Hiba
Jeudi 17h30
Le prof de TD étant absent cet après midi, j'avais pu finir les cours plus tôt. J'avais passé cette demi-journée à réviser afin de prendre de l'avance et de pouvoir travailler un peu plus aujourd'hui. Magalie était d'accord pour que je commence à 18h, ce qui signifiait que je n'allais pas faire la fermeture ce soir.
Rien qu'à l'idée de ne pas avoir à nettoyer le bar et de pouvoir me coucher plus tôt, j'étais toute joie.
Mais j'étais loin de me douter que ce bonheur serait de courte durée.
- Bonjour.
Un homme que je présumais être mon nouveau voisin venait de me saluer.
Chaque étage de l'immeuble contenait deux appartements, c'était alors simple de faire le rapprochement.
Il était assez grand, et avait l'air d'être dans la même tranche d'âge que moi. Je ne m'attardais pas plus sur son physique et lui rendis son salut.
Il inspira un grand coup, comme s'il s'apprêtait à entamer un discours devant une assemblée.
- Je suis le nouveau voisin, j'ai emménagé il y a deux semaines maintenant. Je m'appelle Ejaz, ravi de faire votre connaissance !
Il me tendit la main pour me saluer une seconde fois, sauf que je crois qu'il a oublié une chose.
- Oui ravi, ça doit être ça. Écoutez Monsieur, je suis contente que vous ayez trouvé un logis qui vous convient au sein de notre immeuble. Au début, j'étais même très enthousiaste à l'idée d'avoir de nouveaux voisins. Peut-être que vous l'ignorez, mais l'isolation ici est mauvaise, ce qui fait que nous entendons tout depuis nos appartements respecti..
Il me coupa la parole avant que je ne puisse terminer ma phrase. Il avait l'air totalement désorienté.
- Oh, excusez-moi de vous avoir laissé penser ça, mais je l'avais très bien compris dès mon arrivée.
C'est censé être des excuses ou une pique ? Je ne comprends pas trop là.
- Est-ce dans votre routine de prendre des douches quotidiennes à deux heures du matin ? Non pas que je veuille passer pour le voisin chiant mais vous savez que cela perturbe fortement mon sommeil chaque soir.
Alors celle-là, je ne l'avais pas vue venir. Et puis, comment il a fait pour passer d'un homme, à première vue timide, à ça.
Il doit vraiment être confiant pour parler de cette manière à sa nouvelle voisine qu'il vient tout juste de rencontrer. On dirait qu'on a sauté plusieurs étapes là, non ?
- Très bien, j'entends bien ce que vous dites et je conçois que cela puisse être dérangeant. Mais voyez-vous, monsieur, je n'ai pas d'autres choix que de les prendre à cette heure-ci car je travaille de nuit. Alors veuillez m'excuser pour cette gêne occasionnée, mais vous n'êtes pas tout blanc non plus ?
Il prit un air confus, comme s'il n'avait pas saisi mon sous-entendu.
- Vos séances de révisions où vous commencez à écouter des vidéos de cours dès 7h du matin, tandis que d'autres essayent tant bien que mal de finir leur nuit. Et puis lorsque vous invitez vos amis à jouer aux jeux vidéo ou encore lorsque vous discutez tard dans la nuit, et le bruit des rires ou des cris de victoire qui traverse les murs, perturbe tout autant mon sommeil que vos plaintes sur mes misérables douches de 15 minutes.
Hiba 1 - Voisin 0
Suite à ma tirade, un silence s'installa.
- Alors Monsieur a perdu sa langue ?
Il laissa échapper un petit rire.
- Non, figurez-vous que je m'abstiens de vous rappeler qu'en France, le tapage nocturne commence à partir de 22h et se termine à 7h du matin. Et corrigez-moi si je me trompe, bien que mon bruit soit dérangeant, comme vous l'avez mentionné je regarde mes vidéos à 7h le matin. Concernant les parties de jeux-vidéos avec mes amis, elles se sont toujours terminées aux alentours de 21h. Si vous avez quoi que ce soit à rajouter, n'hésitez pas à m'en faire part.
Cette fois-ci, c'est moi qui laissa le silence reprendre place.
Hiba 1 - Voisin 1
Avant d'entrer dans l'ascenseur, Il finit par ajouter :
- Bienvenue à Paris !
Les ascenseurs parisiens avaient la particularité d'être très petits, et celui de notre immeuble ne faisait malheureusement pas exception. Nous vivions au sixième mais aussi dernier étage de cet immeuble, et bien que je me plaignais sans arrêt de ce vieux monte-charge, lorsqu'il ne fonctionnait pas j'étais bien embêtée.
5...
4...
3...
Boom.
L'élévateur venait de s'arrêter brusquement.
J'appuyais brutalement sur le bouton pour qu'il redémarre.
Ce n'était vraiment pas le moment de me lâcher.
- Allez, redémarre ! Argh, dites-moi que c'est une caméra cachée s'il vous plaît, je dois me rendre au travail dans trente minutes.
Je continuais mon acharnement sur le bouton.
- Merde, je t'en supplie redémarre !
- Si je peux me permettre, ce n'est pas en s'acharnant sur le bouton que la machine finira par redémarrer.
Il se foutait de moi là ?
Hiba reste calme, tu es une adulte maintenant.
Je me retournais vers lui et mes yeux finissaient par être attirés par ce qui se trouvait entre ses mains.
- Vous avez peut-être une meilleure idée ? D'ailleurs je me permets aussi de vous dire qu'on est sûrement bloqué à cause de vous là. Vos grosses poubelles ont sûrement dû dépasser la capacité maximale du poids que l'ascenseur pouvait supporter.
Il me lança un regard noir, visiblement agacé par mon attitude.
- Ce ne sont pas mes poubelles le problème, c'est cet ascenseur qui est trop vieux. Je ne pense pas que mes deux misérables sacs poubelles dépassent les 10 kilos.
Je haussai un sourcil, tout en croisant les bras.
- Ah bon ? Et pourtant, il fonctionnait très bien avant que vous n'y entassez votre montagne de déchets.
Il souffla bruyamment avant de détourner les yeux. L'ambiance devint pesante. Le silence ne fut brisé que par un grincement sinistre de l'ascenseur.
- Bon... Il faudrait peut-être appeler quelqu'un, non ?
Il sortit son téléphone, le fixa un instant, puis le rangea dans sa poche en soupirant.
- Plus de réseaux, j'espère que vous n'êtes pas trop claustrophobe ?
J'ignorais totalement sa question et je jetais un coup d'œil au mien. Aucune barre non plus. Génial.
On avait appuyé sur le bouton d'urgence mais dix minutes passèrent, toujours rien.
Une voix finit par nous répondre plus tard, en nous disant que nous risquons d'être bloqués pendant deux heures max.
Ce qui fit accentuer mon état de colère. Mes jambes n'allaient clairement pas tenir deux heures debout.
- Dites-moi, il y a quoi dans vos poubelles pour qu'elles puissent bloquer notre ascenseur ?
- Oh, vous avez retrouvé votre langue ?
Je lui répondis avec un simple sourire forcé.
- Celle-ci contient des papiers et l'autre des ord...
Je ne lui laissai même pas le temps de finir sa phrase que je lui arrachais celle à sa gauche où se trouvaient les papiers et m'assis dessus.
- Avant que vous ne disiez quoi que ce soit, c'est à cause de vous qu'on est bloqué ici. Et je ne compte en aucun cas m'asseoir sur le sol sale ou rester debout pendant deux heures.
- Le sol sale vous dérange mais pas ma poubelle ?
- Vous m'avez bien dit que votre poubelle ne contenait que des papiers non ? À moins que vous n'ayez oublié de mentionner quelque chose ?
Ejaz
Aujourd'hui, j'avais fini plus tôt et j'avais profité de ce jour pour faire un peu de ménage dans l'appartement.
Voilà pourquoi je me baladais avec deux gros sacs poubelles en main.
Suite à sa question, ma voisine se leva précipitamment comme si quelque chose venait de la piquer.
- Non, non vous pouvez vous rasseoir. Il n'y a rien d'autre que de la paperasse.
Elle finit par me dévisager et tourner sa tête.
Maintenant qu'elle était assise, l'ascenseur semblait encore plus petit, et j'avais à peine la place pour poser mes fesses par terre.
Je n'aurais jamais cru rencontrer ma voisine dans de telles conditions.
Déjà que j'avais plutôt du mal à parler aux femmes mais alors là, j'étais tombé sur le pompon.
Je sentais que la cohabitation sur le même palier s'annonçait plus compliquée que je ne le pensais.
J'ai pris mon téléphone pour regarder l'heure car c'était bien la seule chose qu'on pouvait faire en ce moment.
Encore 1h30 d'attente, ces minutes vont être interminables. Surtout quand je pensais que j'étais bloqué avec ...
Attends... elle s'appelle comment déjà ?
Me dis pas que t'as oublié son prénom alors qu'elle te l'a dit 15 minutes plus tôt.
Elle me l'avait dit ?
Je m'étais présenté à elle, ça c'est sûr.
Je lui avais dit " Bonjour, je suis le nouveau voisin Ejaz enchanté" un truc comme ça ?
- Oui je le sais déjà, pas besoin de le répéter.
Elle marquait un temps avant de reprendre avec une question.
- À moins que vous n'ayez Alzheimer ?
Merde j'avais parlé à voix haute.
La main sur sa bouche comme si elle avait dit une bêtise elle finit par ajouter :
- Si c'est le cas, veuillez m'excuser des propos que je viens de tenir à votre égard.
- Hein ? Non du tout, j'essayais juste de me rappeler de votre prénom en me remémorant le début de notre conversation.
Elle avait l'air de ne pas comprendre ce qui se passait et moi non plus.
- Dans ce cas, je n'ai rien d'autre à vous dire.
Elle tournait une nouvelle fois sa tête contre le mur pour éviter mon regard.
Pourquoi j'arrive à lui parler sans bégayer ?
- Vous auriez pu me dire votre prénom pour que je puisse savoir à qui je m'adresse ?
Silence.
- Et puis j'ai l'impression que nous sommes de la même génération, on pourrait se tutoyer non ?
Silence.
Elle qui avait plutôt du répondant, la voilà bien silencieuse.
- Écoutez, je sais que nous ne sommes pas partis sur de bonnes bases, mais je souhaite vraiment bien m'entendre avec vous. Je pense qu'on va devoir cohabiter un bon moment ensemble, donc vous ne voulez pas repartir de zéro et faire comme si ce petit incident n'avait pas eu lieu ?
Je savais reconnaître mes torts quand c'est le cas, et ma mère me disait toujours de ne pas rester en froid trop longtemps en général. Si je me disputais avec quelqu'un il fallait que ça se règle dans la journée avec une bonne discussion.
Visiblement elle ne souhaitait pas faire la paix.
Pourtant je me ..
Hein ?
C'est quoi ces petits sifflements ?
Tu m'étonnes qu'elle ne réponde pas, elle s'était endormie.
Pour le coup, je parlais vraiment au mur.
Mon téléphone affichait 18h30, plus qu'une heure d'attente.
Une demi-heure plus tard, elle se réveillait de sa sieste par les bruits qu'émettaient les outils du mécanicien.
Son téléphone à la main, l'écran affichait 18h53.
Je me redressais et la fixais.
- Je peux récupérer ma poubelle ?
Sans un mot, elle se leva précipitamment. La porte s'ouvrit enfin. Je l'observais se précipiter vers l'entrée du hall. Elle referma la porte derrière elle d'un geste rapide, comme pour s'assurer que je ne puisse pas la suivre.
Je tentais d'ouvrir la porte à mon tour, mais avec les mains prises, la tâche devenait compliquée. À travers la vitre, je la voyais jeter un regard en arrière. Son expression affichait une satisfaction évidente.
Elle s'éloignait en courant, ses talons résonnant sur le sol.