Chapitre 29 - Méditation dans le Cœur du Lotus

Elle ne parlait pas elle écoutait et dans ce silence le monde devint doux.

Le crépuscule est tombé sur la tour bleue pas avec bruit, ni lumière juste un voile paisible qui s’étend sur les murs, les vitres, les meubles délicats dans la chambre de la reine, la brise soulève doucement les rideaux et sur les draps soigneusement repliés… un petit lotus l’attend pas cueilli pas offert. Juste apparu le bouton palpite doucement, comme s’il respirait.

Saphira s’approche sans hâte elle tend la main, mais ne le touche pas le lotus ne parle pas avec des mots il parle avec un rythme, une cadence, une invitation tissée d’intériorité un murmure glisse dans l’air, comme un souffle à peine formulé.

— "Viens pas pour moi pour toi."

Derrière elle, Élya se tient droite, bras croisés sur son armure pâle son regard est plus tendre qu’à l’accoutumée.

— Je veille sur la tour, dit-elle simplement va écouter ton cœur.

Saphira hoche la tête pieds nus, elle suit l’appel l’univers bascule il n’y a plus de murs, plus de fenêtres, plus de sol elle se retrouve debout dans un cercle parfait un lac d’encens violet ondule doucement sous ses pieds. Le parfum n’est pas entêtant il est ancien, comme un souvenir d’avant la naissance au centre du lac pousse un immense lotus violet, aussi large qu’un temple il ne brille pas il respire sur ses pétales, les plis d’une toge ocre Bouddha il n’est pas en méditation il n’est pas en prière il est là, les pieds dans l’eau, les mains ouvertes, en train de nourrir de petites carpes dorées qui viennent effleurer la surface, comme pour écouter.

quand elle s’approche, il la regarde sans étonnement.

— Tu es venue.

Elle hoche la tête, timide.

— Je voulais juste être là.

— C’est déjà beaucoup, dit-il.

ils ne cherchent pas à meubler le silence ils s’assoient l'un à côté de l’autre le monde ralentit encore le vent devient un battement le ciel devient une pensée le silence devient vivant les images intérieures ils ne parlent pas mais entre eux, quelque chose passe des images des fragments des souvenirs portés par l’eau et le souffle Saphira voit le regard d’Élya la première fois qu’elle l’a serrée contre elle elle voit Kael l’éloigner d’un coup de tonnerre elle voit Diva hurler dans une mare de sirop elle voit Destiny dormir avec un livre sur la poitrine elle voit Rose lever un marteau puis l’abaisser, sans frapper et elle se voit elle même enfant, tremblante, debout dans une chambre vide, tenant une peluche trop grande cherchant un endroit où poser son cœur elle cligne des yeux et ose enfin.

— Pourquoi les choses belles font peur parfois ?

Sa voix est si basse qu’elle semble venir d’un rêve pourtant, Bouddha l’entend parfaitement il ne la regarde pas. Il ferme les yeux.

— Parce que ce qui est doux est fragile et que le monde t’a appris à avoir peur de ce que tu peux perdre.

Un silence.

— Mais tu oublies, dit-il, que tu es toi-même… une douceur solide.

Elle reste là à côté de lui. Un long moment.

Elle ferme les yeux à son tour elle écoute.

Et dans le silence qui s’enfonce doucement dans sa poitrine, elle entend :

Le rire lointain de Diva.La respiration régulière de Destiny le silence protecteur de Kael les pas rythmés de Rose dans la forge et la voix d’Élya, tout contre son oreille :Tu n’es pas seule.

Ses larmes tombent.

Pas de chagrin mais de soulagement le Lotus le moment s’étire comme une écharpe de lumière puis Bouddha tend la main dans sa paume, un lotus blanc.

— Il ne t’apprendra rien, dit-il il ne te guidera pas il ne se battra pas à ta place.

Il le glisse dans la main de la reine.

— Mais si un jour tu oublies ta lumière, pose-le sur ton cœur et il te rappellera que tu n’as jamais été une ombre.

Saphira referme ses doigts sur la fleur elle sourit puis elle se lève.

Fin du Chapitre 29 — Méditation dans le coeur de lotus