La lumière dorée du crépuscule baignait les hauts murs du palais impérial, teintant de pourpre les tentures lourdes des quartiers de l'Empereur.
Dans cet écrin silencieux, où seuls quelques murmures osaient troubler l'air, Nangong Liwei se tenait debout, tournant le dos à ses deux plus fidèles alliés : le garde Wei et le conseiller Huang.
Il contemplait la vaste étendue des jardins depuis la fenêtre ajourée, ses mains croisées dans le dos.
Derrière lui, la discussion allait bon train, à voix basse, mais chargée d'une tension à couper au couteau.
— « Le retour du ministre Jiang n'est pas une simple coïncidence, » grondait le garde Wei, son visage habituellement impassible déformé par la colère.
Son armure sombre renvoyait les dernières lueurs du jour, comme si elle absorbait la lumière elle-même.
— « C'est une manœuvre savamment orchestrée, » renchérit le conseiller Huang, les bras croisés, l'expression grave.
Son regard rusé luisait d'un éclat inquiet.
— « L'Impératrice Mingzhu n'a jamais réellement abandonné. Elle se terre dans l'ombre, ourdissant ses plans. Jiang n'est qu'un pion de plus sur l'échiquier. »
Le garde Wei serra les poings.
— « Nous aurions dû l'écarter définitivement lorsqu'elle a perdu la première fois, » cracha-t-il. « Maintenant, elle revient, plus forte. »
Le conseiller Huang fit lentement le tour de la pièce, ses pas mesurés résonnant sur le sol de marbre.
— « Le palais est en ébullition, » poursuivit-il. « Chaque ministre, chaque eunuque, chaque servante murmure dans les couloirs. Les clans se reforment. Les vieilles loyautés refont surface. Certains voient en Jiang un sauveur pour rétablir un équilibre plus… favorable à leurs propres intérêts. »
Il se pencha légèrement vers Wei, parlant encore plus bas.
— « Si nous ne réagissons pas vite, la cour entière pourrait glisser entre nos doigts. »
Le garde Wei lança un regard inquiet vers l'Empereur, toujours silencieux, comme une statue de jade.
— « Votre Majesté, » dit-il finalement, brisant le silence, « donnez l'ordre, et nous ferons taire cette menace. »
Mais l'Empereur ne répondit pas immédiatement.
Ses yeux sombres fixaient l'horizon, au-delà des murailles, là où la tempête grondait encore lointainement.
Enfin, d'une voix calme mais pleine d'une autorité glaciale, il déclara :
— « Laissons-les croire qu'ils tiennent la cour dans leurs mains. Nous frapperons au moment opportun. Et cette fois… il n'y aura plus de pardon. »
Un frisson parcourut la pièce.
La guerre froide venait de commencer.
***
Pendant ce temps, dans les quartiers raffinés de l'Impératrice Mingzhu, l'atmosphère était tout autre.
Un parfum subtil de fleurs de prunier flottait dans l'air, et le clapotis régulier d'une petite fontaine de jade accompagnait le bruissement du vent dans les tentures de soie.
Assise avec une grâce souveraine, l'Imperatrice Mingzhu sirotait son thé favori, un rare thé blanc infusé avec des pétales de pivoine.
Son visage parfait, encadré par de lourds cheveux noirs, ne trahissait aucune émotion.
C'est alors que la porte coulissante s'ouvrit doucement.
Lianfei, sa servante dévouée, entra en toute hâte.
Elle s'agenouilla prestement et baissa la tête.
— « Majesté, » dit-elle avec respect, « je viens vous rapporter ce qui s'est déroulé aujourd'hui à la salle d'audience. »
Mingzhu leva paresseusement une main, l'autorisant à parler.
D'une voix soigneusement maîtrisée, Lianfei raconta comment le ministre Jiang était revenu, comment l'Empereur n'avait pas exprimé d'opposition manifeste, et comment la cour s'était enflammée de rumeurs et de tensions.
À chaque mot, le sourire de Mingzhu s'élargissait, presque imperceptiblement.
Enfin, elle reposa sa tasse, émettant un cliquetis délicat.
— « Comme prévu, » murmura-t-elle d'une voix douce, mais chaque syllabe résonnait comme le battement d'un tambour de guerre.
Elle effleura le rebord de sa tasse du bout des doigts, pensive.
— « Laissez-les s'agiter. Plus ils se débattent, plus la soie de ma toile se resserre autour d'eux. »
Lianfei resta silencieuse, impressionnée par la froide détermination de sa maîtresse.
Mingzhu, elle, continuait de savourer son thé, comme si le destin de l'empire tout entier n'était qu'une partie d'échecs particulièrement divertissante.
***
Au manoir Shen, loin de la tourmente du palais, une autre scène se jouait.
La cour du manoir, baignée de lumière douce, résonnait du chant discret des cigales.
Jiayi, après une longue séance d'entraînement, s'apprêtait à profiter d'un moment de répit lorsque l'annonce d'un visiteur inattendu la fit se redresser.
Un serviteur accourut :
— « Maîtresse, un invité est arrivé. »
Jiayi, méfiante par habitude, fronça légèrement les sourcils.
— « Qui est-ce ? » demanda-t-elle.
Le serviteur s'inclina profondément.
— « Votre grand-oncle, Shen Ruotian. »
À ces mots, le cœur de Jiayi manqua un battement.
Shen Ruotian.
Le grand frère de son défunt père.
Un vétéran des champs de bataille, une légende vivante.
Un homme dont la seule présence inspirait respect et loyauté.
Elle se précipita vers la grande cour.
Là, elle le vit : un homme grand, malgré l'âge, le dos droit, vêtu d'une robe de voyage simple mais soigneusement entretenue. Ses cheveux gris étaient attachés en un nœud guerrier, et son regard, malgré les rides qui l'entouraient, était aussi perçant qu'une lame d'acier.
En apercevant Jiayi, Shen Ruotian sourit d'un air rare et sincère.
— « Petite Jiayi, » dit-il d'une voix grave et chaude. « Comme tu as grandi. »
Jiayi, le cœur gonflé d'émotions, s'inclina profondément.
— « Grand-oncle. Bienvenue au manoir Shen. »
Il s'approcha d'elle d'un pas ferme, et, d'un geste affectueux mais fort, posa sa main sur son épaule.
— « Je viens reprendre ma place auprès de toi, » dit-il doucement. « Le sang des Shen ne doit jamais être laissé seul, surtout en des temps aussi troubles. »
Elle sentit ses yeux la picoter, mais elle se força à rester droite.
Elle n'était plus seule.
D'un geste, elle l'invita à entrer dans la grande salle du manoir, tandis que Xiaolan courait chercher du thé et des rafraîchissements.
Alors que Shen Ruotian s'asseyait, observant avec un regard perçant chaque recoin du manoir, il dit d'une voix grave :
— « Le vent change. La tempête approche. Et cette fois, tu n'auras pas seulement à défendre ton nom, Jiayi... mais tout ce que les Shen ont bâti depuis des générations. »
Dans le silence qui suivit, une alliance ancestrale, forgée par le sang et l'honneur, se renoua.
Et dans l'ombre, les rouages du destin continuaient de tourner, inexorables.