Chapitre 42 - Le Rêve Piégé, le Cœur Guidé

Le ciel au-dessus de Saphira avait cette lumière douce qu’on ne trouvait que dans certains souvenirs d’enfance trop parfaite pour être réelle, trop calme pour être vivante l’herbe était d’un vert absolu, les fleurs d’un rose qui ne fanait pas, et les papillons restaient suspendus dans l’air, comme figés dans un instant de grâce trop bien répété Saphira n’avait pas encore fait deux pas dans ce décor qu’elle sut quelque chose sonnait faux ce n’était pas un rêve c'était une construction, une mise en scène, un miroir tendu trop proprement elle murmura dans un souffle.

— Ce n’est pas un rêve c’est une cage.

Mais déjà, le sol sous elle changeait ce qui ressemblait à de la terre devint surface miroitante le miroir s’élargit, engloutissant le décor, et le ciel s’effaça derrière elle, laissant place à une voûte sans fin, une chambre infinie dont chaque mur était poli, prêt à refléter ses moindres peurs puis vint la voix pas un cri pas une menace juste une présence familière et glaciale, comme une ombre chuchotant depuis un passé qu’elle n’avait jamais vraiment su contenir.

— Tu veux comprendre ? alors regarde ce que j’ai vu ce que j’ai été ce que tu m’as laissé devenir.

La voix n’éclata pas elle glissa, onctueuse et patiente, comme le venin d’un serpent qui a tout son temps le miroir n’était plus seulement sous ses pieds il était partout et dans ces surfaces, des souvenirs se formaient mais pas les siens pas vraiment des visages, des voix, des scènes floues, réécrites une réalité parallèle, tordue, affamée Kael la regardait, mais ne la voyait pas Diva riait, mais ne s’arrêtait jamais pour lui tendre la main Destiny, silhouette de l’ombre, brûlait les lettres qu’elle n’avait jamais envoyées Rose forgeait des armes pour tous sauf pour elle et au centre, une petite fille. Seule. Assise dans un trône désert, les jambes pendantes, le regard perdu.

— Tu étais un jouet, souffla la voix un objet de réconfort une poupée posée dans un monde trop vaste pour ton silence on t’a fabriquée pour calmer, jamais pour exister.

Les mots frappaient avec une justesse terrible pas parce qu’ils étaient vrais mais parce qu’ils auraient pu l’être parce qu’ils s’enroulaient autour de ses vieux doutes comme des ronces Saphira tomba à genoux sa respiration devint lourde son front perla de sueur ses mains tremblaient, serrées contre sa poitrine elle ne pouvait plus distinguer ce qui était mensonge, et ce qui, peut-être, avait été là en elle depuis toujours une voix, plus faible cette fois, monta de sa gorge

— Est-ce que j’ai compté ? ou ai-je seulement servi à faire oublier la douleur des autres ?

Le décor l’encerclait une boucle une spirale une illusion construite avec les briques mêmes de son silence soudain, un craquement pas dans le rêve dans sa structure même une faille un cri et une main dorée, pure, jaillit à travers le ciel de verre comme une étoile percée.

— On ne ment pas à ma fille.

Les mots résonnèrent avec une telle autorité que même le rêve tressaillit. Les miroirs tremblèrent. Les souvenirs mensongers implosèrent. Les murs du piège, d’un coup, se couvrirent de fissures et dans la brume brûlante de l’illusion, une silhouette s’avança Hera sa présence imposait silence sa robe était faite de lumière tissée, d’aurore condensée, de gloire contenue dans chaque pas elle n’était pas venue sauver Saphira elle était venue restaurer ce que le mensonge avait tenté de voler sa vérité d’un geste, elle fit fondre l’un des reflets d’un regard, elle en fit disparaître un autre elle atteignit Saphira en trois pas s’agenouilla et posa sa main sur sa joue.

— Tu n’es pas seule. Tu ne l’as jamais été tu étais silencieuse, oui mais dans ton silence, il y avait une force que nous n’avons pas tous su comprendre.

Saphira trembla des larmes coulèrent, mais elles ne brûlaient pas c’étaient celles qu’elle retenait depuis trop longtemps.

Je me suis perdue, murmura-t-elle.

Hera la serra contre elle.

— Alors je viens t’aider à te retrouver.

Au centre du rêve, l’air vibra Nékridhal apparut non plus une voix mais une forme. Immense changeante faite d’ombres vivantes, de pensées refusées il n’avait pas de regard, mais il voyait il n’avait pas de bouche, mais il crachait la vérité avec le venin du doute.

— Vous êtes deux mais moi, je suis infini je suis chaque cri qu’on a étouffé chaque abandon chaque tremblement silencieux.

Hera se releva ses yeux brillaient comme des soleils prêts à brûler l’invisible.

— Et alors ? nous serons infinies ensemble.

Elle se tourna vers Saphira

— Lève-toi, ma fille. Lève-toi comme une Reine qui n’a pas besoin d’un trône pour exister. Lève-toi comme une lumière qui se plante même dans l’ombre.

Saphira se leva pas en déesse en humaine et pourtant le rêve en trembla davantage.

Nékridhal recula il ne comprenait pas. Il avait piégé les faibles. Les solitaires. Les abandonnés mais cette lumière elle n’était pas seule elle avait été vue et aimée et cela, aucune ombre ne pouvait le dévorer le rêve implosa mais avant que le gouffre ne les absorbe,morphée les rattrapa un cocon de poussière d’étoile un souffle apaisé. Le sommeil de l’âme, offert par le seul dieu qui savait quand il fallait cesser de se battre.

Saphira s’endormit dans les bras d’Hera.

Et cette fois… elle rêva d’un matin qui ne faisait pas mal.

Fin du Chapitre 42 — Le Rêve Piégé, le Cœur Guidé

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