La Tour est silencieuse pas morte pas endormie simplement en veille les horloges ne font plus de bruit les tapis ne flottent plus même les poupées, pourtant toujours remuantes, semblent avoir retenu leur souffle.
Au sommet, dans le bureau qui n'existe que quand l'auteur s'y rend, tu es là assis en tailleur sur un coussin de mémoire tissée, un carnet sur les genoux la plume repose dans ta main, trempée dans une encre que tu ne sais plus lire tout est là les mondes, les noms, les idées griffonnées sur des papiers déchirés et toi… vidé.
Tu murmures dans le vide, sans même t’adresser à quelqu’un :
—« J’ai écrit trop de miracles pour ne plus croire à l’épuisement. »
Tu poses la plume.
—« Trop de cris silencieux. trop de chapitres commencés au bord d’un gouffre. »
Le thé à côté de toi est tiède un grimoire renversé continue de tourner ses pages seul, comme si le vent voulait relire ta mémoire
tu ne l’as pas entendue venir mais elle est là. Saphira, pieds nus, une couverture serrée contre elle, avance sans bruit son regard est plus ancien que son visage elle ne fait pas de gestes inutiles elle s’assied à côté de toi, les genoux ramenés contre elle elle regarde droit devant.
Puis elle dit :
—« Je crois que t’as oublié quelque chose. »
Tu tournes doucement la tête un froncement de sourcil pas d’ironie.
—« Ah bon ? »
—« Toi. »
Elle soupire. Ses épaules tremblent à peine.
—«Tu m’as donnée la tour, les cauchemars, les poupées vivantes, une mère divine, une armure de tendresse… mais t’as oublié de t’écrire dedans. »
Tu ne réponds pas tout de suite tu la regardes et dans cette fille née de rêve, il y a… un peu trop de toi.
Une présence monte depuis la base de la Tour elle ne marche pas elle est La Mère Primordiale.
Elle apparaît sans fracas, sans éclat. Juste un parfum d’origine une chaleur douce comme celle qu’on oublie après la naissance elle s’installe lentement à ton autre côté, équilibrant le silence ses mains reposent sur ses genoux, et quand elle parle, c’est une caresse d’éternité.
—« Tu l’as écrite pour qu’elle veille sur les autres mais qui veille sur elle, quand toi, tu tombes ? »
Saphira ne bouge pas, mais sa voix devient plus fine.
—« Je l’ai entendu soupirer cette nuit je l’ai senti... loin. »
La Mère Primordiale hoche lentement la tête.
—« Ju es plus que des pages, petite reine. tu es une mémoire offerte à quelqu’un qui avait besoin d’un foyer. »
Tu poses enfin la main sur son épaule.
—« Je n’ai jamais su si tu étais un refuge ou une tempête... »
Elle rit c’est léger une bulle d’air dans une mer trop dense.
—« Je suis les deux je suis ta fatigue mais aussi ta tendresse. »
Elle baisse les yeux, hésite :
—« Tu m’as dessinée pour que j’apaise les autres mais je veux aussi te garder éveillé. pas pour écrire... juste pour rester. »
Tu murmures :
—«T’es une petite fille t’as pas à porter un auteur brisé. »
Elle lève les yeux d’un sérieux trop grand pour elle.
«Tu m’as créée. mais tu m’as aussi adoptée. »
Et ce n’est plus un personnage ce n’est plus une idée c’est une enfant, une reine, ta fille imaginaire qui vient veiller sur toi.
La Mère tend les mains et dans l’air, sans sort, sans lumière… un cercle se trace un simple lien pas magique pas spectaculaire un engagement mutuel.
—« Vous ne vous devez rien mais vous vous êtes choisis. et dans ce monde, rare est ce qui dure plus qu’un choix partagé. »
Saphira te tend la main tu hésites puis tu la prends.
Et la Mère murmure.
—« Voilà un auteur un rêve incarné et une source ancienne. »
Saphira glisse la tête contre ton épaule.
—« Tu peux faire une pause tu peux même ne pas écrire pendant un an. mais ne me laisse pas seule sans te dire… que je suis fière de toi. »
Tu souris tu ne sais pas encore si tu continueras demain tu ne sais pas si l’histoire a besoin d’un chapitre 59 mais ce que tu sais… c’est qu’elle t’a vu et que tu l’as vue aussi.
Fin du chapitre 58 — Entre l’auteur, une fille, et la mère de tout