Chapitre 2 – Une Maison Froide et un Cœur Patient

Le silence de la maison régnait, pesant. Un silence que même la pluie battante ne pouvait troubler. Après avoir laissé ses habits mouillés dans un coin de sa chambre, Elinor avait enfilé un pull trop grand, doux et délavé, appartenant jadis à sa mère. Il sentait encore la lavande et le miel, cette odeur familière qui s’effaçait un peu plus chaque jour.

Elle descendit les escaliers, les marches grinçant sous ses pas légers, comme si elles pleuraient elles aussi le départ de Sylvia.

Le salon était sombre, seulement éclairé par quelques globes de mana qui flottaient paresseusement sous le plafond. La grande table en bois, où des banquets autrefois se tenaient entre membres de Vitalis, n’était plus qu’un meuble abandonné.

Une assiette attendait.

Juste une.

La sienne.

Des pâtes à moitié tièdes, une sauce figée sur le bord. À côté, un verre d’eau.

Elinor s’assit, les jambes pendantes, et attendit.

Les aiguilles de l’horloge tournèrent.

Une demi-heure.

Une heure.

Deux.

Mais il ne vint pas.

Son père, Cael Valtara, ne descendit pas.

Pas même un regard.

Pas même un mot.

Alors, Elinor se pencha, attrapa sa fourchette et commença à manger.

Le plat était froid.

Comme la maison.

Comme les regards.

Comme les souvenirs.

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Une fois l’assiette vide, elle se leva en silence. Elle ne savait pas quoi faire du reste. Depuis la mort de sa mère, les domestiques avaient été renvoyés. Son père avait affirmé qu’ils n’étaient pas nécessaires. Juste des dépenses inutiles.

Mais Elinor savait. Ce n’était pas une question d’argent.

C’était de deuil.

Ou plutôt… de rejet.

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La jeune fille monta à l’étage, puis s’arrêta devant une grande porte en acajou. Des runes anciennes, usées, étaient gravées autour du cadre. Le bureau de son père.

Elle leva la main.

Hésita.

Et frappa. Une fois. Deux fois.

Aucun son.

Alors elle poussa doucement la porte. L'intérieur sentait le vieux papier, l'encre et le mana condensé. Les rideaux étaient tirés, nimbant la pièce d'une lumière tamisée. Des piles de documents couvraient le bureau. Des écrans affichaient des rapports de portails, des schémas magiques, des profils de recrues.

Au centre, son père.

Armand.

Toujours le même.

Taper sur un clavier d’une main, un téléphone contre l’oreille, des yeux brûlés par la fatigue, il n’avait même pas levé la tête quand elle entra.

> — « Oui, je sais. Il nous faut deux nouvelles recrues A-rank dans l’unité ouest. Et transférez le budget du sud sur les défenses de la Zone 3. On n’a pas le choix. »

Son visage était dur. Concentré.

Vitalis survivait encore, mais vacillait. Depuis la mort de Sylvia, la moitié des membres avaient quitté la guilde, préférant rejoindre des clans plus agressifs ou mieux financés. Cael, qui n’avait jamais été fait pour diriger, luttait pour maintenir l’héritage en vie. Mais il ne luttait pas pour sa fille.

Elinor se retira en silence.

Il ne l’avait même pas vue.

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Elle erra dans le couloir comme une âme perdue. Les murs autrefois tapissés de photos et de souvenirs étaient nus. Elle s’arrêta devant une fenêtre haute, aux vitres ornées de gravures magiques effacées. La pluie coulait sur les carreaux, fine et constante, comme une mélodie triste que seule elle pouvait entendre.

Elle posa son front contre le verre froid.

> « Maman… il pleut encore. »

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14 ans plus tard

Un rai de lumière dorée filtra à travers les rideaux blancs. Les oiseaux chantaient au loin, et la pluie, pour une fois, avait cessé.

Elinor ouvrit les yeux.

Ses cheveux sombres cascadaient sur son oreiller, et son visage fin était baigné par les premiers rayons du soleil. La chambre avait changé. Plus vaste, plus sobre. Les peluches avaient disparu, remplacées par des étagères de grimoires, des armes scellées, des artefacts silencieux.

Elle s’étira lentement, se leva, passa un pull noir ajusté et attacha ses cheveux en une queue haute. Son regard, dans le miroir, était ferme. Ses yeux d’or brillaient comme ceux de sa mère. À 22 ans, Elinor était devenue une jeune femme magnifique, élancée, calme, avec une noblesse naturelle.

Aujourd’hui était un jour spécial.

Le jour de l’éveil.

Elle allait faire évaluer ses aptitudes magiques.

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Elle descendit les escaliers avec assurance. Le parquet ciré reflétait la lumière du matin. Dans le salon, son père s’apprêtait à partir. Il portait un long manteau noir, bardé de runes et d’insignes de commandement. Sa présence était toujours aussi glaciale.

Elinor s’arrêta, puis dit doucement :

> — « Bonjour, père. »

Il se tourna vers elle, les sourcils froncés.

> — « Tiens donc… Tu es encore là, l’échec de Sylvia ? »

Sa voix était dure. Blessante. Chaque mot était un coup de couteau, mais Elinor ne broncha pas.

Armand la dépassa sans un mot de plus, la cape flottant derrière lui, et sortit de la maison sans se retourner.

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Un léger raclement de gorge se fit entendre.

> — « Mademoiselle Elinor. »

Elle se retourna. Un vieil homme à la posture droite et à la moustache impeccable s’inclina légèrement. C’était Levin, le majordome, l’un des rares restés à son service. Il avait juré fidélité à Sylvia, et sa loyauté ne s’était jamais éteinte.

> — « Bonne chance pour vos examens, jeune maîtresse. Montrez-leur de qui vous êtes la fille. »

Un sourire tendre éclaira le visage d’Elinor.

> — « Merci, Levin. Je ferai de mon mieux. »

Elle saisit son manteau, noua son écharpe, et franchit le seuil de la maison.

Le ciel était clair.

Le vent portait une odeur de renouveau.

Aujourd’hui…

Elinor Valtara allait révéler qui elle était vraiment.