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chapitre 10

Hiba

Samedi 10 heures

Après les événements de la veille, il fallait bien que je me rattrape.

J'irais voir le voisin tout à l'heure, avant de sortir.

Mais avant, il fallait que je lui offre quelque chose.

Ma mère me disait souvent que, si un jour je me disputais avec un ou une amie, je devais régler tout ça autour d'un gâteau.

D'après elle, personne ne refuse de partager un bon gâteau.

Le problème, c'est que je n'ai pas les ingrédients pour le faire. Et j'avais un peu la flemme à vrai dire.

On n'était pas encore au stade d'amis, on était encore même loin de l'être, mais bon je veux bien admettre que ce n'était pas une si mauvaise personne.

Je l'avais probablement jugé trop vite.

Qu'est-ce qu'on offrait à quelqu'un pour le remercier ?

Hormis la nourriture, je crois n'avoir jamais offert de cadeau de ma vie.

Des fleurs ?

C'était peut-être un peu bizarre pour un garçon d'en recevoir.

J'y réfléchirai tout à l'heure sur le chemin.

Il était dix heures quarante-cinq.

Les visites commençaient à 13 heures.

Qu'est-ce que j'allais bien pouvoir faire en attendant ?

Je sais déjà ce qui allait occuper mon aprèm, mais cette matinée ?

J'avais vraiment aucune envie de me mettre aux révisions.

Pour une fois que j'avais un peu de temps pour moi.

Je crois que les gens utilisaient leur téléphone ou alors regardaient des films et séries à la télé.

Mais je n'avais pas de télé, et mon téléphone était tellement vieux que je ne l'utilisais que pour appeler ou envoyer des messages.

Et si, je sortais avec Jade ?

Non, elle était sûrement occupée, c'est le week-end après tout.

Un livre alors ? En dehors des révisions, je ne me rendais plus trop à la bibliothèque.

Mais je n'avais aucun livre en tête que je souhaitais lire...

Un ciné ?

Ça devait faire 3 ans que je n'avais pas mis un pied là-bas.

Je me penchais sur mon téléphone pour voir les séances du cinéma le plus proche de chez moi, le prix m'interpella avant même d'avoir vu le catalogue.

Je ne savais pas que les tarifs avaient autant augmenté.

Bon, le cinéma ça sera pour une autre fois.

Le studio dans lequel j'habitais était rempli de défauts et n'était quasiment pas meublé. Je ne pouvais pas me permettre ce confort.

Malgré mon travail à temps partiel, et ma bourse j'avais du mal pas à atteindre tous les mois l'équivalent d'un smic. Je me devais donc de serrer la ceinture.

Néanmoins, je ne pouvais pas me plaindre, j'avais un toit sur la tête, même si le chauffage manquait à l'appel j'étais protégée des intempéries.

À quoi ressemble une vie sans problème ?

Dans mes rêves, je vis heureuse.

Dans mes rêves, je ne connais pas la précarité.

Dans mes rêves, j'ai une famille.

Dans mes rêves, j'ai des amis.

Dans mes rêves, je n'ai pas à me soucier du montant de ma prochaine facture.

Dans mes rêves, j'ai quelqu'un sur qui m'appuyer.

Dans mes rêves, je n'ai plus mal au cœur.

Dans mes rêves, maman n'est pas morte.

Dans mes rêves, Saïd est avec moi.

Et si je dormais un peu plus ? Ça pourrait me faire du bien.

Je fixais le plafond en espérant m'endormir à nouveau.

...

« Hiba »

Sa voix résonnait dans ma tête.

« Viens jouer avec moi, s'il te plaît »

Si j'avais su la suite, j'aurais accepté, on aurait passé plus de temps ensemble.

« Maman revient quand ? »

Si seulement, elle pouvait revenir.

« Maman me manque Hiba »

Oh moi aussi Saïd, moi aussi elle me manquait.

« Hiba, je n'arrive pas à dormir, j'ai peur »

J'avais aussi peur, mais je n'ai jamais voulu que tu le ressentes.

« T'es ma meilleure amie Hiba »

Moi aussi, je t'aime Saïd.

Voilà pourquoi je n'aimais pas m'endormir si je n'étais pas vidée de toute énergie, dans ces moments-là, mon cerveau ne me laissait jamais en paix.

Tant qu'il ne sera pas réveillé, je ne dormirai pas.

Je séchais les larmes qui avaient coulé entre-temps et décidais de sortir prendre l'air.

...

Il pleuvait.

Le ciel était gris.

Chaque goutte qui tombait, chaque son qu'elle émettait, m'enlevait une pensée.

J'ai toujours aimé le son de la pluie.

C'était pour moi thérapeutique.

C'était, pour moi, synonyme de paix. Cette fameuse paix que je ne trouvais nulle part ailleurs.

Il m'arrivait de m'asseoir sur un banc en attendant qu'elle s'arrête.

À chaque fois que je l'observais, j'arrivais à mettre ma vie en pause quelques minutes.

Elle m'apaisait.

La plus grande partie de mon existence, je l'ai passé à me demander pourquoi je vivais tout ça ?

Est-ce que je méritais tout ce que je vivais ?

Si oui, alors dites-moi, dites-moi, s'il vous plaît, comment arrêter ?

Comment vivre « normalement » ?

À qui dois-je demander ?

Que dois-je faire ?

Suis-je condamné à vivre une vie si compliquée jusqu'à la fin de mes jours ?

La prisonnière que j'étais avait pris sa liberté depuis quelques années maintenant.

Bien que, j'étais totalement indépendante, j'avais cette sensation de rester prisonnière du passé.

Cependant, j'avais depuis un moment maintenant, réussi à voir les choses d'un autre point de vue. Un point de vue optimiste.

Je réalisais que toutes ces expériences, aussi difficiles soient-elles, m'avaient forgée et menée où j'en suis aujourd'hui.

Mes questions en suspens m'avaient permis avec le temps, de comprendre que la vie n'était pas une suite de problèmes à résoudre, mais un chemin à parcourir. Et ce chemin, je le construisais jour après jour, comme je pouvais.

Ces souvenirs du passé me suivaient encore, me rappelaient sans cesse d'où je venais et la force que j'avais acquise. Aujourd'hui, j'ai choisi d'avancer, en essayant de tourner mon regard vers l'avenir.

12 heures 45

Je m'arrêtais comme à mon habitude au supermarché le plus proche, avant d'aller à sa rencontre.

Je prenais un jus de fruits et me dirigeais vers le rayon gâteaux pour me munir de ses préférés.

Devant le rayon, il n'était plus là. Plus de stock.

Je devais me rabattre sur autre chose.

Étant une personne indécise, je restais 3 bonnes minutes à réfléchir ce qui pourrait lui faire plaisir.

- Oh ! J'y crois pas, c'est pas vrai, c'est toi ?

Je me retournais en direction de la voix qui m'interpellait.

Mes yeux rencontrèrent les siens.

Cet échange suffit pour me figer sur place.

- Mais oui c'est bien toi ? Cachalot ? Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vu, comment ça va ?

« Cachalot »

Après toutes ces années, on me résumait encore à ça.

Il s'approcha de moi et mit son bras autour de mes épaules.

- Eh, tu sais que c'est malpoli de ne pas répondre à un vieil ami qui s'adresse à toi ?

Ami ?

Je ne savais pas que dans toutes ses définitions, un ami pouvait être quelqu'un qui se moquait de vous, vous insultait ou encore tirait vos cheveux pour rigoler.

Je me décalais tout en enlevant son contact de mon corps.

Je n'éprouvais rien à son égard. Même pas de haine.

Mon cerveau ne réagissait plus.

- C'est pas parce que t'as maigri que tu crois pouvoir m'ignorer comme ça. Et puis tu restes un cachalot, la preuve regarde le rayon dans lequel t'es.

Pourquoi venir me parler ?

Nous n'étions plus au collège, alors pourquoi me parler ? Pourquoi m'insulter ?

J'étais juste en train de faire quelques courses et même dans cette situation on me critiquait, on me harcelait.

- T'as perdu ta voix en même temps que ta mère ?

Non parce que t'es pas drôle cachalot. Tiens tu veux pas faire coucou à mon téléphone aux autres ?

Eh les gars, regardez j'ai croisé le ..

Avant qu'il ne finisse sa phrase, j'étais déjà partie en direction des caisses automatiques.

Le silence est la meilleure réponse Hiba.

Le silence est la meilleure réponse.

Le silence.

Presque 8 ans après, ça me terrifiait de voir que certaines personnes n'avaient pas évolué.

Du haut de nos 22 ans, ils n'avaient pas pris en maturité. En fin de compte, ils restaient les mêmes petits harceleurs du collège.

C'est dingue, qu'une vie pouvait se résumer qu'à ça.

Quel gâchis.

Comment voulez-vous qu'une petite fille de ses 11 à 15 ans se construise avec comme surnom « cachalot » ? Qui plus est, faisait référence à son plus gros complexe.

Je sortais du magasin triste pour la petite Hiba qui a dû subir ça toute son adolescence jusqu'à se maudire.

Si seulement je pouvais lui parler pour lui dire que ce n'est pas de sa faute.

Lui dire qu'elle réussira à s'en sortir.

Qu'ils n'en valaient pas la peine.

Lui dire de garder son énergie pour ce qu'elle va devoir traverser après ça.