Le palais de la Noble Consort baignait encore dans les lueurs rosées de l’aube quand l’empereur s’y éveilla. La soie cramoisie du lit, les tentures délicates, et l’arôme sucré du thé au jasmin laissé sur le guéridon révélaient l’intimité partagée. Il ne dit rien de la nuit passée, mais son regard posé sur la concubine était doux. Le lendemain, il n'était plus revenu.
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Trois jours plus tard, dans la résidence de la concubine impériale Shen Jiayi, le calme apparent cachait une tension insoutenable.
— Ma Dame, dit la gouvernante en entrant doucement, ceci vous est adressé de la part du vieux maître de la famille Shen.
Dans ses mains ridées, elle tenait un petit papier plié plusieurs fois. Jiayi se leva de sa chaise sans un mot, prenant le message entre ses doigts fins. Elle s’approcha de son bureau où trônait un simple bougeoir.
Ses yeux balayèrent rapidement le contenu.
Une seconde.
Deux.
Ses lèvres ne frémirent pas, son regard resta impassible.
Puis elle saisit une pincette et, sans hésitation, approcha le papier de la flamme. Le feu dévora le message en silence, ne laissant que des cendres noircies tomber sur le plateau.
— Tout ce qu’ils ont dit... c’était vrai, murmura-t-elle.
Le banquet de mariage au manoir du marquis Zhao... les murmures, les regards, les demi-mots échappés entre deux gorgées de vin. Elle n’avait pas voulu y croire, mais son grand-oncle venait de confirmer l’impensable. Un complot. Un plan ourdi dans les coulisses du pouvoir, et elle était au cœur de la tourmente.
— Xiaolan, dit-elle fermement en se tournant vers sa servante fidèle, aide-moi à me préparer. Je vais voir l’empereur.
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Dans les couloirs marbrés du palais impérial, les pas pressés de Jiayi et Xiaolan résonnaient faiblement. Les gardes les observaient avec une curiosité dissimulée derrière leur discipline rigide.
À l’entrée du Hall de l’Aube Céleste, Jiayi s’arrêta devant le garde Wei, un homme loyal au regard sévère.
— Je demande audience avec Sa Majesté, déclara-t-elle sans fléchir.
Le garde eut un bref moment d’hésitation, ses yeux cherchant les mots justes.
— Je suis désolé, Dame Shen. L’empereur... est occupé avec des affaires importantes aujourd’hui.
— Peu importe combien de temps cela prendra. J’attendrai, dit-elle d’un ton tranchant.
Voyant sa détermination, le garde acquiesça et entra dans le palais. Quelques instants plus tard, il s’inclina devant le trône impérial, où l’empereur, en robe de soie noire brodée d’or, lisait un rouleau.
— Majesté... Dame Shen Jiayi souhaite vous voir de toute urgence.
L’empereur fronça légèrement les sourcils. Il se leva lentement, les mains jointes dans le dos.
— Dis-lui... que je ne peux la recevoir. Pas aujourd’hui. Ni demain.
— Dois-je dire pourquoi, Majesté ?
— Dis simplement que mes affaires d’État ne peuvent être interrompues.
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Le garde revint, le visage fermé.
— Dame Shen... je suis désolé. Sa Majesté ne peut pas vous recevoir.
Jiayi sentit le sang bouillir dans ses veines.
— Et qu’est-ce qui est plus important que les affaires du palais ? dit-elle, la voix chargée d’amertume. Qu’est-ce qui est plus important... que moi ?
Sans attendre la réponse, elle se détourna et marcha droit vers les escaliers menant à l’entrée du Hall. Sous le soleil éclatant de midi, elle s’agenouilla sur les dalles brûlantes, robe de soie blanche glissant autour d’elle comme une flaque de lumière.
Xiaolan, affolée, se précipita.
— Ma Dame ! Vous ne pouvez pas faire cela ! Le soleil est trop fort, vous allez tomber malade !
— Je ne bougerai pas, murmura Jiayi. Pas tant qu’il ne m’aura pas entendue. S’il faut que je brûle sous ce ciel pour que la vérité éclate, alors qu’il en soit ainsi.
La sueur perla sur son front, mais elle resta droite, le regard fixé sur les portes closes du palais. Les eunuques et les concubines, à peine visibles derrière les rideaux de soie, observaient avec des chuchotements nerveux.
Le soleil montait encore.
Jiayi ne fléchit pas.
À l’intérieur, l’empereur, tenant toujours le même rouleau, n’avait pas tourné une seule page.