Chapitre 44 — L’Échiquier du Dragon

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La nuit s'était déployée comme un manteau de velours sur la capitale, et le Palais Impérial resplendissait d'une lumière dorée.

La Grande Salle du Dragon, cœur battant du pouvoir, s'ouvrait ce soir-là pour célébrer l'anniversaire de l'Empereur Nangong Liwei.

À l'intérieur, les colonnes massives gravées de dragons ondulants semblaient s'animer sous la danse des lanternes.

Les soies écarlates, les parfums capiteux, et la musique délicate des instruments de cour emplissaient l'air d'une solennité enivrante.

Les tables de banquet croulaient sous des plats luxueux :

— canards laqués à la peau craquante,

— fruits rares venus d'au-delà des mers,

— vins mûris dans des jarres scellées depuis des décennies.

Tout avait été choisi pour éblouir et élever cette nuit au rang des légendes.

Un à un, les dignitaires, généraux, érudits, et hauts fonctionnaires arrivaient, parés de leurs plus beaux atours, leurs regards brillants d'ambition ou d'inquiétude.

***

Dans les corridors scintillants, Jiayi avançait d'un pas calme et mesuré.

À ses côtés, Xiaolan portait précautionneusement un coffre en bois finement taillé, orné de gravures discrètes.

Le murmure des tissus de soie et les chuchotements des autres invités escortaient leur marche.

Mais alors qu'elles approchaient de l'entrée principale, une servante en livrée simple surgit brusquement de côté et heurta Jiayi.

— « Faites attention ! » s'écria Xiaolan, le visage rougi par la colère. « Comment osez-vous bousculer Mademoiselle Jiayi ?! »

La servante, blême, s'inclina précipitamment.

— « Pardon, honorable Dame, je… je ne faisais pas attention ! »

Elle baissa la tête, cherchant à fuir rapidement.

Mais Jiayi, d'une voix douce et claire, l'interpella :

— « Attends. »

La servante se figea, tremblante.

Jiayi s'approcha lentement, ses pas aussi silencieux qu'une plume tombant sur l'eau.

Elle leva une main, effleurant une mèche de cheveux décoiffée de la jeune fille pour la remettre délicatement derrière son oreille.

— « Va te reposer. Il est facile de trébucher quand l'esprit est troublé, » murmura Jiayi avec bienveillance.

Rougissante, la servante s'inclina profondément et s'éclipsa sans un mot de plus.

Xiaolan, encore contrariée, se tourna vers Jiayi dès qu'elles reprirent leur marche :

— « Mademoiselle, allez-vous bien ? Cette servante… elle avait un comportement étrange… »

Jiayi sourit doucement, ses yeux plissés d'une lumière tranquille.

— « Ce n'était qu'un papillon agité par le vent. Rien de plus. »

Mais intérieurement, Jiayi, qui n'était jamais dupe, grava ce moment dans sa mémoire.

Dans ce palais, rien n'était jamais un accident.

***

Bientôt, elles franchirent les grandes portes de la Salle du Dragon.

Le bourdonnement s'atténua alors que Jiayi et Xiaolan avançaient gracieusement jusqu'à leurs places attribuées.

Les regards se tournèrent discrètement vers elles — admiration pour sa beauté, suspicion pour son ascension fulgurante.

Sous les mille éclats des lustres de jade, Jiayi ressemblait à une étoile tombée sur terre, éclipsant bien des nobles dames présentes.

Le temps sembla suspendu.

Puis, soudainement, les musiciens s'arrêtèrent.

Un silence lourd tomba sur l'assemblée.

L'Empereur Nangong Liwei faisait son entrée.

Marchant d'un pas royal, il portait une robe impériale brodée de dragons d'or et d'argent.

À sa droite, rayonnante sous sa coiffe majestueuse, marchait l'Impératrice Mingzhu, dont la beauté glaciale n'avait d'égal que la dureté de son regard.

À sa gauche, charmante et subtile, avançait la noble concubine Ying, vêtue d'une robe de soie rosée, pétillante comme une fleur de printemps.

Tous les invités, dans un seul mouvement fluide, se levèrent, s'inclinant profondément :

— « Longue vie à Sa Majesté ! Longue vie à l'Empereur ! »

Le sol vibra sous le poids de leur hommage.

L'Empereur, d'un geste léger mais souverain, leur fit signe de se redresser.

Il s'assit d'abord, suivi par ses deux compagnes qui prirent place à ses côtés.

Presque aussitôt, la concubine Ying adressa un petit clin d'œil complice à Jiayi, enjouée.

Jiayi répondit d'un léger sourire gracieux, caché derrière son éventail.

Mais lorsqu'elle tourna la tête, elle croisa le regard tranchant de l'Impératrice Mingzhu.

Le regard de cette dernière était glacial, lourd d'une hostilité maîtrisée.

Un avertissement silencieux.

Jiayi ne se troubla pas.

Avec la politesse d'une brise effleurant la cime des arbres, elle inclina simplement la tête en guise de salut respectueux.

Un geste si parfait… qu'il sembla narguer la Reine elle-même.

***

La salle s'emplissait de rires forcés, de toasts bruyants, et de conversations animées.

Mais sous cette surface festive, l'air vibrait d'une tension feutrée.

Chacun savait que ce soir, les alliances seraient tissées ou rompues.

Et dans les ombres des tentures rouges, les pions invisibles bougeaient déjà.

Le grand échiquier du Dragon venait d'être dressé.

Et Jiayi, loin d'être un simple pion, avançait silencieusement, prête à changer la partie.