Au sommet du temple de Val-Orin, au nord du continent, les cloches sacrées restèrent silencieuses.
Et pourtant, les moines se réveillèrent en sursaut, le cœur battant, les mains tremblantes. Ils avaient tous rêvé... du même enfant.
Un jeune garçon au regard d'encre.
Un nom oublié.
Un vide immense là où son âme devrait être.
Un Écho.
Et dans le silence de l'aube, les cloches se fissurèrent.
Sous les souterrains interdits de la Grande Bibliothèque de Kaelstone, une alcôve scellée depuis plus de 4000 ans — marquée par un sceau de sang, d'oubli et de non-existence — vibra.
Ce n'était pas une secousse physique, non.
C'était l'âme du monde qui frissonnait.
L'archimage Eldan Kerryth, doyen de la magie de structure, observa le cercle de liaison et blêmit.
— Quelque chose... vient d'effleurer l'Exil Noir. Une âme. Vivante.
Une rune ancienne se détacha du mur.
Et derrière le sceau... une ombre informe s'agita.
Elle avait senti l'Écho.
"Quand l'Écho se lève, les Fondations se fendent."
— Fragment du Livre des Silences
Le réveil du porteur n'était pas passé inaperçu.
1. Dragon – Anthara, le Dormant
Dans le volcan sacré de Dûrhane, le cœur du monde pulsa une fois.
Et dans les abysses de lave, Anthara, le plus ancien des dragons, ouvrit un œil.
Sa paupière seule mit trois minutes à se lever entièrement. Il n'avait pas bougé depuis 700 ans.
Mais à cet instant, il leva la tête.
— Ce monde a redit son Nom...
Il ne savait pas encore où.
Mais il avait senti l'Écho.
Et un dragon, même endormi, n'oublie jamais ce qui l'a blessé autrefois.
2. Vampire – Dame Veleshia, la Mère du Sang
Dans un manoir oublié sous les racines de la Forêt Noire, une noble à la peau d'albâtre releva la tête de son sarcophage.
Dame Veleshia, première vampire née du pacte interdit avec le Nécride noir, sentit un vertige dans son essence.
— L'Écho vit ? Ce n'est pas... possible.
Mais plus encore que l'Écho, elle sentit... les Nécrides se mettre en mouvement.
Et cela, elle ne le pardonnerait pas.
3. Géant – Rykaar, le Dernier Pilier
Dans les montagnes de Khel'norr, un glacier se fissura.
Non sous la chaleur, ni sous le poids...
Mais sous un murmure.
Et Rykaar, l'un des trois derniers géants vivants, émergea lentement d'un sommeil millénaire.
Son cœur battait une fois toutes les dix minutes.
Mais maintenant...
il battait deux fois plus vite.
— Il est revenu...
4. Nécride – Sol-Nimor, le Veilleur d'Outre-Tombe
Dans le Royaume Silencieux, entre la vie et la mort, Sol-Nimor, archonte des Nécrides, leva son sceptre.
Le murmure était clair. L'Écho avait repris forme.
Et cela... changeait tout.
— Nous devons sceller le passage. Ou... réclamer ce qui est à nous.
Car l'Écho appartenait à la mort. Pas aux vivants.
5. Phénix – Ilia, l'Étincelle Éternelle
Un feu s'alluma dans un désert mort, dans les ruines de Telsara.
Un cri perça le ciel, aussi beau que terrible.
Et Ilia, l'unique Phénix encore actif, renaquit dans une gerbe de flammes blanches.
— Le cycle recommence... et avec lui, la fracture...
6. Infernés – Le Cœur Brisé
Dans un gouffre oublié, sous les terres du sud, une flamme noire s'ouvrit.
Pas un feu. Une douleur.
Un cri figé dans le temps.
Les Infernés... avaient senti une fissure dans les lois.
Ils ne parlaient pas.
Ils hurlaient.
Et ce hurlement fut entendu dans les rêves des enfants sensibles de l'Empire.
Ils pleurèrent sans savoir pourquoi.
7. Léviathan – Boem, Le Miroir des Abysses
Au fond des océans, à plus de 10 000 mètres sous la surface, une créature ouvrit l'un de ses yeux.
Et la mer entière gronda.
Des navires furent engloutis sans tempête.
Les côtes frémirent.
Les bêtes marines hurlèrent à la mort.
Le Léviathan n'avait pas bougé.
Mais il avait regardé.
Et cela suffisait.
Pendant ce temps, dans la chambre de Harth, celui-ci transpirait.
Son cinquième cercle brillait d'une lueur étrange, oscillant entre l'argent et le noir absolu. Une douleur aiguë le traversait de l'intérieur.
Puis, dans un éclat fulgurant, une marque apparut sur son dos :
Une rune sans nom, ni langue, ni origine.
Un glyphe vivant.
Un sceau de lien.
Et avec cette marque... il sentit.
Les dragons.
Les profondeurs.
Le feu des anciens.
Le froid des morts.
Ils s'éveillaient.
Et ils le regardaient.
Harth se leva, les bras tremblants.
— C'est donc ça... l'Écho. Je suis le rappel d'un monde que même les dieux ont voulu oublier...
Il se tourna vers Torren et Liséa, qui l'attendaient à l'extérieur.
Ils voyaient que quelque chose avait changé... sans comprendre quoi.
Et pourtant, Harth sourit.
Pas de peur.
Pas de panique.
Seulement une voix intérieure :
"Ils se réveillent... alors toi aussi, réveille-toi."
Le vent de Barryland changeait.
Invisible pour la plupart, perceptible seulement par ceux qui savaient écouter les murmures du monde.
Dans les grandes citadelles de l'Empire, dans les temples oubliés et les cours scintillantes, des rumeurs naquirent, sourdes, incomplètes, mais persistantes.
Quelque chose avait bougé.
des jours passèrent et la encore... des anomalies similaires aux précédentes
Les premiers à sentir l'anomalie cette fois furent les Oracles d'Hélios, un ordre de mages visionnaires qui, depuis des siècles, n'avaient connu que visions confuses.
Mais cette nuit-là, tous rêvèrent la même chose.
Un enfant au regard sans fond.
Un cercle noir, battant au rythme de l'univers.
Et une voix sans bouche, hurlant sans fin :
"Le sceau est brisé. Le voile saigne. L'écho marche de nouveau."
Les oracles se réveillèrent en hurlant, et leurs prêtres durent les enchaîner pour empêcher leur folie de se répandre.
À la cour impériale d'Ervenn, les Chasseurs d'Anomalies — un ordre secret chargé d'éliminer toute menace contre l'ordre magique — enregistrèrent une fluctuation massive de l'Æther, un battement spectral provenant de Barryland.
L'alerte fut discrètement transmise aux sept clans majeurs.
"Une anomalie consciente a émergé. Sujet : enfant. Lieu : duché Kalzar Van Barry. Surveillance recommandée."
Dans les tavernes, les marchands, les courtisans commencèrent à murmurer :
— Un démon déguisé en enfant...
— Un nouveau mage ? Ou une malédiction ?
— Le troisième fils du duc Kalzar... qui aurait montré des pouvoirs impossibles...
Ainsi, Harth Von Barry, jusque-là ignoré, effacé sous l'ombre des véritables héritiers, commença à exister dans les rumeurs impériales.
Un nom sans visage.
Un fils oublié, qui désormais, troublerait les eaux les plus profondes du pouvoir.
Au sein même du duché Von Barry, l'air semblait vibrer.
La nuit, certaines pierres luisaient faiblement, comme si elles répondaient à une pulsation cachée.
Des bêtes s'enfuyaient sans raison apparente, et les plus sensibles — enfants, animaux, mages novices — faisaient des cauchemars incompréhensibles.
Harth le sentait.
Il avait franchi un seuil.
Et le monde, à son insu, s'adaptait ou se pliait.
Il passa la main contre une colonne ancestrale du hall principal. La pierre vibra légèrement sous ses doigts.
— Le Sceau interne du domaine commence à céder, murmura-t-il à Torren.
Son réseau d'informateurs grandissait. Ses serviteurs formés en secret rapportaient de plus en plus d'anomalies :
Un garde devenu fou après avoir entendu "des chants sans source" en patrouille.
Une prêtresse novice incapable de prier sous certaines ailes du château.
Des archives magiques... dont l'écriture s'effaçait littéralement sous les yeux.
Le domaine répondait à lui.
Comme une chrysalis en mutation.
Le Clan du Poison — Maison Yshar
Dès les premiers rapports, la Maison Yshar réagit vite.
À Barryland, un espion silencieux, maître des poisons et des ombres, franchit les murs du domaine déguisé en simple jardinier.
Sa mission n'était pas de tuer.
Pas encore.
elle devait observer.
Confirmer.
Déterminer si l'anomalie pouvait être utilisée... ou devait être détruite.
Son nom était Teyra. Une tisseuse de poisons, capable de contaminer des flux magiques eux-mêmes.
Personne ne connaissait encore son identité.
Mais Harth... le sentit immédiatement.
Lors d'une promenade simulée dans les jardins, Harth fixa un instant une femme trop silencieuse, au pas trop léger, au regard trop soigneusement baissé.
elle ne réagit pas.
elle ne montra rien.
Mais Omni-Brain activa immédiatement un protocole d'observation passive.
Le filet se tissait.
Et cette fois, Harth tendrait ses propres pièges.
cette femme maitre en poison, plut a Harth et il décida de volé cette espionne de la maison Yshar qui le surveillait sans son consentement.
Au fil des semaines, les rumeurs grossirent.
Le Troisième Fils du Duc Kalzar.
Un enfant doué d'une puissance "précoce."
Un "bâtard qui n'aurait jamais dû exister."
Un "signe d'un ancien mal réveillé."
Dans les villes lointaines, dans les académies, dans les guildes, même dans les ordres des Chevaliers Impériaux, son existence fut évoquée à mots couverts.
Et à chaque mention...
...la tension montait.
Harth, depuis son sanctuaire dans l'aile désaffectée du domaine, étudiait.
Planifiait.
Anticipait.
"Le monde commence à parler. Bien. Il est plus facile de manipuler une foule qui murmure qu'un peuple silencieux."
Il se leva, un sourire à peine esquissé.
Torren et Liséa, debout devant lui, attendaient ses ordres.
— Il est temps de renforcer notre cercle. D'attirer d'autres isolés. D'autres talents que le monde méprise ou oublie.
— Pour quoi faire ? demanda Torren.
Harth répondit sans hésitation :
— Pour qu'à l'heure où ils viendront me briser... ils découvrent que je suis déjà devenu un royaume à moi seul.
Et dans l'air, le cinquième cercle pulsa doucement.
Chapitre 6 – Le Premier ContactI. L'ombre enlisée
Trois mois.
Trois mois que Teyra Yshar parcourait silencieusement les couloirs du domaine Von Barry.
Maîtresse des poisons, formée aux arts subtils de l'observation, elle avait infiltré des cours impériales, échappé aux inquisitions magiques, survécu à des purges entières.
Elle n'était pas n'importe qui.
Elle était l'Épine Invisible du Clan du Poison, l'un des sept piliers secrets de l'Empire.
Et pourtant, ici... à Barryland... face à cet enfant... elle échouait.
— Cela ne fait pas de sens... pensait-elle, cachée derrière une colonne du jardin intérieur.
Elle avait observé Harth Von Barry jour après jour.
Chaque mouvement.
Chaque parole.
Chaque décision.
Et rien.
Aucune magie incontrôlée.
Aucune pulsation démoniaque.
Aucune preuve de cette soi-disant anomalie.
Harth étudiait comme un élève modèle.
S'entraînait avec ses serviteurs comme un jeune noble appliqué.
Assistait aux dîners avec une politesse irréprochable.
Même ses erreurs semblaient... naturelles.
Teyra serra les dents.
Avait-elle été envoyée pour chasser un mythe ?
II. Le piège invisible
Ce que Teyra ignorait...
C'est que Harth la voyait depuis le premier jour.
Omni-Brain, dès la première minute, avait détecté les anomalies de son comportement :
Sa respiration trop régulière.
La position de ses pieds optimisée pour une fuite rapide.
Le léger déplacement de l'air derrière elle — imperceptible pour des yeux normaux, mais pas pour l'esprit de Harth.
Et dès cet instant, il avait décidé de ne rien montrer.
"Si elle vient de Yshar, alors elle est un joyau rare. Un talent brut. L'écraser serait du gaspillage. La façonner... sera bien plus utile."
Pendant trois mois, Harth avait joué un rôle.
Il n'avait pas dissimulé sa nature...
Il l'avait noyée sous la normalité.
Chaque geste était précisément orchestré pour la pousser à douter d'elle-même, à remettre en question sa mission.
Et cela fonctionnait.
Cette nuit-là, perchée sur le toit du vieux cloître, Teyra observa Harth, assis seul sous une tonnelle d'argent, en train de lire un livre d'histoire militaire.
Un simple adolescent studieux.
Pas d'aura noire.
Pas de corruption.
Pas de faille visible.
Teyra fronça les sourcils.
— Ils ont exagéré, murmura-t-elle pour elle-même.
Peut-être que ce n'était qu'un enfant intelligent.
Peut-être que toute cette histoire de "faille", de "sceau brisé", n'était que peur collective.
De simples rumeurs amplifiées par la paranoïa impériale.
Elle tourna la tête, agacée.
Et ne vit pas le léger sourire en coin sur le visage de Harth.
IV. La première manœuvre
Le lendemain, Harth passa à la deuxième phase.
Il organisa une "leçon publique" d'histoire militaire, ouverte à quelques jeunes cadets du domaine — apprentis soldats, aspirants mages de guerre.
Teyra, curieuse malgré elle, s'intégra discrètement parmi les observateurs, déguisée en cuisinière auxiliaire.
Elle regarda.
Écouta.
Et ce qu'elle vit... la déstabilisa encore plus.
Harth n'enseignait pas seulement des faits.
Il révélait des stratégies, des concepts de guerre que même les généraux de l'Empire ne maîtrisaient pas complètement.
Une capacité d'analyse, une profondeur tactique impossible pour un garçon de quatorze ans.
"Mais... comment... ?"
La graine du doute germait en elle.
"Si ce n'est pas un démon... alors... qu'est-il ?"Après la leçon, Harth fit semblant de trébucher en descendant les marches du cloître.
Une maladresse volontaire.
Un appât.
Teyra, par réflexe, s'approcha légèrement pour voir.
Et à cet instant précis, Harth leva les yeux vers elle.
Directement.
Intentionnellement.
Pas une erreur.
Un appel.
Leurs regards se croisèrent brièvement.
Une fraction de seconde.
Mais dans cet échange muet, tout fut dit.
"Je sais que tu es là."
"Je t'attends."
"Je ne te crains pas."
Teyra recula d'un pas, choquée malgré elle.
Jamais aucun de ses cibles n'avait reconnu sa présence avant.
VI. L'Appât
Cette nuit-là, alors que Teyra réfléchissait à abandonner sa mission, un simple billet apparut dans ses appartements clandestins.
Pas de sceau.
Pas de signature.
Juste une phrase, écrite dans une encre qui ne séchait jamais :
"Tu cherches des réponses. Moi aussi. Viens à la serre abandonnée à minuit."
Son cœur accéléra.
Piège ?
Signe ?
Ou provocation ?
Elle pesa rapidement ses options.
Refuser, c'était perdre l'initiative.
Accepter, c'était risquer sa vie.
Elle sourit en coin.
— Depuis quand ai-je peur d'un enfant ?
Et elle disparut dans les ombres.
Minuit.
La serre abandonnée.
Là, sous les plantes mortes et les éclats de verre brisés, Harth l'attendait, seul.
Pas d'escorte.
Pas de magie visible.
Seulement son regard.
Calme.
Limpide.
Froid.
Teyra sortit de l'ombre, prête à frapper au moindre mouvement suspect.
Harth inclina légèrement la tête.
— Bonsoir, Teyra Yshar. Maître-espionne du Clan du Poison.
Elle tressaillit.
— Tu savais... depuis le début...
— Oui.
Pas d'orgueil dans sa voix.
Juste une simple certitude.
Harth s'approcha d'un pas lent.
— Je n'ai pas l'intention de te dénoncer, ni de te tuer.
Il s'arrêta à quelques mètres.
— Je t'offre un choix.
— Quel choix ? cracha Teyra, sur la défensive.
Harth sourit légèrement.
— Ne reste pas l'œil de mes ennemis. Deviens la lame de mon avenir.
Un silence épais tomba.
Seules les feuilles mortes bruissaient doucement autour d'eux.
Et pour la première fois en trois mois...
Teyra sentit un frisson d'excitation.
Une sensation qu'elle n'avait plus ressentie depuis ses jeunes années :
La sensation de se tenir au bord d'un précipice... prêt à sauter.
La serre abandonnée n'avait jamais semblé aussi lourde.
Sous la pâle lumière de la lune, Teyra de Yshar fixa Harth Von Barry, l'esprit en alerte, les muscles prêts à bondir.
Un silence épais pesait entre eux.
Harth attendait.
Calme.
Patient.
Comme s'il savait déjà ce qu'elle allait dire.
Teyra brisa enfin le silence d'une voix glaciale :
— Pourquoi devrais-je trahir tout ce que je suis pour toi ?
Elle avança d'un pas, menaçante.
— Le Clan du Poison m'a élevée. M'a formée. Protégée. Il m'a tout donné.
— Toi... tu n'es qu'un gosse, isolé dans un manoir poussiéreux, avec quelques larbins et des rêves de grandeur.
Ses yeux brillaient d'une colère contenue.
— Si je n'étais pas importante pour eux... je ne serais même pas là. Je suis leur épée. Leur venin. Leur héritage.
Elle serra les poings.
— Et toi ? Tu n'es rien.
Ses mots claquèrent dans l'air comme un fouet.
Harth ne bougea pas.
Il écouta.
Puis il répondit, sans hausser la voix :
— Je ne suis rien... pour l'instant.
Il leva lentement une main, paume ouverte.
— Mais le monde change. Toi-même, tu l'as senti. Tu as vu les anomalies. Ressenti les fractures.
Son regard était d'une lucidité terrifiante.
— Ton clan t'a donné une cage dorée. Ils t'ont forgée pour servir, pas pour comprendre.
Il s'approcha encore, doucement, comme une marée montante qu'on ne peut arrêter.
— Ce qu'ils craignent n'est pas que je sois fort. Ils craignent que je change les règles elles-mêmes.
Teyra ricana, un rire bref, nerveux.
— De beaux mots. Mais tu n'as aucun pouvoir réel. Aucune armée. Aucun allié.
Harth inclina la tête.
— Pour l'instant.
Un silence tomba.
Puis il planta son regard dans le sien, implacable.
— Le choix est simple, Teyra Yshar.
Il tendit légèrement la main vers elle.
— Tu peux rester un rouage brillant dans une machine qui s'effondrera quand le vrai changement viendra...
— Ou devenir l'architecte de ce qui remplacera cet Empire mourant.
Ses mots n'étaient pas une promesse.
C'était un constat.
Teyra recula d'un pas.
Son cœur battait plus vite, malgré elle.
Tout en elle criait au piège, à la manipulation.
Tout en elle voulait refuser, balayer cet enfant arrogant.
Elle le fusilla du regard.
— Je n'ai pas besoin de ta vision, ni de ton futur. Mon chemin est tracé, et il est pavé de gloire et de reconnaissance !
Elle tourna les talons, le visage fermé.
Avant de disparaître dans l'ombre, elle lança, sans se retourner :
— Choisis bien ton camp, Harth Von Barry. La pitié n'existe pas chez les Yshar.
Et elle disparut dans la nuit.
Mais alors qu'elle courait à travers les coursives obscures du manoir, son cœur n'était plus aussi sûr.
Les mots de Harth tournaient dans son esprit, comme un poison lent :
Ils t'ont forgée pour servir, pas pour comprendre...
Le vrai changement viendra...
Architecte ou vestige.
Teyra secoua la tête, furieuse contre elle-même.
— Ce n'est qu'un enfant... un enfant ! se répétait-elle.
Mais au fond d'elle...
Une brèche venait de s'ouvrir.
Et, pour la première fois depuis des années...
Elle doutait.
Resté seul sous la tonnelle, Harth regarda l'ombre où Teyra avait disparu.
Son visage restait impassible.
Mais en lui, Omni-Brain analysait la situation avec une précision froide :
Réaction émotionnelle forte détectée.
Phase de rejet primaire enclenchée.
Phase de doute sous-jacente initiée.
Taux de retournement estimé à 73,4 % sous 120 jours.
Tout se déroulait comme prévu.
"Tu peux repousser le changement, Teyra...
...mais tu ne peux pas l'arrêter."
Harth ferma les yeux.
La première graine était plantée.
Lentement...
Son armée invisible commencerait à éclore.
La nuit tombait sur Barryland, froide, étrange.
Dans l'aile cachée des domestiques, Teyra Yshar ouvrit avec précaution le petit coffret noir laissé sous son oreiller.
À l'intérieur, une simple bandelette de soie imprégnée de poison, marquée d'un symbole serpentiforme.
Le message était clair.
Et terrifiant dans sa simplicité.
30 jours. Confirme l'anomalie ou exécute-la.
Pas d'explication.
Pas de retour possible.
Soit Harth Von Barry était un danger...
Soit il mourrait.
Teyra referma le coffret avec lenteur.
Ses doigts tremblaient légèrement.
— Pourquoi hésites-tu ? se murmura-t-elle, furieuse contre elle-même.
Elle aurait dû être soulagée.
Elle aurait dû être satisfaite.
Mais au lieu de cela...
Elle sentait un poids insidieux dans sa poitrine.
Le souvenir de cette conversation dans la serre.
La certitude glaciale dans la voix de ce garçon.
Et le doute.
Ce doute maudit qui la rongeait depuis leur rencontre.
II. L'Ascension Silencieuse
Pendant ce temps, Harth Von Barry continuait sa progression méthodique.
Chaque jour, il renforçait son réseau invisible :
Il avait recruté secrètement un jeune guérisseur illégitime, capable de manipuler l'Æther vital.
Il avait approché Mila Carvon, une bâtarde noble rejetée par sa maison, mais douée d'un rare talent pour les enchantements brisés.
Il avait tissé des promesses, des serments, des échanges d'informations dans l'ombre, bâtissant sa propre toile.
"Avant qu'ils ne réalisent ce que je suis devenu, il sera trop tard."
Et tout cela, sous le nez du duc Kalzar, des surveillants Van, et des émissaires impériaux.
Il avançait comme un venin lent, invisible, irrésistible.
Mais ce soir-là, quelque chose changea.
Alors que Harth méditait seul, dans la salle basse de l'ancien temple familial, une fissure invisible traversa l'Æther local.
Un frisson.
Un murmure.
Un appel.
La température chuta brutalement.
Le sol vibra faiblement.
Et dans l'esprit de Harth, Omni-Brain s'alarma :
ALERTE : Interférence d'origine inconnue.
Analyse : rupture partielle du Voile dimensionnel.
Harth ouvrit lentement les yeux.
Devant lui, dans l'air, un voile d'ombre tourbillonna, prenant peu à peu forme.
Pas un monstre.
Pas un esprit.
Un souvenir vivant.
Un fragment ancien, émanant de la Genèse même.
La silhouette n'avait ni visage, ni voix.
Mais elle communiquait directement par la pensée :
"Porteur de l'Écho... le monde saigne par ta faute. Choisis ton chemin, ou il te dévorera."
Harth se leva sans crainte.
— Quel chemin ? demanda-t-il d'une voix basse.
Le souvenir frémit.
"Créateur... ou Destructeur."
Puis il disparut, ne laissant qu'une odeur de cendre froide dans l'air.
Cette nuit-là, dans tout Barryland, les cauchemars se répandirent.
Les enfants pleurèrent dans leur sommeil.
Les prêtres se réveillèrent en sueur, incapable de prier.
Les bêtes hurlèrent à la lune, puis se turent.
Même Evans Von Barry, le plus jeune fils Von, fit un songe étrange :
Un trône de cendres.
Un frère sans visage.
Une ombre plus ancienne que les étoiles.
Le domaine vibrait.
Tout vibrait.
Dans sa chambre cachée, Teyra serrait les draps de son lit entre ses doigts.
Elle avait vu les signes.
Sentis la rupture de l'Æther.
Entendu les murmures dans la pierre.
Quelque chose était en train d'émerger.
Et elle savait, au plus profond d'elle-même, que ce n'était pas un simple enfant.
Que ce n'était pas un simple prodige.
"C'est autre chose..."
Elle enfouit son visage entre ses mains, ébranlée.
Comment pouvait-elle obéir aveuglément après ce qu'elle avait vu ?
Comment pouvait-elle choisir l'élimination d'une entité... dont l'existence seule réécrivait les lois du monde ?
"Je dois choisir..."
Mais cette fois, le choix ne serait plus aussi simple.