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chapitre 3

Ejaz

« Miaow, miaow, miaow »

Les miaulements de mon chat me tiraient de mon sommeil. J'attrapais mon téléphone qui se trouvait sur la table de nuit à droite de mon lit.

Il affichait 6h50.

J'avais encore 20 minutes devant moi avant que l'alarme ne sonne à son tour.

- Ahhh, est-ce qu'un jour, tu me laisseras dormir jusqu'au retentissement de l'alarme ?

Tu sais très bien que je ne fais pas entièrement mes nuits, t'as aucune empathie envers ton père c'est ça ?

Je le caressais 10 bonnes minutes avant de me lever et de me tourner en direction de la salle de bain.

Il est 7h45, quand je m'apprête à sortir de mon appartement, pour rejoindre le métro parisien.

- À tout à l'heure et ne fais pas trop de bêtises hein, cette fois-ci fais moi ce cadeau s'il te plaît ?

J'eu un miaulement comme réponse et il retourna prendre place sur le canapé.

L'ascenseur ne fonctionnait toujours pas, je crois qu'on devait compter une à deux semaines pour qu'il ne soit réparé.

Le métro parisien à 8 heures du matin, quel enfer.

Au moment où je traversais les portières, j'avais qu'une envie en tête : retourner dans mon lit.

Malheureusement, un avenir ne se construisait pas sans rien.

En réalité, l'ingénierie n'était pas mon premier choix.

Je n'avais pas de véritable projet d'études, ou plutôt, je n'avais aucun désir particulier de continuer mes études.

Si j'avais opté pour cette filière, c'est juste parce que je voulais rendre mes parents heureux. Ils ont énormément sacrifié dans leur vie pour nous, alors j'aimerais au moins les rendre fiers.

Et je pense que la majeur partie d'enfants d'immigrés, l'ont déjà ressenti un jour.

Je sais que ce n'est pas la façon de penser de tout le monde.

D'ailleurs, je pense être l'exemple parfait.

Longtemps, j'ai pensé qu'un sacrifice ne valait pas un nouveau sacrifice.

Je ne voulais pas sacrifier à mon tour mon avenir ou encore mes rêves pour simplement rendre fiers ou heureux mes parents.

Mais il faudrait déjà commencer par avoir des rêves pour savoir si nous allons les sacrifier ou non ?

À un moment de ma vie, j'ai pensé qu'un jour ou l'autre, je trouverai quelque chose qui m'animerai ou me passionnerai, dont j'en ferai mon métier plus tard et m'y épanouir, même si celui-ci était un métier à risque.

Malheureusement, ce jour n'est jamais arrivé.

J'ai persisté pendant des mois et on peut carrément parler d'années, mais je n'ai rien trouvé qui me passionnait à en faire mon métier.

J'ai passé environ 70% de ma vie à pratiquer la boxe anglaise par exemple, mais j'ai fini par lâcher pour les études, je n'arrivais plus à gérer les deux.

La boxe a été un bel échappatoire la plus grande partie de ma vie, mais elle n'en fait plus partie aujourd'hui.

Est-ce que je regrettais pour autant d'avoir arrêté ?

Non absolument pas.

Elle était ce qui me liait avec mon père, je n'aurais jamais connu ce sport sans la passion que mon père y portait.

Même si son fils n'avait pas fini boxeur professionnel, il restait toutefois heureux d'avoir pu lui transmettre ses connaissances et j'en était content.

Ce sport nous a permis de créer de nombreux souvenirs ensemble et si c'était à refaire, je le referais sans aucune hésitation.

J'avais aussi arrêté, car plus les années passaient moins je me sentais bien. Les insomnies, la fatigue, et les comportements que j'avais sur un penchant dépressif n'aidaient pas non plus.

J'ai donc décidé de stopper avant de n'avoir plus que de mauvais souvenirs pour ce sport.

Alors, pourquoi aujourd'hui m'infliger un avenir sans épanouissement ?

En m'enfermant délibérément dans un 35 heures où je travaillerai telle une machine ?

Peut-être que le rêve de ma mère de voir un de ses enfants réussir, afin que ses sacrifices ne soient pas vains, est devenu le mien ?

Peut-être que je trouverai bonheur en réussissant et en accomplissant mes études ?

Ce cheminement ?

J'ai aussi travaillé chaque été depuis mes 18 ans, dans des emplois de manutention ou autrement dit le travail à la chaîne.

Oui, j'ai passé mes étés dans des usines ou encore des supermarchés à faire de l'intérim.

Ses petites missions temporaires, où j'y travaillais un été, étaient le 35 heures de certaines personnes.

Des parents, des frères ou sœurs, même des grand-parents. Toutes ces personnes qui ont été mes collègues, le temps d'un été, ont impacté ma vie.

Ma vision des choses avait très certainement changé durant ces boulots. On dit souvent qu'il faut le vivre pour le comprendre, et croyez-moi, chacun de ces jobs saisonniers m'avait mis une claque à sa manière.

Aujourd'hui, je mesurais enfin l'impact du confort dans lequel je me trouvais. Et si je devais m'enfermer dans un 35 heures, je préférerais l'option la plus onéreuse.

Je restais finalement un humain comme les autres...

Tant que je n'aurai pas trouvé ce qui m'anime, je continuerai sur cette lancée. J'aurais très bien pu abandonner les études et me laisser pourrir par cette « maladie », mais j'ai décidé que sur ce plan, elle n'allait pas l'emporter.Et ce combat, que j'ai contre elle tous les jours a été et est toujours le combat le plus compliqué que je dois affronter jusqu'à aujourd'hui.Même les combats de boxe où je perdais ne faisaient pas aussi mal.

Honnêtement, je ne me suis jamais fait diagnostiquer de quoi que ce soit.

J'ai effectué certaines recherches qui m'ont amené à cette conclusion, mais je prenais cette information avec des pincettes, car je ne sais pas quoi en penser.

La santé mentale est quelque chose d'assez tabou chez nous. Alors si demain, je me pointais en leur disant tout ce que j'avais dans ma tête, j'ai bien peur qu'on me prenne pour un fou.

J'ai aussi grandi dans le non-dit, car mes parents ont été éduqués ainsi, et n'ont pas de connaissances sur ces sujets.

Je ne leur en voulais pas, personne ne leur a appris, ils n'ont pas été sensibilisés à ces thèmes durant leur jeunesse et l'accès à l'information n'était pas la même.

Et puis je ne voulais pas les inquiéter plus que ça, ils ont déjà la vie assez compliquée pour que j'en rajoute une couche.

J'aimerais bien voir un psy un jour.

Mais est-ce que j'en aurais le courage ?

Le métro annonça la station à laquelle je descendais chaque matin pour rejoindre l'école.

Un nouveau jour dans une société capitaliste où je ne suis qu'un pion.

La journée ne pouvait pas commencer sans un cappuccino.

Et je me dirigeais de ce pas vers les machines à café pour en prendre un.

- Ejaz, prends-en un pour moi stp !

Gabriel était en train de gueuler de l'autre côté du Hall de l'école.

Nous nous étions rencontrés ici pour la première fois. Il avait fait tomber ses cinquante centimes en dessous de la machine et m'avait demandé de la pousser pour pouvoir les récupérer.

- Ouais, mais c'est le double pour les frais de livraison.

Il mit ses mains autour de sa bouche afin de crier pour que tout le monde puisse entendre ce qu'il allait dire.

- Messieurs, dames, Le roi des rats en action !

Si c'est pas l'hôpital qui se fout de la charité...

Je me dirigeais vers lui, il attendait que la salle ouvre avec Rohan, Ousmane et Laïla.

- Dis, tu ne proposes pas aux autres ? Elle est où ta galanterie ?

Laïla était une des seules filles de la promo. Elle restait la plupart du temps avec nous, car elle ne s'entendait pas avec les autres filles. Il lui arrivait souvent de se plaindre d'elles.

Moi, je trouvais qu'elle n'avait rien à leur envier.

Laïla est plutôt grande, elle avait un corps élancé et de super long cheveux bruns bouclés qui s'accordait parfaitement à sa couleur de peau.

Un de ses rêves était de pouvoir quitter Paris et retourner à Madagascar, là où elle a vécu la plus grande partie de sa vie. Mais de ce qu'elle nous avait expliqué la situation économique du pays était très compliquée depuis la crise économique de 2009 et plus de 80% de la population vivait sous le seuil de pauvreté.

- Est-ce que j'avais le choix ? Il m'a forcé, moi j'ai rien demandé.

Elle roulait des yeux face à ma réponse et reposait son regard sur la tablette qui se trouvait sur ses genoux.

- Moi ? Forcer ? Je t'ai mis un couteau sous la gorge pendant que tu y es ? Non mais j'hallucine, donne-moi ce café.

Il me l'arracha des mains et se retourna vers Laïla pour lui tendre son verre.

- Tiens ma chère, c'est pour toi !

- J'aime pas le café noir Gab.

-Tu veux du thé peut-être ? Je vais t'en acheter attends.

- Donc t'avais pas cinquante centimes pour ton café mais t'as un euro pour le thé de Laïla ?

- Oui, totalement. Le jour où tu seras Laïla tu auras peut-être ce privilège, en attendant je compte profiter de la générosité de mon grand ami.

- Et c'est moi qu'on traite de rat, sérieusement ?

Il se leva et se dirigea vers la machine avant que Laïla ne lui crie sa commande. Un chaï latte à la main, il revenait vers nous.

- Et voilà pour la reine de cette promo ! il fit une révérence en lui tendant son verre

- Merci Gab. Répondit-elle avec un sourire.

Il se leva et se dirigea vers la machine avant que Laïla ne lui crie sa commande. Un chaï latte à la main, il revenait vers nous.

La relation entre Gab et Laïla, bien que cela ne se voyait pas au premier abord, ressemblait à celle de Pucca et Garu.

À un petit détail près : ici, les rôles étaient inversés, Pucca c'était Gab et Garu, c'était Laïla.

C'était vraiment drôle à observer, mais j'espérais sincèrement qu'au moment où cela finirait, cela n'affectera pas Gab, ou alors qu'ils finissent ensemble et heureux. J'avais l'impression que Laïla n'était pas aussi indifférente qu'elle le laissait paraître.

- Ejaz, Amare m'a dit de te dire qu'il passerait sûrement dans la semaine pour te donner un truc, me pose pas la question, il m'a pas dit ce que c'était.

- Et pourquoi il ne me l'a pas dit lui-même ?

Il haussait les les épaules avant de me répondre :

- Je sais pas, demande lui.

Amare et Gab se connaissaient déjà, je n'avais pas eu besoin de les présenter. Ils étaient dans le même club de foot quand ils étaient petits, mais ils avaient perdu contact quand Gab avait déménagé à 15 ans. À l'époque, Gab n'avait ni les réseaux ni de téléphone, ce qui était assez rare pour un enfant de notre génération.

La discussion que nous avions commencée avait été interrompue lorsque le prof était arrivé et nous avait ouvert la salle. 

C'était parti pour deux heures d'anglais.