Le vent soufflait légèrement sur les toits de la capitale, chassant les nuages gris qui avaient survolé les palais depuis le soir du banquet. Quelques jours s’étaient écoulés depuis les événements au Grand Pavillon du Dragon, mais leurs échos vibraient encore dans chaque couloir, chaque murmure, chaque regard échangé dans les rues.
Dans la fraîcheur du matin, une escorte se mettait en route depuis l’auberge royale située au sud des murailles. Les sabots des chevaux martelaient le sol pavé alors que le roi des barbares, Mu Heng, remontait la route menant à la vallée du nord. Son armure noire, ornée de fourrures grises, brillait sous les premiers rayons de soleil. Il chevauchait sans un mot, les yeux fixés vers l’horizon, mais son esprit, lui, était ailleurs. Il revoyait le visage de Jiayi, son calme, sa vivacité d’esprit, sa prestance. Il se pencha légèrement vers l’un de ses hommes et murmura, presque pour lui-même :
— Cette femme… nous la reverrons. J’en fais le serment.
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Au manoir Shen, dans l’aile est où régnait toujours une odeur subtile de papier ancien et d’encens, Jiayi était assise derrière un grand bureau de bois verni. Devant elle, plusieurs rouleaux étalés contenaient des textes anciens, des cartes du territoire et des notes personnelles. Sa main droite tenait une brosse fine, trempée dans l’encre noire, traçant quelques caractères élégants.
La porte glissa doucement. Xiaolan entra avec un plateau de porcelaine, portant une théière fumante et deux petites tasses.
— Mademoiselle, tout le monde en ville ne parle que de vous, dit-elle avec un sourire espiègle. Vos poèmes, votre danse… et surtout ce dragon d’or. Vous avez volé la vedette à tout le monde au banquet.
Jiayi leva à peine les yeux.
— Ce n’est pas ce que je cherchais à faire, dit-elle calmement. Ce n’était qu’un présent… et une réponse.
Elle prit une tasse de thé, souffla légèrement dessus, puis en but une gorgée. Xiaolan, un peu déçue du manque d’enthousiasme, s’assit en face d’elle.
— Et le roi Mu Heng… vous pensez qu’il va revenir ? Il avait l’air… intense.
Jiayi resta silencieuse un moment, puis reposa sa tasse.
— Les rois barbares ne s’attachent pas facilement. Mais s’il revient… il saura où me trouver.
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Au palais impérial, la tension était palpable dans la salle d’audience. Le trône d’or surélevé, orné de brocarts rouges et dorés, semblait dominer tous les esprits présents. L’empereur Nangong Liwei, drapé dans une robe pourpre, écoutait sans émotion apparente les débats houleux qui secouaient sa cour.
Le ministre Jiang, droit et provocateur, venait de clore son discours.
— Votre Majesté, il serait temps de cesser de se laisser influencer par des éléments extérieurs qui n’ont ni rang ni fonction officielle. L’ordre de l’empire doit reposer sur des fondations solides.
Le conseiller Huang, debout à quelques pas, haussa un sourcil et répliqua d’un ton tranchant :
— Vous parlez de fondations solides, ministre Jiang, mais ce sont vos propres manœuvres qui ébranlent les murs du palais. Depuis votre retour, la cour est en désordre. Vous cherchez à semer la discorde.
— Moi ?! rétorqua Jiang. Ce n’est pas moi qui fraye avec des érudites sans statut ni titre !
Le regard de l’empereur se durcit. Le silence se fit. Wei Zisheng, le garde impérial, qui se tenait à proximité du trône, posa légèrement la main sur la garde de son épée. Il ne prononça pas un mot, mais son regard fixait Jiang avec une intensité glaciale, prêt à agir au moindre signe de danger.
— Assez, dit finalement l’empereur. Ce palais ne tolérera ni querelles de coqs, ni provocations. Que cela soit la dernière fois que vous déversez votre fiel devant moi.
Jiang s’inclina, les poings serrés. Huang se contenta de baisser la tête, satisfait.
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Dans une autre aile du palais, à l’ombre des galeries bordées de cerisiers en fleurs, le petit prince héritier récitait des classiques sous la surveillance silencieuse du précepteur Xu. L’enfant avait changé. Depuis cette nuit où sa mère avait levé le fouet sur lui, quelque chose s’était figé dans son regard.
Le précepteur Xu observait ses progrès avec attention, mais sans mot dire. Il savait. Il avait vu la trace rouge sur l’épaule du petit prince, et il avait vu les larmes. Il avait compris le rôle de Jiayi dans le cœur de cet enfant.
— Maitre Xu, dit soudain le petit prince, est-ce que grande sœur Jiayi viendra encore me voir ?
Xu fit une pause, puis sourit légèrement. Il s’approcha et tapota doucement le front du prince.
— Si tu continues à bien étudier, peut-être. Elle aime les gens sérieux.
Le petit prince acquiesça, ses petits poings serrés sur ses genoux. Il avait une mission désormais.
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Pendant ce temps, dans une chambre feutrée, dissimulée au sein du palais, un paravent peint de pivoines cachait à moitié le lit du précepteur Xu. Assis contre le dossier en bois sculpté, il relisait une lettre à moitié froissée. Elle n’était pas signée. Mais il savait. Il savait que cette main fluide et assurée était celle de Jiayi.
— Une femme comme toi… est un poème que même les anciens n’auraient su écrire, murmura-t-il.
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