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chapitre 6

Hiba

Vendredi, 9 heures

Me revoilà dans l'amphithéâtre de la fac, a.k.a l'endroit où faire ses meilleures siestes.

Malheureusement, j'ai dû arrêter de les faire et me mettre au premier rang pour suivre les cours, pour avoir le métier que je souhaitais exercer plus tard.

« Moi, plus tard, je veux être comme maman ! »

« Moi, plus tard, je veux faire comme papa ! »

« Moi, plus tard, je veux être astronaute ! »

« Et moi plus tard, je veux être championne de gymnastique ! »

Moi, contrairement à tous les enfants de mon âge à ce moment-là de ma vie, j'avais toujours voulu être juge.

Bizarre pour une enfant ?

À l'époque où j'émettais déjà mon souhait de l'être, ma mère me répondait que c'était un métier barbant et qu'il fallait que je choisisse un métier plus amusant.

Amusant ?

Amusant ?

Mais ça voulait dire quoi amusant ?

Je n'avais jamais grandi avec ce mot.

Je n'avais pas eu une enfance amusante.

Je ne connaissais pas sa signification car je ne l'avais tout simplement pas vécu.

Maman aurait préféré que je ne sois pas dans cet amphithéâtre aujourd'hui.

Mais maman, je le fais aussi en partie pour toi tu sais ?

Si elle le savait, elle m'en aurait dissuadé. Elle aurait sûrement dit quelque chose du genre :

« Ce n'est pas de ta responsabilité Hiba, va plutôt t'amuser avec tes copains ».

Donc je ne lui ai jamais dit.

Elle ne savait pas non plus, qu'à cet âge là mes seuls copains étaient imaginaires.

Je n'arrivais pas à m'en faire, quand on est petit on est méchant.

Et tous les enfants étaient méchants avec moi, parce qu'ils disaient que maman faisait peur.

« Ma maman est juste un peu fatiguée ! ».

Je ne calculais plus le nombre de fois où je leur répétais cette phrase.

Mais eux, ne voulaient rien entendre.

Eux, avaient la vie facile.

Un papa + une maman = une famille ?

Une vérité dite, rien de plus.

La réalité était bien loin de celle-ci.

Et puis c'est quoi la vraie définition de famille ?

Sur quoi la société se basait pour définir ce mot qui comporte un nombre indéfini de sens.

De mon côté, je crois que ce mot n'est arrivé dans mon vocabulaire que lors de la naissance de mon petit frère.

Mon frère a été la meilleure chose que ma mère ait pu m'offrir et me laisser avant de s'en aller.

Mon petit frè..

-...ba, Hiba ? Eh oh ? Ça va ?

Je me ressaisis, et me retournais vers Jade qui se trouvait assise à ma droite.

- Oui, ça va, ça va.

Je la voyais me fixer avec de l'empathie dans ses yeux. Elle savait pourquoi j'étais dans cet état, elle savait par quoi j'étais passé avant d'arriver dans cet amphithéâtre aujourd'hui.

-Tu pleures.

Et merde, je touchais mes joues et sentais les gouttes d'eau en découler...

- Dis ? Tu dormais les yeux ouverts cette fois-ci ?

Elle ouvrit grand les yeux et fit une grimace. Je lui mis une tape sur l'épaule et rigolai avant que le prof ne nous reprenne toutes les deux.

-Eh, tu m'as pas raconté la fin de l'histoire avec ton voisin, ça s'est passé comment ? D'ailleurs est-ce qu'il est Bg ? Et il a quel âge ? Plus jeune, ça ne m'intéresse pas.

Je sais pas si c'était bien de tout lui raconter au final.

Elle allait vouloir venir chez moi pour le voir, mais c'était impossible, je ne pouvais pas l'accueillir pour le moment. Ces derniers temps c'était un peu galère.

- Il vient d'être majeur. J'espérais que ce mensonge allait la refroidir un maximum, pour qu'elle ne puisse pas me demander de passer à la maison. On est restés bloqués 1h30, je me suis endormie et je ne lui ai pas parlé plus que ça. Dès que le mécanicien est venu, j'me suis réveillée et je suis partie au taf avec 2 heures de retard à cause d'un... un..

- Un gamin ?

- Non, un crétin ! Et puis je te raconte pas le savon que m'a fait passer Magalie à cause de lui.

Elle n'avait l'air pas très emballée par ce que je lui racontais. Jade était une amoureuse de l'amour contrairement à moi. Elle romantisait très souvent des actions banales en leur donnant un second sens. Pour elle, cette scène dans l'ascenseur était tout droit sortie d'une comédie romantique.

Il m'arrivait parfois de vouloir qu'elle soit moins naïve pour son bien. J'avais peur que sa personnalité trop gentille et innocente ne la trahisse et que des personnes en profitent.

Jade a d'abord été une camarade de classe que j'avais rencontrée en L2 dans un groupe de travail. Au fil du temps, on a commencé naturellement à rester ensemble dans les amphis et on a appris à se connaître. Ça paraissait assez banal dit comme ça, mais parfois la vie nous offrait des cadeaux tombés du ciel et il suffisait juste d'être reconnaissant et de les chérir.

Elle a été et est toujours une camarade devenue récemment une amie incroyable. Sans elle, je pense que je n'aurais jamais pu valider ma troisième année de licence et obtenir mon premier diplôme universitaire.

L'année dernière fut une année remplie de problèmes personnels, qui affectèrent mon train de vie ainsi que mes études. Je dormais à quasi tous les cours magistraux, car je ne dormais plus la nuit et, pendant ce temps, elle notait le cours pour deux sans jamais rien demander en échange. Elle m'aidait dans mes révisions et me poussait à ne pas abandonner alors que j'étais sur le point de tout quitter...

Et le laisser gagner.

-Tu peux m'aider cette après-midi à retirer mes tresses s'il te plaît Hiba. Ça fait un moment que je les ai, je commence à en avoir marre de cette coupe. J'ai besoin de retourner au naturel là.

J'admirais le fait qu'elle assumait entièrement ses cheveux et qu'elle ne les cachait pas ; ils faisaient partie de son identité et elle en était fière. Pendant que moi, je brûlais tous les jours les dernières boucles qui me restaient. En plus de détruire mes cheveux au fer à lisser, des pelades étaient apparues l'année dernière à cause du stress, d'après mon médecin. Je n'osais même plus sortir sans couvre-chef sur la tête. J'avais honte. J'avais maltraité mes cheveux et voilà le revers de la médaille aujourd'hui. Je ne pouvais en vouloir qu'à moi-même.

- Yes, mais je commence le taff à 20 heures donc je pourrais pas rester très longtemps.

- T'inquiètes, à deux je pense qu'en moins d'une heure c'est plié.

J'ai eu du mal à me faire des amies tout le long de ma scolarité. En primaire, on me trouvait trop bizarre pour être amie avec moi. Au collège, on a commencé à me harceler car je ne parlais pas beaucoup mais surtout à cause du physique de ma mère. J'avais l'habitude des remarques sur ma maman, depuis la maternelle elles ne s'arrêtaient pas. On ajoutait à cela le fait qu'on me détestait pour ce que j'étais, comment étais-je censé me construire dans un contexte hostile et sans le moindre soutien ?

En parlant de soutien, ma mère s'était battue pour que les enseignants fassent quelque chose, interviennent, mais rien n'avait été fait. Il y avait juste eu une petite annonce concernant le harcèlement dans la classe sans citer de noms et devinez quoi ?

Après ça, j'avais été deux fois plus harcelé. J'étais leur seule cible, c'était simple de deviner sans prénoms.

C'était la pire période de ma scolarité, je voulais tellement arrêter l'école. Je rentrais quasiment tous les soirs en pleurant, car j'avais soit un nouveau surnom soit une nouvelle rumeur collé au dos. En supplément de toute cette chance, j'avais aussi eu ma première amie au collège. Elle m'avait trahi plusieurs fois, mais vu que c'était ma seule amie je lui pardonnais à chaque fois. Même si des fois ses actes me blessaient encore plus que ceux de mes harceleurs.

Au lycée, j'avais réussi à me faire deux nouvelles amies qui n'étaient pas dans mon collège et qui ne savaient rien de mon passé. Mais malheureusement, le temps nous avait séparés et quelques disputes pour des futilités nous avaient transformés en inconnues.

Aujourd'hui, je ne considérais comme amie que Jade. Je ne savais pas si elle resterait longtemps à mes côtés, mais je m'étais déjà préparée mentalement à ce qu'elle en ai marre de moi un jour ou l'autre.

À ce moment-là, je la laisserai prendre son envol.

Je n'ai eu que des expériences négatives en amitié, et maintenant je me retrouve à ne plus trop connaître à nouveau le sens de ce mot.

Peut-être étais-je résignée à ne pas savoir ce que c'était d'avoir des amis et un entourage sain. Étais-je trop compliquée à vivre ?

Trop compliquée à supporter ?

Trop différente ?

Différente.

J'avais longtemps pensé que je ne l'étais pas.

D'un point de vue extérieur, lorsque l'on me voyait j'avais l'air d'une fille banale.

Mais dès qu'on essayait de creuser un peu plus, je n'avais pas forcément tous les codes.

Les codes que la société nous imposait. Les mêmes codes qu'on nous inculquait dès l'enfance. La plupart des éducations reposaient sur ces codes.

Mes codes étaient différents. Longtemps j'ai cru que les autres étaient différents et non moi, mais je m'étais vite aperçue que j'étais finalement seule.

Seule à vivre une vie anormale. Tout ce que j'avais considéré normal dans ma vie était en réalité impensable dans la vie d'une personne lambda.

Avec le temps et en grandissant, j'avais découvert que je n'étais pas réellement seule, d'autres personnes avait pu vivre des choses similaires à travers ce vaste monde. Nous restons néanmoins une minorité, et la majorité d'entre nous reste encore silencieuse aujourd'hui.

J'étais persuadée que ce silence n'était pas volontaire.

Ce silence était parfois présent pour éviter le pire.

Ce silence ne devrait pas perdurer.