Chapitre 3 — Le masque de la faiblesse

À peine Elinor referma-t-elle la lourde porte du manoir familial que le grondement feutré d’un moteur haute gamme s’éleva dans l’air. Une voiture de luxe — noire, lustrée, arrogante jusqu’au bout de ses jantes chromées — glissa lentement jusqu’à l’entrée, comme si la rue entière lui appartenait.

Les portières s’ouvrirent dans une synchronisation presque théâtrale.

Trois silhouettes en descendirent, toutes plus flamboyantes les unes que les autres.

Une femme d’âge mûr, le visage figé par le botox, le cou ceint d’un collier de diamants exagérément gros. Elle portait un manteau de vison qui brillait sous le soleil du matin, bien trop chaud pour la saison. Ses escarpins rouges claquaient contre le sol avec l’autorité de quelqu’un qui se croyait au sommet du monde.

À ses côtés, une jeune femme aux cheveux tirés en une queue de cheval agressive, habillée d’un tailleur sur-mesure rouge bordeaux, cintré à la taille pour souligner ses courbes, le tout ponctué de talons aiguilles. Ses ongles manucurés pointaient comme des griffes, prêts à égratigner tout ce qui dépassait.

Enfin, un homme aux cheveux gominés, lunettes noires, costume trois pièces impeccable. Sa montre plaquée or scintillait à son poignet. Il se déplaçait avec une raideur presque militaire, comme si chaque pas devait affirmer une supériorité inexistante.

Ils croisèrent Elinor dans l’allée.

La jeune femme ricana en la voyant.

« Oh non… Encore toi ? » lança-t-elle avec une moue faussement attristée. « Ça fait combien de fois que tu te fais évaluer, déjà ? Six ? Sept ? Et toujours au rang F ? Franchement, tu t’acharnes. T’as pas honte, la ratée ? »

La femme d’âge mûr éclata de rire, un gloussement sec et moqueur qui résonna entre les murs du jardin.

« Quelle persévérance… Même les cafards savent quand abandonner. »

Elinor se contenta de leur adresser un sourire paisible et agita la main en guise de salut.

« Bonne chance pour votre cirque chez mon père. »

Mais l’homme, plus sérieux, s’approcha d’elle d’un pas lent et méprisant.

« Tu ferais mieux de rester cachée, Elinor. Ne fais pas honte à ton nom. Et arrête d’être insolente. Tu n’as rien à prouver. »

Il se détourna ensuite, rejoignant les deux femmes en direction du manoir. Elinor les suivit un instant du regard, un sourire en coin aux lèvres.

Trois gros idiots, toujours prêts à faire de la lèche à mon père. Ils croient vraiment que le pouvoir se mesure au prix de leur costume…

Elle enfourcha sa moto noire, un monstre de mécanique aux lignes félines. Le moteur rugit aussitôt, attirant quelques regards indiscrets depuis les fenêtres du manoir. Sans attendre, elle accéléra, filant comme une flèche dans les rues de la capitale.

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Le Centre de Recrutement des Chasseurs se dressait au cœur du quartier nord. Une forteresse de verre et d’acier, symbole de la puissance et du mérite. C’est ici que les individus éveillés étaient évalués et classés selon leurs capacités. Rang F pour les plus faibles, SSS pour les véritables légendes.

Elinor se gara avec aisance, ôta son casque, et secoua ses cheveux. À peine mit-elle pied à terre qu’un cri enthousiaste fendit l’air.

« Elinor ! »

Une jeune femme aux longs cheveux auburn fonça droit sur elle et l’enlaça sans ménagement.

« T'es vivante ! » s’écria-t-elle.

C’était Aria, sa meilleure amie. Pétillante, expressive, aussi bruyante qu’une explosion magique.

Un pas derrière, Noah, leur ami d’enfance, grand, calme, aux yeux perçants. Il ne disait rien au début, mais son regard en disait long.

« Vous allez m’étouffer, » murmura Elinor en souriant malgré elle.

Aria la relâcha enfin et posa les poings sur ses hanches.

« Tu comptes encore te faire passer pour une rang F aujourd’hui ? Tu sais que ça frôle le masochisme, non ? »

Noah s’avança.

« Tu dors combien d’heures par nuit, sérieusement ? Deux ? Trois ? Tu passes ton temps dans les portails, à sauver des gens que tu ne verras jamais, et ensuite tu viens ici, jouer à la loque… »

« Je vais bien, » répondit doucement Elinor. « Ne t’en fais pas. »

Mais Aria ne se laissa pas convaincre.

« Elinor… Tu sauves des vies toutes les nuits. Tu affrontes des horreurs qui feraient fuir les chasseurs de rang A. Tu risques ta peau chaque soir. Et tu veux que je reste calme parce que tu dis que ça va ? »

Noah hocha la tête.

« Comment ne pas s’inquiéter pour toi ? On est tes amis, pas tes figurants. »

Elle baissa les yeux un instant, touchée malgré elle.

Ils savent. Ils ont toujours su. Et ils n’ont jamais trahi mon secret.

Elinor Valtara, officiellement une rang F incompétente. En vérité, l’une des rares chasseuses SSS au monde. Une anomalie. Un miracle vivant.

Chaque nuit, elle pénétrait seule dans des portails instables, éradiquant des nids de créatures qui menaçaient l’équilibre du monde. Elle travaillait dans l’ombre, sans reconnaissance, sans médaille. Et elle dormait rarement plus de trois heures.

Mais ici, dans ce centre bondé, elle n’était qu’une ratée.

Et c’était parfait ainsi.

« J’attends le bon moment, » souffla-t-elle, presque pour elle-même. « Le jour où je montrerai mon vrai rang… ce sera le début de quelque chose de plus grand. »

Aria soupira. Noah acquiesça en silence.

Ils entrèrent dans le bâtiment. Comme toujours, les murmures commencèrent aussitôt autour d’eux.

« T’as vu ? C’est Elinor Valtara… »

« Encore là pour échouer. »

« Sérieusement, elle s’accroche. »

Mais Elinor gardait la tête haute.

Elle s’approcha du comptoir. Un technicien grognon leva les yeux.

« Vous encore… La main sur le cristal. »

Elle s’exécuta.

Le cristal vibra sous sa paume. Une lumière pâle jaillit… instable. Presque vacillante. Le cœur du dispositif sembla hésiter, comme si quelque chose de plus grand tentait de percer.

Mais au final, le verdict s’inscrivit :

RANG : F

Aria explosa.

« Ce cristal est pourri, je te jure ! Il a failli imploser sous ton aura ! »

Elinor haussa les épaules avec un petit sourire.

« Tout va bien. Le monde n’est pas encore prêt. Mais moi… je le suis. »

Et dans ses yeux, une lueur flamboyante.