arrière du jardin soit encore en désordre ? » tonna-t-elle. « Et les cuisines ? En rupture d'ingrédients ? Quelle honte ! Vous croyez que la maison Shen se gère au hasard ? »
Les servantes baissaient la tête, honteuses, et les cuisiniers se tortillaient nerveusement.
Voyant l'ambiance se tendre dangereusement, Jiayi sortit calmement de ses appartements.
Avec son habituelle grâce naturelle, elle s'approcha de l'intendante et du personnel.
— « Allons, intendante, ne soyons pas trop dures ce matin. » dit-elle avec un sourire paisible. « Un contretemps peut arriver. Et nous allons le régler ensemble, n'est-ce pas ? »
Son ton était doux, mais empreint d'une autorité tranquille que chacun respectait profondément.
Elle répartit rapidement les tâches : certaines servantes furent envoyées nettoyer l'arrière du jardin, tandis qu'elle proposa de régler personnellement la question des provisions.
Les membres du personnel, soulagés, la remercièrent à plusieurs reprises.
— « Merci, Maîtresse Jiayi ! Votre générosité nous sauve ! »
L'intendante, bien que stricte, ne put s'empêcher d'incliner légèrement la tête devant Jiayi, en signe de gratitude.
Quand tout fut organisé, Jiayi se tourna vers Xiaolan et lui lança un clin d'œil complice :
— « Xiaolan, et si tu accompagnais Zhufan pour l'approvisionnement en ville ? »
À l'instant même où elle prononça ces mots, Xiaolan et Zhufan, qui passaient justement par là, se figèrent sur place, se regardant comme deux chevreuils surpris dans la lumière.
Le visage de Xiaolan s'illumina de bonheur, tandis que Zhufan, d'ordinaire si réservé, ne put empêcher un large sourire de naître sur ses lèvres.
— « Bien entendu, maîtresse ! » répondit Xiaolan avec empressement.
— « Je vous confie une tâche importante alors, » ajouta Jiayi, malicieusement. « Choisissez les meilleurs produits de la capitale. »
Voyant ses deux jeunes subalternes aussi heureux qu'un couple d'amoureux clandestins, Jiayi se détourna avec un petit rire discret.
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Libérée de ses responsabilités immédiates, Jiayi décida alors de profiter du calme retrouvé pour s'adonner à l'art qu'elle affectionnait tant : l'escrime.
Sous le grand saule du jardin principal, elle sortit son épée fine et légère, cadeau précieux de son père. Le soleil naissant faisait étinceler la lame comme une rivière d'argent.
Ses mouvements étaient fluides, élégants, une danse précise entre puissance et souplesse. Chaque coup tranchait l'air avec grâce, témoignant de son entraînement rigoureux.
Pendant de longues minutes, elle oublia tout : les intrigues du palais, les regards jaloux, les complots silencieux.
Il n'y avait plus que le son doux de ses pas sur l'herbe et le sifflement clair de la lame.
C'est alors qu'un bruit de pas précipités brisa la quiétude du jardin.
Essuyant légèrement son front, Jiayi se tourna vers l'entrée.
Un garde en uniforme officiel approchait d'un pas rapide.
C'était Wei Yanzhao, le fidèle garde de l'empereur, reconnaissable à son port fier et son regard d'aigle.
Il s'inclina respectueusement avant de prendre la parole :
— « Maîtresse Shen Jiayi. J'ai reçu l'ordre de Sa Majesté l'Empereur… de vous transmettre un message important. »
Jiayi rengaina son épée avec élégance, son cœur battant légèrement plus vite.
Un ordre impérial si tôt le matin ? Quelle pouvait être la raison ?
Souriant avec calme, elle répondit :
— « Très bien, Garde Wei. Parlez. »
Dans le silence suspendu du jardin, Wei Yanzhao s'apprêta à révéler ce que l'empereur attendait désormais d'elle.