Le soleil déclinait lentement sur le domaine du marquis Zhao, plongeant les vastes jardins sous une lumière dorée et hésitante. Le banquet, censé être grandiose et raffiné, tournait déjà à la farce grotesque.
Des dizaines de soldats en armure légère, visiblement venus tout droit du front, occupaient les tables prévues pour les invités nobles. Les plateaux de viandes et de pâtisseries raffinées étaient pillés sans la moindre retenue ; les coupes de vin étaient renversées sur les nappes précieuses ; des rires gras résonnaient sous les voûtes tendues de soie rouge.
Quelques officiers, le visage rouge d’ivresse, s’interpellaient en hurlant, défiant les bonnes manières. Certains tapaient des poings sur les tables, d’autres lançaient des pièces d’argent aux danseuses venues animer la fête, comme s’ils étaient dans une taverne de garnison.
Dans ce chaos indécent, la mère de Zhao Yan, vêtue d’une robe solennelle et riche, errait parmi les convives, pâle et perdue. Son regard s’accrochait désespérément à chaque visage familier, cherchant un semblant d’ordre.
Son cœur se serra en voyant deux soldats tirer une nappe, faisant tomber un service de porcelaine d'une valeur inestimable dans un fracas de verre et de cris.
Ne pouvant plus supporter ce spectacle honteux, elle se hâta, retenant son indignation, jusqu’à la salle intérieure où se trouvait son fils.
Zhao Yan, vêtu de sa robe de mariage aux broderies dorées, était debout, le visage fermé. À ses côtés, sa nouvelle épouse Meilin, splendide dans sa robe de noce, arborait un sourire satisfait et hautain.
— Yan'er ! s’écria la vieille marquise en arrivant près de lui. Regarde ce qu'est devenu ton mariage ! Des soldats... Ils boivent, ils rient, ils saccagent tout ! Ce n’est pas ainsi qu’un mariage noble doit se dérouler !
Elle lui agrippa la manche, les yeux brillants d’angoisse.
Mais avant que Zhao Yan ne puisse ouvrir la bouche, Meilin intervint d'une voix stridente :
— Que racontez-vous, vieille femme ?! Ces hommes sont ceux qui assurent notre pouvoir ! Vous devriez les honorer au lieu de geindre !
La marquise Zhao resta pétrifiée, frappée par la violence de ces paroles. Autour d’eux, quelques serviteurs baissèrent la tête, mal à l'aise.
La colère monta aux joues de la vieille femme. D’un geste brusque, elle repoussa la main de son fils, le regard incandescent.
— Honorer ?! Honorer ces rustres qui souillent notre maison ?! s'écria-t-elle. Tu laisses ton épouse insulter ta mère en plein jour de ton mariage, et tu ne dis rien, Zhao Yan ?
Zhao Yan baissa les yeux, honteux, incapable de répondre. La fureur muette de sa mère brûlait plus fort que les lanternes suspendues.
Avec un cri étranglé, la vieille marquise tourna les talons et quitta la pièce, ses pas résonnant dans les couloirs comme des coups de tonnerre.
Zhao Yan, pris entre la honte et l’embarras, tenta maladroitement de retenir Meilin par la main.
— Meilin, souffle-t-il en tentant d’apaiser sa jeune épouse. Ce n'était pas nécessaire d'être si dure…
Mais Meilin, d’un geste brusque, repoussa son bras et sortit sans attendre, ses pas décidés.
— Ces gens-là ne méritent aucun respect. Venez, allons rejoindre ceux qui savent fêter un mariage !
Désespéré, Zhao Yan suivit son épouse hors du pavillon, dans les jardins où les soldats bruyants les accueillaient avec des acclamations ivres.
Les rires gras, les chants paillards et les cliquetis des gobelets de vin s’amplifièrent tandis qu’ils se mêlaient à cette foule déchaînée. Le mariage du marquis Zhao, autrefois promu comme l’un des plus grands événements de l’année, n’était désormais rien de plus qu’une vulgaire fête de caserne.
***
Non loin de là, Jiayi et Xiaolan arrivèrent à l’entrée du domaine.
Sous la voûte rouge ornée de motifs d'or, elles marquèrent une pause. Le bruit des soldats s'élevait jusqu’à elles — des éclats de voix rauques, des chansons guerrières, des rires incontrôlés.
Xiaolan, crispée, observa la scène avec des yeux écarquillés.
— Regardez, mademoiselle… murmura-t-elle, horrifiée. Ce… ce n’est même plus un mariage, c’est… une taverne !
Jiayi, elle, ne dit rien. Elle observa la scène avec froideur, sa silhouette élancée figée sous la lumière tremblante des lanternes.
Son regard s’attarda sur Zhao Yan et Meilin, riant bruyamment au milieu des soldats, levant des coupes de vin comme s’ils n’avaient jamais appartenu au monde raffiné de la capitale.
La tristesse, la honte et un brin d'amertume traversèrent furtivement les yeux de Jiayi. Mais elle n’en laissa rien paraître.
Elle redressa la tête, sa beauté tranquille défiant la vulgarité qui régnait autour d'elle.
— Xiaolan, dit-elle doucement, ce que l'on sème… on le récolte.
La jeune servante hocha la tête avec force, comprenant la profondeur de ses paroles.
Sans se faire remarquer, Jiayi fit demi-tour.
Elle n'avait rien à faire ici. Ce mariage n'était plus un affront, c'était un naufrage.
Et elle, Shen Jiayi, n'avait jamais été destinée à sombrer avec eux.
Sous le ciel nocturne éclaboussé d'étoiles, elle s’éloigna du tumulte, sereine, tandis que derrière elle, le rire des soldats résonnait comme un glas funèbre.
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