La nuit avait doucement étendu son manteau sur le manoir Shen, enveloppant ses pavillons ancestraux d'une lumière douce et feutrée. Dans la grande salle, un brasero diffusait une chaleur agréable tandis que les parfums de bois de santal s'élevaient paresseusement dans l'air.
Shen Ruotian, assis avec noblesse sur un large fauteuil de bois sculpté, observait sa nièce avec un mélange de fierté et d'inquiétude.
Face à lui, Jiayi avait adopté une posture parfaitement droite, son visage aussi calme qu'un lac sous la brise. Elle portait une robe sobre de bleu nuit brodée de motifs discrets — un reflet fidèle de sa personnalité : élégante, mais redoutablement réservée.
Shen Ruotian prit une longue inspiration, ses yeux acérés brillants sous les lueurs vacillantes des lanternes.
— « La capitale est en feu, petite Jiayi, » dit-il d'une voix grave. « Le retour du ministre Jiang a semé la discorde parmi les clans. Certains y voient l'annonce d'un changement imminent… d'autres, une opportunité à saisir. »
Jiayi ne bougea pas d'un pouce. Ses mains, reposant tranquillement sur ses genoux, ne trahissaient aucun trouble. Pas même un battement de cil.
Son regard limpide fixait son grand-oncle, attentive mais sereine.
— « Le palais impérial est en ébullition, » continua Shen Ruotian, s'adossant légèrement. « Les ministres murmurent, les généraux s'observent, les dames de cour complotent à l'ombre des rideaux de soie. Et dans ce chaos rampant… ton nom revient plus souvent qu'on ne le croit. »
Il laissa planer un silence lourd, cherchant une réaction.
Mais Jiayi restait immuable, telle une mer d'huile par temps calme.
Une mer silencieuse, mais terriblement profonde.
Un mince sourire effleura ses lèvres.
— « Quand la mer est tranquille, » murmura-t-elle d'une voix douce et posée, « les imprudents oublient qu'elle peut déchaîner des tempêtes. »
Elle releva légèrement le menton, son regard s'embrasant d'une lumière froide.
— « Quand j'agirai… alors la mer s'agitera, et nul ne trouvera refuge dans ses vagues. »
Son assurance frappa Shen Ruotian de plein fouet.
Un éclat de rire sincère jaillit de sa poitrine robuste, brisant l'atmosphère tendue.
— « Hahaha ! Voilà bien la nièce de Shen Ruotian ! » s'exclama-t-il, son rire résonnant sous les poutres anciennes. « Du sang de phénix coule dans tes veines, petite ! »
Il se leva, lourd et puissant malgré son âge, et s'avança pour poser une main fière sur l'épaule de Jiayi.
— « Je resterai ici aussi longtemps qu'il le faudra, » déclara-t-il. « Ce vieux lion a encore quelques crocs. »
Jiayi inclina la tête avec respect.
— « Cette demeure sera la vôtre, grand-oncle, aussi longtemps que vous le désirerez. »
À ces mots, Shen Ruotian eut un sourire chaleureux. Il observa autour de lui, le manoir Shen, ce bastion chargé d'histoires et de loyautés anciennes, semblait retrouver sa vigueur d'antan, prêt à redevenir un pilier face aux tempêtes politiques.
***
Les jours suivants passèrent dans une étrange accalmie.
Jiayi, fidèle à elle-même, poursuivait ses entraînements, ses études, ses rencontres discrètes avec ses alliés.
Mais partout ailleurs, la rumeur grondait, emplissant la capitale comme des nuages annonçant l'orage.
Et bientôt, une nouvelle vint précipiter les choses.
Un décret impérial fut émis :
> "Trois jours à partir d'aujourd'hui, un grand banquet sera organisé pour célébrer l'anniversaire de Sa Majesté, l'Empereur Nangong Liwei."
Le décret fut affiché partout, porté par des crieurs officiels dans les rues animées.
Tous les nobles, hauts fonctionnaires, généraux et invités spéciaux furent conviés à cet événement fastueux.
Mais la nouvelle qui fit vibrer tout Chang'an fut une rumeur ajoutée à mi-voix :
> « Le Roi du Clan des Barbares, Mu Heng, serait lui aussi attendu à la cour pour ce banquet exceptionnel… »
Le simple écho de son nom fit frémir les anciens soldats.
Mu Heng, un chef de guerre aussi redouté qu'admiré, à la tête des tribus nomades du Nord, ces cavaliers sauvages qui, depuis des générations, menaçaient les frontières de l'empire.
Sa venue à la cour était un signe : un pacte ? Une trêve ? Ou une déclaration de force voilée ?
Tout le monde spéculait.
Dans son bureau privé, Jiayi tenait dans ses mains le parchemin officiel.
À ses côtés, Xiaolan fronçait les sourcils.
— « Maîtresse… pensez-vous que ce roi barbare vienne vraiment en ami ? »
Jiayi replia calmement le décret.
— « Dans ce monde, Xiaolan, les sourires sont plus dangereux que les lances. »
Elle se leva, fixant l'horizon par la fenêtre.
— « Ce banquet sera une scène. Chacun jouera son rôle… mais derrière les paravents, les vraies batailles commenceront. »
Son regard se durcit.
— « Nous devons être prêts. »
Dans l'ombre du manoir, Shen Ruotian rassemblait discrètement d'anciens vétérans fidèles à leur lignée.
Dans le tumulte silencieux du palais, l'Empereur et l'Impératrice Mingzhu affûtaient leurs lames invisibles.
Et au loin, dans les steppes, Mu Heng sellait déjà ses chevaux pour traverser les portes de l'Empire.
La mer était encore calme.
Mais bientôt, très bientôt, elle s'élèverait en vagues capables d'engloutir des royaumes entiers.