Ejaz
Samedi, 10 heures
Moi qui détestais les transports parisiens, je m'étais promis de passer le permis moto pour en finir avec tout ça. Ma moto était enfermée depuis un bon mois dans le parking de l'immeuble.
À l'école, je préférais y aller en transports, car elle se situait très près de l'appartement, mais quand il s'agissait d'aller ailleurs, la plupart du temps j'étais sur mon deux-roues.
Jiji était avec moi sur mon dos, c'était parti pour un trajet d'une demi-heure pour rejoindre ma famille.
Mes parents habitaient en banlieue parisienne, j'aurais pu me passer de l'envie de vivre seul et économiser à la place, mais j'avais à l'époque eu besoin de quitter le cocon familial. Mes parents étaient d'accord, et cela faisait quelques années que je vivais seul.
Il arrivait aussi que mes frères et sœurs viennent faire les colocataires le temps d'une semaine pendant leurs vacances et pour me tenir compagnie.
Dans ma famille, au total nous sommes cinq enfants, ce qui est plutôt nombreux. Je suis le deuxième de la fratrie. La première est ma grande sœur Nour, qui est aujourd'hui mariée avec deux adorables fils de 4 et 2 ans. Bien que j'aimais mes frères et sœurs, j'adorais mes neveux. Lorsque j'avais du temps devant moi, il m'arrivait d'aller chez elle pour leur rendre visite, ce qui me permettait de me ressourcer d'une certaine manière, et les petits étaient super contents.
Nour a été plus ou moins mon exemple. Elle n'était pas trop études, mais avait quand même réussi à s'en sortir avec un BTS et elle travaillait aujourd'hui en tant qu 'opticienne. J'ai toujours eu l'impression que Nour a toujours su ce qu'elle voulait faire de sa vie et n'avait jamais douté de ses choix. Elle a une confiance en elle incroyable, et je vois bien qu'aujourd'hui elle semblait heureuse et même comblée.
Avoir eu l'étiquette de l'aînée n'a pas été facile pour elle. Je la voyais constamment aider mes parents dans tous les domaines, et elle le faisait encore un peu aujourd'hui même si c'est moi qui ai repris le flambeau. C'est une femme forte que j'admire mais c'est aussi la personne la plus chiante de mon entourage, et la sœur avec qui je me disputais le plus souvent pour des choses avec peu d'importance.
Après moi dans la liste, on retrouvait Naïla. De son côté, Naïla était plutôt calme contrairement à Nour, qui était hyperactive. Naïla ne parlait pas énormément, et était souvent dans son coin, un peu effacée. C'est sûrement parce qu'elle était l'enfant du milieu, mais elle restait la sœur avec qui je m'entendais le mieux et celle qui me comprenait le mieux. Et il fallait que je m'avoue vaincu pour une fois, mais c'était elle la plus drôle de la famille.
Naïla et moi avons trois ans d'écart, et on a souvent été dans les mêmes écoles étant petits. Aujourd'hui, elle étudiait dans le sud de la France en pharmacie.
Elle savait quasiment tout de moi et inversement.
Après Naïla, on a Minimoys a.k.a Myriam. Myriam a su prendre sa place de cadette très au sérieux jusqu'à l'arrivée de mon petit frère, ce qui ne lui a pas plu du tout car elle souhaitait rester la dernière. Myriam est celle qui a le moins de filtres à la maison, elle disait tout haut ce que tout le monde pensait tout bas et dans certaines situations, c'était compliqué de lui faire tenir sa langue.
C'était un peu un papillon sociable, elle volait partout et parlait à tout le monde, mais en une semaine, elle pouvait très bien vous oublier. En termes d'énergie, elle en avait encore plus que Nour. Pour Myriam, si la personne en face était en tort, elle lui faisait bien comprendre, car elle avait horreur de l'injustice. Quand on est avec Myriam on ne s'ennuie jamais. Même si notre écart d'âge est assez grand (7ans), je pense qu'elle est la sœur avec laquelle je m'amusais le plus.
Enfin on terminait avec le chouchou de la fratrie, et mon chouchou aussi : mon petit frère Qasim. Il suivait de près Mymy, ils n'avaient que deux ans d'écart et étaient comme Tom et Jerry. Avec Qasim l'écart d'âge se creusait entre nous, quasiment 10 ans, mais en réalité je ne les sentais même pas. Depuis qu'il est tout petit, je l'emmenais partout avec moi. À chaque fois que je sortais quelque part, on retrouvait Qasim pas loin. Pour certains, c'était peut-être une corvée de sortir avec ses frères et sœurs, mais moi, j'avais tellement attendu avant d'avoir un frère que lorsque Qasim est né, j'étais le plus heureux.
Il n'était pas si différent de moi. Il faut dire que je lui avais fait découvrir tous mes centres d'intérêt et il les avait tous adoptés. Lui aussi avait commencé la boxe il y a deux ans, mais il avait vite arrêté car il avait trouvé un autre sport qui le faisait vibrer : le basket-ball. J'étais à fond derrière lui et ne ratais aucun de ses matchs.
Niveau personnalité, il était étrangement calme pour le dernier de la famille. Après tout, Myriam continuait à croire que c'était la dernière donc c'était peut être pour ça qu'ils avaient inversé leur personnalité ?
Je venais d'arriver à destination.
J'appelais Qasim sur son téléphone car j'avais laissé mon antivol pour sécuriser ma moto dans sa chambre.
Mes parents vivaient dans un immeuble en banlieue et le parking était un parking partagé, il fallait à chaque fois bloquer ma moto pour éviter tout vol.
Je voyais Qasim s'approcher vers moi avec ce que je lui avais demandé dans sa main droite.
-T'as pris Minouche avec toi ?
C'était comme ça que mon frère et mes sœurs avaient nommé Jiji.
-Pour la énième fois, il ne s'appelle pas minouche et oui, il est derrière moi. Tu veux le prendre ?
-Alors là, faut pas me le dire deux fois !
Arrivé à la maison il sera monopolisé par Naïla, je veux profiter un peu avant.
- Elle est à la maison ?
- Ouais, maman lui a aussi dit de revenir pour le mariage de Rayan, mais elle n'a pas l'air dans son assiette.
- Mouais, je pense qu'elle ira mieux quand elle aura le chat dans ses bras. Sinon les autres vont bien ? Papa, maman et Myriam ?
Il haussa les épaules puis finit par dire :
- Tu verras par toi-même dans quelques minutes...
Les minutes en question étaient passées. J'étais à présent devant la porte d'entrée et je m'en doutais mais... L'entrée faisait face au couloir d'entrée et je voyais mes neveux crier et courir dans toute la maison. Ma mère qui criait aussi derrière mes sœurs pour leur demander, bah j'ai pas trop compris.
Mon père était au salon devant la télé comme à son habitude, c'était sa routine le week-end.
-Qasim, sors les p'tits dehors, ils font trop de bêtises ici. Ils ont besoin de dépenser leur énergie.
Ah, Ejaz, t'es là ? Je t'ai pas entendu. Tiens, tu veux pas aller récupérer les caftans au pressing de tata s'il te plaît ?
Et c'était reparti pour 48h sans pause.
J'avais même pas eu le temps de dire bonjour que Myriam m'envoyait déjà en mission.
-Est-ce que j'ai le choix ?
Elle était en train de finir d'habiller les enfants de Nour.
-Promis, après ça je te laisserai tranquille. Demain elle est fermée et on ne pourra pas récupérer les tenues.
-T'as fait ton brownie ?
Je voyais à son regard qu'elle hésitait...
-Oui
حَلِفِي؟ -
(jure ?)
- Oui, mais les garçons et baba l'ont mangé. Je te jure que la prochaine fois que tu viens, je t'en referais un que tu ramèneras chez toi !
Je me retournais vers Qasim et passais mon bras sur son cou pour le bloquer et lui decoiffer sa coupe de cheveux qui a dû lui prendre 5 bonnes minutes à coiffer.
- Tu connais pas le partage toi ? C'est pas parce que je vis plus ici que j'ai pas le droit à ma part.
Il essayait de se débattre, mais il savait déjà lui-même qu'il n'arriverait pas à se défaire de mon emprise.
- Lâche-le Ejaz, c'est pas le seul à avoir mangé.
-Ouais, lâche-moi là, c'est bon j'ai compris !
Je finissais par le lâcher et descendais chercher ce que Myriam m'avait demandé.
-EJAZ!
J'avais reconnu la voix familière qui venait de m'appeler. Il était en train de courir dans ma direction pour me rejoindre.
- Ali, comment ça va, mon p'tit reuf ?
Ali était le petit frère d'Amare. Si Qasim était toujours collé à moi petit, Ali était toujours collé à Amare. Il avait un an d'écart avec mon frère.
- Ça va merci et toi ? Tu fais quoi ici ? Ça fait longtemps qu'on s'est pas vu ? Tu viens jouer avec nous ce soir au foot ? Tu restes combien...
- Oh doucement avec les questions!
Oui ça va et je suis venu pour le week-end j'ai encore plein d'examens. Ça te va comme réponse ?
-Non ! Tu viens jouer avec nous ou pas ?
En ce moment, j'étais vraiment k.o à cause des études et du rythme de vie que je menais.
-Je pense pas, mais si tu veux je passerai vous regarder jouer.
-Mouais...
-Tu fais quoi là ? Si t'as rien à faire, accompagne-moi au pressing de tata.
- Oh non, à chaque fois que j'y vais elle me tire les joues et me fait plein de bisous. J'aime pas ça.
C'est vrai que Tata aimait beaucoup les enfants du quartier. Malheureusement, son mari est décédé jeune et elle n'a pas voulu se remarier. Elle vit seule depuis des années, sans enfants. Elle nous considèrait aujourd'hui comme les siens et nous la considérons tous comme notre tante.
-Tu sais, moi aussi elle me fait ça, et pourtant j'ai bientôt 22 ans.
Allez viens et je te paye un capri-sun.
- Un capri-sun et des pipas !
- Ok, marché conclu.
Je lui serrais la main et nous nous dirigions vers la boutique en question.
-Toc,Toc,toc, y'a quelqu'un ?
Elle sortit de son arrière boutique pour venir nous accueillir.
-Oh mais qui vois-je ? Est-ce un rêve ? Mon Dieu réveillez-moi !
-Toujours aussi théâtrale à ce que je vois. Comment ça va tata ?
-Ejaz, mon fils! Mon Dieu, comme tu as grandi ! Ça fait combien de temps que je ne t'ai pas vu 1, 2 ou 3 ans, je ne sais même plus.
Je répondais d'un rire, suivi d'une remarque d'Ali.
-Depuis qu'il a commencé l'école des grands, il ne vient plus nous rendre visite. C'est un traître.
-Ali, ne parle pas comme ça de ton grand frère !
Cette ambiance m'avait tellement manqué...
- Tu es venu pour les tenues de tes sœurs je suppose ?
- Non absolument pas !
Je suis venu voir une grande femme au cœur immense et à la beauté qui couperait le souffle de quiconque croisant son regard. Il paraît qu'on la surnomme « Tata » pour sa gentillesse, sa générosité et son amour envers les gens du coin.
Elle rigolait et me donnait une tape sur l'épaule.
-Oh Ejaz, je vois que tu n'as absolument pas perdu de ta galanterie, mais sers-t'en plutôt pour draguer une belle jeune femme de ton âge.
Eh Ali, prend des notes sur lui, c'est un bon exemple à suivre.
Ali roula des yeux et se mit à jouer avec une balle qu'il avait trouvée dans la boutique. Je me retournai vers Tata qui me tendait deux caftans, un rouge et l'autre beige.
-Tiens, la commande de tes sœurs est prête. N'oubliez pas de m'envoyer des photos de vous dans vos tenues, s'il te plaît.
-Oui, bien sûr, compte sur moi !
Je papotais quelques minutes avec elle et finit par sortir de la boutique pour rejoindre Ali qui était sorti depuis un moment maintenant.
-Reviens plus souvent mon fils s'il te plaît, vous me manquez. Maintenant que vous avez grandi, je vous vois de moins en moins. Vous allez bientôt tous m'oublier c'est ça ?
-Mais non, ne dis pas ça. Je te promets de revenir 1 fois par mois maintenant.
- Fais attention, je prends tes mots à la lettre, si tu ne la tiens pas, ma porte ne te sera plus jamais ouverte.
Elle me fit un grand câlin et me dit à bientôt en me rappelant une dernière fois la promesse que je lui avais faite.
Nous étions sur le chemin du retour quand je remarquais qu'Ali était en train de me fixer tout en buvant son capri-sun.
-J'ai quelque chose sur le visage ?
- Non, pourquoi ?
-Parce que tu me fixes.
Il ne répondit pas et se contenta cette fois-ci de fixer la rue en marchant.
- T'as déjà eu une copine ?
- Une copine ? Pourquoi tu me poses cette question ?
- Parce que moi, j'en ai une !
La blague, elle est où la caméra du prank ? Une copine alors qu'il était encore en primaire ?
- Rappelle-moi ton âge Ali ?
- 11 ans.
...
Ouais c'est bien ce que je me disais, c'est toujours un bébé.
-D'ailleurs, tu devrais aussi t'en trouver une, tu commences à être vieux jaja. Tu veux que je t'aide à en trouver une ?
Non mais si lui aussi s'y met on n'est pas sorti de l'auberge...
-Tiens va plutôt donner les autres capri-sun à Qasim et aux p'tits s'il te plaît. On se voit tout à l'heure.
- Le match commence à 17h30, OUBLIE PAS !
Il s'en alla en direction du parc où se trouvait mon petit frère, pendant que je retournais à la maison.