Le mariage de mon cousin aura lieu demain à partir de 20 heures. Les connaissant le 20 heures se transformera en 22 ou 23 heures et se terminera sûrement vers 4 heures du matin.
Maintenant, la question que je me posais c'est comment faire comprendre à ma mère que j'allais devoir rentrer vers minuit chez moi pour ne pas être trop k.o parce que j'enchaînais avec une semaine de cours chargé.
Si Naïla conduisait au retour, ça pourrait le faire non ?
Est-ce qu'elle a cours lundi elle aussi ?
J'étais arrivé une deuxième fois à la maison, en espérant que cette fois-ci on ne me renvoyait pas dehors avant même d'avoir annoncé ma présence.
نعم، أعلم يا سميرة. سأطلب من أحد أبنائي أن يحضر لكِ البدلة.-
(Oui, je sais Samira. Je vais dire à un de mes fils de te ramener le costume).
Oh non pitié, je venais tout juste de rentrer.
Ma mère était sortie de la cuisine, et parlait au téléphone avec ma tante.
J'apercevais Naïla au bout du couloir avec mon chat dans les bras. Il fallait que je me cache un moment, elle ne m'avait pas encore vu.
Si ma mère me voyait, elle n'allait pas me lâcher une seule seconde.
Par chance, elle venait d'entrer dans le débarras qui se trouvait à l'opposé de la chambre de ma sœur.
- Naïla...Naïla
Elle ne m'entendait pas.
Je portais leur tenue en hauteur afin d'y cacher mon corps derrière celle-ci.
-Naïla ouvre ta porte s'il te plaît, j'ai vos tenues.
Je continuais de chuchoter mais rien.
Je finis par sortir mon téléphone pour lui envoyer un message.
« Ouvre-moi la porte, fais vite maman arrive ! »
Quelques secondes après, la porte s'ouvrit d'un grand coup et je manquais de trébucher.
-Désolée je t'ai pas entendu parce que j'avais pas mes appareils, attends...
Je refermais la porte derrière moi, par peur que ma mère ne m'aperçoive.
- C'est bon, tu peux parler.
Naïla était mal entendante. Elle n'était pas née avec ce handicap, donc elle arrivait à parler sans problème.
Sa surdité est aujourd'hui modérée mais sans ses appareils elle ne nous entendait quasiment pas.
-Pourquoi t'as enlevé tes appareils ?
-Les garçons faisaient beaucoup trop de bruit et Myriam me prenait la tête donc j'ai choisi le silence.
-Je comprends.
Elle s'installait sur son lit et moi sur la chaise de son bureau. Jiji sur ses genoux, elle le fixait en le caressant. Je me retournais vers son bureau et piochais un livre dans ses affaires.
- Laisse-moi deviner, t'es toujours pas sorti de ma chambre parce que tu te caches de maman ?
- Ouais plus ou moins. Disons que depuis mon arrivée je n'ai même pas eu le temps de poser mes affaires.
C'était silencieux.
Naïla n'était pas de nature bavarde. Elle aimait beaucoup le silence.
- Sinon, ça va toi ?
Elle le savait déjà.
Je n'avais pas envie d'en parler aujourd'hui.
- C'est plutôt moi qui devrais te poser la question, Qasim m'a dit que t'allais pas bien.
- C'est rien j'ai juste mes règles, j'ai pris mes médicaments, ça va un peu mieux depuis une heure.
Ayant grandi avec mes sœurs, je savais grâce à elles, à quel point leurs menstruations peuvent être douloureuses et épuisantes.
- Tu veux que je te laisse dormir ?
-Non c'est bon fais ce que tu veux, de toute façon maman ne va pas tarder.
- Comment tu sais ? Elle ne m'a pas vu rentrer.
Elle lâche un soupir avant de me dire :
- Je suis prête à mettre ma main à couper, que tu as laissé ta paire de baskets devant l'entrée au lieu de les ranger dans le meuble à chaussures.
Et merde...
- C'est qu'une question de minutes avant qu'elle ne fasse toutes les chambres pour te trouver.
Elle s'allongea toujours avec Jiji sur son corps. Elle avait l'air fatiguée certes, mais Qasim avait raison, il y avait quelque chose qui n'allait pas avec elle aujourd'hui. J'avais l'impression qu'elle était effacée ?
- Tu sais, même si tu dis que t'as mal à cause de tes règles j'ai l'impression que y'a autre chose.
تقدري تثقي فيا يا نائلة، وانتي عارفة.
(Tu sais que tu peux me faire confiance Naïla)
Elle laissa échapper un énième soupir.
ما نعرفش، ما عادش نعرف.-
(Je ne sais pas, je ne sais plus)
Je pense que je suis juste fatiguée par les études Ejaz.
Je décidais de la laisser tranquille. Elle avait peut-être besoin de temps pour elle.
-Juste rappel toi que s'il y a quoi que ce soit je suis là.
نعم-
(Oui)
Naïla a vécu beaucoup de choses par le passé et la perte de son ouïe a totalement changé sa vie.
Elle était la victime et pourtant c'était elle qui en payait les conséquences aujourd'hui...
La porte de sa chambre s'ouvrit d'un coup.
- Mon fils qui ne m'annonce pas son arrivée, et qui ne me salue pas ? Qu'ai-je fait pour en arriver là ?
Elle s'approcha de moi et m'attrapa l'oreille pour la tirer.
- Est-ce que c'est comme ça que je t'ai élevé ? Et le « سلام أمي », tu l'as oublié aussi ?
-Aïe, Aïe, Aïe ... Pardon, lâche moi s'il te plaît, je te jure que je vais donner le costume à tata Samira.
Elle me lâcha l'oreille et prit un ton plus sérieux.
- Alors c'est pour ça que tu te caches ? Tu m'as entendu parler à Samira tout à l'heure au téléphone ? Tu sais si tu m'avais dit que tu étais fatigué j'aurais envoyé quelqu'un d'autre Ejaz.
Ça fait tellement longtemps que je ne t'ai pas vu, tu m'as beaucoup manqué et toi la première chose que tu fais c'est te cacher.
Elle n'allait pas le dire mais elle était triste. Et avec du recul, j'avais mal agi, je regrettais.
- Pardon mama, tu veux de l'aide en cuisine ?
- Alors là, t'essaye de te rattraper comme tu peux hein ? Mais bon de l'aide n'est pas de refus. Allez, suis-moi ton aide est la bienvenue.
Je la suivais, et sortais de la chambre où Naïla s'était endormie son appareil à la main, pendant que je parlais avec maman.
J'ai souvent aidé ma mère en cuisine quand j'étais jeune. Résultat : je mangeais plutôt bien aujourd'hui en vivant seul. J'arrivais à me préparer de bons plats, j'en préparais déjà à l'époque où je faisais de la boxe. La nourriture était super importante dans la réussite de mes combats.
-Comment va mon grand garçon ?
-Ça va et toi أمي , pas trop fatiguée ?
Elle marqua un moment de silence avant de me répondre.
- Fatiguée ? Pas vraiment, sache que toi et ta sœur me manquez énormément lorsque vous n'êtes pas là. Naïla, je comprends qu'elle ne puisse venir que pendant les vacances scolaires car elle vit à plus de 6 heures de train de chez nous, mais toi Ejaz ? Toi tu es à 30 minutes en moto non ?
S'il te plaît, viens plus souvent nous voir.
Je t'aime mon fils, ça me fait de la peine de me dire que tu es si près de chez nous mais ta présence est si loin...
Je ne savais plus où me mettre.
Elle avait raison.
Je ne faisais plus aucun effort.
Je ne cachais quasi plus mon mal-être.
Et tout ça me rendait malade.
Je pris ma mère dans mes bras et l'embrassais sur le front tout en lui demandant pardon.
Je finis par changer rapidement de sujet et me mis en cuisine aussi tôt.
- Sinon, comment ça va dans ton nouvel appartement ?
-Bah ça va, rien de spécial.
- Et tes voisins sont comment ? J'espère qu'ils ne te dérangent pas trop.
Mes voisins ?
Ma voisine plutôt.
- J'ai une voisine de palier, disons qu'on ne sait jamais réellement parlé pour le moment.
- Tu veux que je fasse des petits gâteaux pour que tu puisses les lui offrir ? Ça pourrait faire bonne impression et une belle première rencontre non ?
Comment te dire maman ? Je ne connaissais même pas son prénom et elle ne m'aimait pas.
- Non ça va aller, ne t'inquiète pas. Je pense qu'on risque quand même de se croiser un jour ou l'autre on est quand même voisins de palier.
- Peu importe ta réponse je te ferai quand même des gâteaux, et si elle a le malheur de ne pas les accepter tu pourras toujours les manger avec tes copains !
Est-ce que je pouvais la contredire ?
Non, encore une fois elle ne m'avait pas laissé le choix. Sacrée maman.
Elle avait aussi fini par envoyer mon père chez Samira.
- Tu sais Ejaz, je savais que tu ne voulais pas venir ce week-end par rapport à tes études. Je sais qu'en ce moment tu es très occupé mais si je t'ai demandé de venir ce week end c'est justement pour ça. Je connais ta façon de travailler à l'école, tu ne fais rien à la dernière minute donc les partiels de cette semaine ça fait un moment que tu les révises pas vrai ?
Je ne voyais pas trop où elle voulait en venir.
- Je voulais que ce week-end soit une coupure pour toi, pour que tu souffles et que tu passes de bon moments avec nous. Le mariage de Rayan était juste un prétexte pour te faire venir, parce que je sais très bien que si je n'avais pas mentionné cet événement tu ne serais pas venu et tu aurais décalé à un autre week-end.
Je ne veux pas que tu finisses malade à cause de tes études. Je ne veux pas non plus qu'elles t'éloignent de nous. Je ne t'apprends rien en te disant que la famille c'est important, je veux qu'après notre départ à moi et ton père, que vous, nos enfants, restez soudés malgré toutes les épreuves que vous allez traverser sans nous. Je ne veux pas partir de ce monde sans être sûr que mes enfants continueront de se voir souvent et partageront encore de nombreux moments de leur vie.
Je vous aime tous sans exception. Durant toute ma vie, j'ai essayé de vous le faire ressentir. Je voulais que vous sentiez que j'étais là peu importe ce que vous vivez, peu importe si cela n'était pas ce qui était prévu au départ. Je vous soutiendrai toujours tant que vos décisions restent raisonnables.
Le temps perdu ne pourra pas être rattrapé et ce n'est pas grave, le plus important aujourd'hui c'est l'utilisation du temps à venir.
Alors même si tu ne veux pas me parler de certaines choses, parce que même si tu penses que je ne suis au courant de rien car tu le caches. Saches qu'une mère sait toujours lorsque son enfant ne va pas bien. Elle n'a pas besoin de l'entendre, elle a conçu son enfant et l'a éduqué, l'a fait grandir, lui a tout appris. Je serais même amené à dire que je vous connais mieux que vous même aujourd'hui, toutes vos qualités et défauts, c'est aussi pour ça que vous aime tous autant aujourd'hui.
Ses paroles m'avaient enlevé les miennes.
Je ne savais plus quoi dire.
Elle me prit à son tour dans ses bras.
Je pense qu'à mon regard elle comprit à quel point j'étais reconnaissant de les avoir auprès de moi.
Je sentais mon t-shirt se mouiller par les larmes de ma mère.
نحبك أمي-