La musique s’était adoucie, le vin coulait encore, mais les esprits étaient déjà en éveil. Et c’est dans cette atmosphère mi-festive, mi-tendue que les grandes portes de la Salle du Dragon s’ouvrirent à nouveau.
Deux silhouettes se découpèrent à contre-jour.
— « Le marquis Yan Zhao et son épouse Su Meilin font leur entrée. » annonça le chambellan d’un ton neutre.
Tous les regards convergèrent vers les nouveaux arrivants.
Yan Zhao, vêtu d’une tunique bleu nuit brodée de motifs célestes, gardait une expression calme, mais ses yeux balayaient la salle comme un fauve en chasse.
Meilin, quant à elle, arborait une robe rouge sombre aux reflets pourpres, ses cheveux ornés de perles et de rubans d’or. Son sourire était parfait, mais ses prunelles trahissaient une tension glacée.
Ils s’inclinèrent profondément devant l’empereur.
— « Nous prions Sa Majesté d’excuser notre retard. Des affaires imprévues ont retardé notre arrivée. »
L’impératrice Mingzhu, sans même leur accorder un regard complet, fit un geste vague de sa main, son éventail effleurant ses lèvres.
— « Ne vous attardez pas en justifications. Prenez place, le banquet ne doit pas être gâché par de simples lenteurs. »
Une claque déguisée dans une phrase de velours.
Meilin sourit doucement mais serra les dents. Zhao Yan, lui, balaya la salle du regard… et son regard s’arrêta sur Jiayi.
Un instant.
Mais Jiayi ne se retourna même pas. Son dos droit, sa nuque fièrement dressée, elle l’ignorait comme on ignore une brise insignifiante.
Cela piqua Yan Zhao plus que mille mots.
***
Alors que le vin se faisait plus ample et les plats plus nombreux, Jiayi se leva doucement.
La soie pâle de sa robe glissa contre le sol, et sa silhouette se dressa droite, noble, inébranlable.
— « Puisque nous sommes réunis pour célébrer Sa Majesté en cette journée bénie, permettez-moi d’offrir humblement un présent à notre souverain. »
Un murmure parcourut l’assemblée.
D’un petit signe de tête, elle fit appel à Xiaolan, qui se leva précautionneusement, les bras chargés d’un coffre de bois ancien, taillé à la main, orné de dragons sculptés dans le bois d’ébène.
Les serviteurs s’écartèrent avec déférence, laissant Jiayi s’avancer lentement vers l’empereur, le coffre entre les mains.
Elle posa le coffre sur la table d’offrandes, face au trône impérial, puis, d’un geste fluide, souleva le couvercle.
Un éclat d’or illumina la salle.
À l’intérieur se trouvait une statue de dragon d’or, délicatement sculptée, ses écailles finement ciselées, les griffes tendues, la gueule entrouverte comme s’il rugissait en silence. Ses yeux, incrustés de jade, semblaient vivants.
Une vague d’émotion traversa la salle.
— « Le dragon d’or… » souffla un ministre.
— « Est-ce… l’unique ? Celui que tant recherchent depuis des générations ? » murmura un érudit, les yeux écarquillés.
L’empereur, lui, ne dit rien pendant un moment. Il contempla la statue avec un regard pénétrant, comme s’il reconnaissait une relique d’un autre temps.
Puis il murmura :
— « Il s’agit bien… du Dragon d’Or céleste. Transmis jadis à la maison Shen par le premier empereur. On le disait disparu. Introuvable. »
Son regard se posa sur Jiayi.
— « Et pourtant… le voilà entre mes mains. »
***
Dans l’ombre de son siège, l’impératrice Mingzhu, jusqu’alors indifférente, redressa subitement la tête.
Son regard s’accrocha à la statue comme un vautour sur une proie.
Ses lèvres tremblèrent légèrement. Elle connaissait ce dragon. Elle l’avait cherché partout, des montagnes de l’ouest aux rumeurs des mers du sud. Ce trésor ancestral, dit-on, portait chance à celui qui le possédait… et l’empire à celui qui le méritait.
Et voilà qu’il se tenait là. Offert par Jiayi.
Son sourire se figea.
Elle détourna le regard, incapable de supporter plus longtemps la vision de ce qu’elle convoitait depuis si longtemps.
***
Jiayi s’inclina légèrement :
— « Ce n’est qu’un objet, Majesté. Le dragon d’or n’est rien en comparaison de la richesse que vous incarnez, ni de la paix que vous offrez à ce royaume. »
Puis, se tournant doucement vers Zhao Yan et Meilin, son regard se fit tranchant, presque paresseusement moqueur :
— « Les biens matériels, voyez-vous, ne m’intéressent guère. Ceux qui se battent pour des statues ne comprennent pas la valeur de l’honneur. »
Zhao Yan voulut se lever, sa main se crispant sur la table, mais l’empereur leva une main, son visage s’illuminant d’un rare sourire :
— « Ce cadeau… est inestimable. Non pour sa matière, mais pour ce qu’il représente. Tu as l’âme d’un général, Shen Jiayi, mais aussi le cœur d’un sage. Je t’en remercie. »
Il se leva lui-même, prenant la statue dans ses mains, la levant bien haut à la vue de tous.
— « En ce jour de fête, que ce Dragon d’Or symbolise l’unité de l’empire, la loyauté des anciens lignages et la promesse d’un avenir meilleur. »
Tous s’inclinèrent.
— « Longue vie à l’empereur ! »
Le banquet reprit, mais plus personne n’osait ignorer la présence de Jiayi. Sa prestance, sa sagesse, son audace…
Elle venait d’éclipser les nobles, les intrigants, les anciens.
Même l’ombre de l’impératrice semblait pâlir.
Le Dragon d’Or avait choisi sa maîtresse.
Et l’empereur, ce soir-là, ne détourna pas les yeux d’elle.