La brise nocturne soufflait doucement sur les jardins du marquisat Zhao, mêlant à l’air le parfum âcre du vin renversé et l’odeur lourde des mets éventrés sur les tables.
Jiayi, vêtue d’une robe pâle qui flottait dans l’obscurité, avait déjà tourné les talons pour s’en aller. À chaque pas, elle s’éloignait de ce déshonneur qui n'était plus le sien. Mais soudain, alors qu'elle franchissait les arches du domaine, des éclats de voix moqueurs lui parvinrent.
— Et dire que l’ancien général Shen et ses fils, ces soi-disant héros, ont été massacrés comme des chiens par les ennemis ! Ahahah ! Ce n’étaient que des incapables ! cria l’un des soldats, levant haut sa coupe de vin.
— On nous raconte des histoires de bravoure pour sauver leur honneur, mais la vérité, c’est qu’ils ont supplié pour leur vie avant de mourir ! ajouta un autre, en s'esclaffant de plus belle.
Jiayi s'arrêta net.
Le vent semblait suspendu, les sons se dissolvant autour d’elle comme des échos lointains.
Son cœur, un instant, cessa presque de battre.
Elle resta figée, incapable de détourner l'oreille. Tout ce qu’elle avait toujours cru — que son père, le grand Général Shen, était tombé glorieusement sur le champ de bataille avec ses frères — venait d’être souillé, abattu par quelques mots sales et moqueurs.
À ses côtés, Xiaolan, choquée, plaqua ses mains sur sa bouche, les yeux écarquillés.
— Mademoiselle… murmura Xiaolan, la gorge nouée.
Jiayi n’ajouta pas un mot. Elle ne se retourna pas non plus vers les soldats. D’une main ferme, elle saisit la manche de Xiaolan et l'entraîna loin du tumulte.
Sous le ciel muet, elles regagnèrent rapidement le domaine Shen.
***
Le manoir, baigné d’une douce lumière de lanternes, semblait isolé du monde.
Jiayi entra dans son bureau sans un mot, s’assit à son grand bureau de bois de santal, et fixa longuement les rouleaux de parchemin étalés devant elle sans les voir.
Son visage demeurait impassible, mais ses doigts tremblaient légèrement sur l’accoudoir.
Après un long silence, elle murmura d'une voix douce, mais ferme :
— Xiaolan.
La jeune servante sursauta et accourut aussitôt.
— Oui, Mademoiselle !
— Va trouver mon grand-oncle, Shen Ruotian. Dis-lui que j'ai besoin qu’il enquête sur les véritables circonstances de la mort de mon père et de mes frères.
Les yeux de Xiaolan s’arrondirent de stupeur.
— Tout de suite, Mademoiselle ! s’inclina-t-elle précipitamment avant de s’élancer hors du bureau.
Seule dans la pièce, Jiayi resta immobile.
Son regard se perdit dans les ténèbres au-delà de la fenêtre.
*Père… que s’est-il réellement passé ce jour-là ?* pensa-t-elle, la douleur crispant ses entrailles. *Avons-nous vécu dans un mensonge ?*
Elle serra les poings, déterminée.
Quelles que soient les vérités qu’elle découvrirait, elle n'aurait pas peur.
Elle devait savoir.
Elle *devait* rendre justice aux siens.
***
Pendant ce temps, au palais impérial.
L’empereur Nangong Liwei marchait lentement vers le pavillon de la noble concubine Ying. Des lanternes en forme de lotus éclairaient son chemin, projetant des ombres délicates sur les dalles de pierre.
Arrivé devant les portes sculptées, il fut accueilli par une cohorte de servantes inclinées, puis par Ying elle-même, vêtue d’une robe de soie bleu nuit ornée de broderies en fil d’argent.
Elle s’inclina profondément, un sourire doux sur les lèvres.
— Votre Majesté, murmura-t-elle avec une grâce parfaite.
L’empereur s’approcha et, d’un geste de la main, la releva avec douceur.
— Pas de formalités entre nous, Ying. Dis-moi plutôt… ta grossesse se passe-t-elle bien ?
La noble concubine baissa les yeux, ses mains effleurant légèrement son ventre encore à peine arrondi.
— Grâce aux bienfaits de Votre Majesté et aux soins prodigués par les médecins impériaux, tout se passe bien… répondit-elle avec modestie.
L’empereur hocha la tête, satisfait. Un éclat rare de tendresse traversa son regard.
— As-tu besoin de quelque chose ? Demande-moi sans crainte.
La noble concubine releva lentement les yeux, son visage s’éclairant d'une lueur suppliante.
— Votre Majesté… pourriez-vous rester ce soir à mes côtés ?
Elle avait dit cela avec une voix si douce, si fragile, qu’il aurait été cruel de refuser.
Nangong Liwei sourit légèrement.
— Très bien. Je resterai.
Un voile de bonheur passa dans les yeux de Ying alors qu’elle le conduisait à l’intérieur de ses appartements, richement parfumés de lotus et de jasmin.
***
Au même instant, dans le palais de l’impératrice.
Dans l’austère salle principale, Lianfei, la fidèle servante, s’approcha de sa maîtresse, qui restait assise droite sur son siège, une coupe de thé froide dans la main.
— Votre Majesté… souffla Lianfei après une profonde révérence, l’empereur est allé ce soir au pavillon de la noble concubine Ying…
Un long silence suivit.
L'impératrice Mingzhu demeura figée, son visage de porcelaine n'exprimant aucune émotion.
La flamme de la lampe dansait doucement, projetant des ombres mouvantes sur ses traits glacés.
Sans même détourner le regard, elle répondit froidement :
— Je vois.
Puis, elle posa lentement sa coupe sur la table laquée, émettant un léger *clac* sec.
Elle n’ajouta rien d’autre.
Lianfei, comprenant qu’il valait mieux ne pas insister, s’inclina de nouveau et se retira discrètement, laissant l’impératrice seule face à ses pensées.
Dans l’immense silence de la salle, Mingzhu caressa distraitement le tissu brodé de sa robe impériale.
Son regard, d’ordinaire tranchant, se perdit dans le vide.
*Très bien, Ying. Profite de ce moment de bonheur… tant qu’il te reste encore du temps…* pensa-t-elle amèrement.
Dehors, la nuit enveloppait la Cité Interdite d’une obscurité lourde de secrets et de complots.
Et dans cette nuit, la guerre silencieuse des cœurs blessés continuait de se tisser, inexorable.
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