Chapitre 48 – Le parfum amer de la victoire

Le banquet touchait à sa fin, mais l’ambiance, d’abord chaleureuse et étincelante, s’était teintée d’un malaise discret, comme un voile de brume qui s’installait dans une salle dorée.

Le roi Mu Heng, imposant dans sa tenue faite de cuir tanné et d’or brut, s'était assis à la table d'honneur. Malgré la vivacité de ses discours et ses récits belliqueux, il était clair que sa présence dérangeait. Les généraux de la cour, les lettrés, même l’empereur lui-même, gardaient un silence prudent, ponctué de sourires de façade.

— Ce pays est fort, dit soudain Jiayi, son ton calme et assuré brisant la gêne générale. Sa culture, sa loyauté, sa force ne résident pas uniquement dans ses épées, mais dans l’esprit de son peuple.

Tous les regards convergèrent vers elle. L’empereur leva légèrement son verre, son œil brillant de satisfaction. Mu Heng, quant à lui, fixa Jiayi, fasciné par son audace tranquille.

— Voilà une femme qui parle comme un chef de guerre, fit-il en riant. Si tu étais née dans mes steppes, je t’aurais faite reine.

Un frisson traversa les invités. Mais Jiayi se contenta d’un sourire poli, sans relever la provocation.

Au bout de quelques instants, alors que les plats étaient desservis et que certains ministres commençaient à se lever, l’impératrice Mingzhu réapparut. Sa démarche était altière, mais ses yeux lançaient des éclairs. Les conversations s’éteignirent dès qu’elle entra.

— Je m’excuse de cette interruption… dit-elle d’une voix doucereuse, teintée d’un ton froid. Mais il me semble que mon collier en jade blanc a disparu. Un héritage impérial… irremplaçable.

Un murmure choqué traversa la salle.

— Il est peut-être tombé, tenta de suggérer l’un des eunuques.

— Non. Il a été volé, coupa Mingzhu. Je demande à ce que chacun ici soit fouillé… Sans exception.

L’empereur arqua un sourcil, mais ne dit rien. Le silence pesant de son approbation tomba sur la salle.

Les invités, malgré leur gêne, se soumirent les uns après les autres à la fouille. Quand ce fut le tour de Jiayi, elle hocha simplement la tête et ouvrit sa veste de cérémonie sans le moindre tremblement.

Mais le collier n’y était pas.

Un cri hystérique retentit : c’était la servante qui avait heurté Jiayi à l’entrée. Elle transpirait, ses mains tremblaient.

— C’est… c’est impossible ! J’ai vu de mes propres yeux ! Elle l’a !

Tous se tournèrent vers elle. L’impératrice, furieuse, se leva brusquement et la gifla avec une violence glaciale.

— Insolente ! Tu oses accuser une invitée d’honneur sans preuve ?

Alors que la servante tombait à genoux, secouée par les larmes et l’effroi, un petit bruit métallique résonna sur le sol de marbre. Tous les regards se baissèrent.

Le collier de jade venait de glisser hors de la manche de la servante. Le silence fut aussi tranchant qu’une lame.

L’Impératrice pâlit, mais conserva son masque de dignité.

— Amenez-la, ordonna-t-elle. Elle sera sévèrement punie.

— Ce… ce n’est pas moi… murmura la servante en pleurant, sa voix à peine audible alors qu’on l’emportait.

Jiayi n’avait rien dit. Elle observait, silencieuse, les yeux posés sur l’Impératrice avec la sérénité d’un océan calme avant la tempête. Elle avait tout compris. La servante n’était qu’un pion. Mais elle choisit le silence, car elle savait qu’il était parfois plus tranchant que les mots.

L’empereur se leva alors.

— Ce banquet fut riche… en émotions, dit-il avec une ironie voilée. Je remercie tous ceux qui ont contribué à son éclat. Ce soir, le palais a été témoin de talents, de beauté, mais aussi de vérité.

Il regarda Jiayi un long instant.

— La cérémonie est terminée. Que chacun regagne ses quartiers.

Les invités se levèrent, s’inclinant. Les murmures reprirent, mais cette fois teintés d’admiration pour Jiayi, et d’un soupçon de crainte pour l’Impératrice.

Alors que Jiayi quittait lentement la salle en compagnie de Xiaolan, elle jeta un dernier regard vers l’estrade. Mu Heng la fixait encore avec un mélange d’admiration et de convoitise. L’Impératrice, elle, regardait droit devant, le menton levé, mais ses poings étaient crispés sur les accoudoirs de son siège.

La partie ne faisait que commencer.