Le ciel était d’un bleu tranchant, sans nuages pour apaiser la morsure de l’astre solaire. Les heures passaient, lentes, impitoyables, comme les aiguilles d’un sablier renversé sur le dos de Jiayi. Elle restait là, droite, agenouillée sur les dalles de pierre brûlantes, son regard fixé sur les grandes portes closes du Hall de l’Aube Céleste.
Xiaolan, assise à côté d’elle, tenait un parapluie délicatement ouvragé au-dessus de sa maîtresse. La pauvre servante, en sueur elle aussi, tremblait de voir sa dame si résolue, si fière, exposée à la colère du ciel.
— Ma Dame, supplia Xiaolan en tenant le manche du parapluie d’une main tremblante, vous n’avez même pas bu une goutte d’eau depuis ce matin… Si vous continuez ainsi...
Mais Jiayi leva lentement la main. Sans un mot, elle saisit le parapluie et, d’un geste vif, le jeta au loin. Il roula sur les dalles jusqu’à ce qu’il s’écrase contre le mur, brisé.
— Je ne suis pas ici pour me protéger, Xiaolan, murmura-t-elle. Je suis ici pour être vue. Pour qu’il sache que je ne plierai pas.
Son visage, d’ordinaire si pâle et délicat, était maintenant rougi par le soleil. Des mèches de cheveux humides collaient à ses tempes. Sa nuque exposée luisait de sueur, mais elle ne bougea pas. Son dos restait droit comme une lame. Elle ne tremblait pas.
Autour d’elle, les murmures s’amplifiaient.
Des concubines derrière les voilages chuchotaient, des eunuques passaient en baissant les yeux, et même les gardes n’osaient plus la regarder trop longtemps. Cette scène, cette image – une concubine impériale agenouillée seule sous le soleil ardent – était à la fois majestueuse et tragique. Une silhouette blanche brûlant dans le silence.
Au crépuscule, alors que le ciel prenait des teintes pourpres et dorées, ses lèvres étaient fendillées. Son souffle devenait plus lourd. Mais elle n’avait pas bougé d’un pouce.
Dans le palais, les eunuques rapportaient des comptes, des décisions étaient prises, des sceaux posés. Et l’empereur... restait impassible.
Il savait qu’elle était là.
Il le savait depuis le matin.
Et pourtant, il ne disait rien.
**
La nuit tomba enfin, et avec elle, une brise légère se leva. Elle ne rafraîchit pas Jiayi. Elle frissonnait maintenant, plus de froid que d’émotion. Xiaolan, à ses côtés, pleurait doucement.
— Ma Dame… si vous continuez, vous allez tomber malade. Je vous en supplie, rentrons... juste pour un instant...
— S’il veut me faire taire par le silence, je répondrai par l’endurance, souffla Jiayi, ses yeux tournés vers les étoiles.
— Mais... pourquoi ? murmura Xiaolan, le cœur brisé.
Jiayi baissa les yeux un instant, sa voix à peine audible.
— Parce que je n’ai plus le droit de me taire. Ce que j’ai appris... ce qu’ils manigancent… ce qu’ils osent faire dans l’ombre du trône… Si je ne parle pas maintenant, il sera trop tard.
Xiaolan ravala ses sanglots. La lune montait lentement dans le ciel, projetant une pâle lumière sur la scène.
Et Jiayi, silhouette fragile dans la pénombre, semblait pourtant porter sur ses épaules tout le poids de la vérité.
**
À l’intérieur, l’empereur se tenait devant une fenêtre, les mains croisées dans le dos. Il observait la cour silencieuse, et au loin, la silhouette immobile de Jiayi. Un instant, ses traits s’adoucirent, comme s’il allait parler, comme s’il allait appeler un garde pour lui ordonner de la faire entrer.
Mais il ne dit rien.
Pas encore.
Dans son cœur, une bataille bien plus dure que n’importe quelle guerre faisait rage.
**
Minuit. Les lanternes du palais vacillaient au rythme du vent nocturne. Les gardes changeaient de tour, les servantes retournaient discrètement à leurs quartiers.
Jiayi restait là.
Et c’est à cet instant, alors que tout semblait figé, qu’un mouvement se produisit.
Un pas.
Puis deux.
Le garde Wei, le visage durci par la tension, s’approcha.
— Dame Shen... l’empereur...
Jiayi releva la tête lentement, ses yeux brillants malgré la fatigue.
— Il va vous recevoir. Maintenant.
La jeune femme ne répondit pas. Elle se leva, vacillante, soutenue par Xiaolan qui fondit en larmes de soulagement.
— Prépare-toi, dit-elle à sa servante en l’écartant doucement. Je dois entrer seule.
Elle resserra les pans de sa robe froissée et monta les marches vers le Hall de l’Aube Céleste, chaque pas résonnant comme un gong dans le silence du palais.
Derrière les portes qui s’ouvraient lentement, l’attendait le trône doré, les piliers de jade, et l’homme dont le silence avait failli la briser.
Mais elle n’était pas venue en victime.
Elle était venue porter une vérité que nul ne pourrait ignorer.