On dit qu’un homme ne se brise vraiment qu’une seule fois. Pour Vidal, ce moment fut celui où elle est partie. Une semaine seulement après avoir mis au monde leurs
jumelles— deux flammes fragiles de vie qu’il nomma Salomé-Lyle et Éloïse-Lyse — elle disparut. Pas d’adieu. Pas de message. Juste le silence… et l’écho d’une trahison.
Elle s’est volatilisée comme si elle n’avait jamais existé. Les vêtements restèrent dans l’armoire. Le flacon de parfum sur la table. Une photo d’elle riant accrochée au mur, toujours là. Mais sa chaleur… s’était envolée.
Quelques jours plus tard, la maudite vérité éclata. Elle n’avait pas seulement fui ses responsabilités. Elle avait choisi autre chose. Elle avait choisi le confort après sa faillite. Elle avait choisi l’argent. Et elle avait choisi son ami.celui avec qui il partageait une tasse de café,celui qui avait levé un toast à son mariage un soir. Un homme qui entrait chez lui sans frapper, et lui souriait.
Vidal se retrouva ruiné dans le cœur et dans les poches. Une maison froide, un cœur brisé. Son oncle l’avait trahi en prenant tout ce qui lui restait après sa faillite, puis sa femme. Où aller ? Les larmes coulaient, une à une, en silence. Ce n’était pas un homme faible, mais il avait trébuché, comme trébuchent les plus forts lorsque le sol s’effondre sous eux. Les jours passaient comme dans le brouillard. Les pleurs des jumelles résonnaient encore. Même dans son sommeil, il les entendait.
Chaque jour était une bataille : contre l’impuissance, contre la solitude, contre l’amertume de la honte qui s’insinue dans le cœur d’un homme qui ne connaissait pas la défaite auparavant. Il ne parvenait pas à être à la fois père et mère.
Puis, une offre étrange arriva… enveloppée d’intérêt, mais remplie de tristesse. Un noble, incapable d’avoir des enfants, un ami d’un proche de Vidal, joua les intermédiaires. Il demanda à adopter l’un des enfants. Il promit d’en prendre soin comme s’il était de son sang. Il promit : un avenir assuré, une éducation, de l’amour, une place. En échange, il offrit une somme d’argent qui pourrait sauver la vie de Vidal et l’aider à élever l’autre enfant dans la dignité.
Cela aurait pu être un simple marché froid. Un marché de survie. Mais Vidal refusa l’argent. Malgré la pauvreté. Malgré la peur. Car il ne pouvait pas vendre son sang. Même si c’était pour leur bien.
Il choisit de garder Salomé-Lyle à ses côtés, et remit Éloïse-Lyse aux nobles avec un tremblement et des larmes au cœur, seulement parce qu’elle était née plus fragile, et avait besoin de soins au-delà de ses moyens. Il se brisa intérieurement… mais il sauva les deux.
Il se mit à lui écrire dans un cahier, cachant les lettres dans une petite boîte. Il rêvait de les lui lire un jour…
Un an et demi plus tard, au milieu des cendres, il rencontra une femme — une mère seule, portant dans ses yeux une douleur semblable à la sienne. Ils parlèrent peu au début. Leurs regards suffisaient. Deux âmes fatiguées, des blessures semblables.
Ils étaient brisés, mais se retrouvèrent comme deux morceaux de verre recollés avec de l’or. Ensemble, ils bâtirent quelque chose de nouveau : une maison. De la chaleur. Des rires d’enfants dans la cuisine. Et des regards doux qui disaient : Peut-être que la vie n’est pas encore finie. Et pour la première fois… l’espoir revint.
Puis la nouvelle arriva : elle était enceinte.
Mais ce n’était pas une nouvelle joyeuse pour elle. Plutôt une inquiétude… une peur… puis le silence. Et une fois de plus… les flammes se sont réveillées.
( Désolée mon amour, je t’aime♡.)
Elle ne voulait pas être enceinte. Ce n’était pas parce qu’elle n’aimait pas Vidal. Mais parce que son corps connaissait déjà la douleur… cette douleur qui laisse derrière elle une ombre de danger qui ne disparaît jamais. Elle avait perdu un enfant auparavant. Un saignement terrible. Des cris de douleur insoutenables. Son cœur avait failli s’arrêter.
Les médecins : oui, « corps fragile… et la prochaine fois pourrait être la dernière pour vous, alors jamais plus. » Elle s’était juré : « Je ne revivrai jamais ça. »
Mais la vie ne demande pas la permission. Elle entre comme un ivrogne, les mains sales, le cœur sans pitié. Quand les signes sont apparus, la peur a suivi. Puis l’hésitation. Puis le silence. Elle ne dit rien à Vidal.
Comment lui dire ? Lui, qui retrouvait à peine la lumière ? Elle voulait vraiment quelque chose qui les lie. Elle sourit. Et cacha la douleur. Elle pria beaucoup… juste cette fois, elle voulait vivre. Pour ses enfants. Ils avaient besoin d’elle. Entière. Vivante.
Et elle porta le secret dans son ventre… et dans son cœur.
Le jour de l’accouchement arriva, sous une pluie fine. Pas de vent, pas de tempête, juste une pluie douce, comme des larmes qui refusent de tomber.
Son visage était pâle comme la neige. Sa main glacée. Son souffle court. Des heures de douleur, et Vidal n’était pas à ses côtés. Il fut expulsé de la chambre. Et il n’entendit plus jamais sa voix. Ils ouvrirent la porte. Et ne lui remirent pas sa femme. Mais… l’enfant. Puis commença le silence éternel.
Elle mourut en donnant naissance à la vie. Et la vie née était fragile dès la première seconde. Aurèle, un enfant magnifique. Une peau transparente, de petits yeux qui ne restaient pas ouverts, des poumons hésitants, un cœur qui ne savait pas s’il voulait battre ou non.
Vidal cria : pourquoi encore me retire-t-on ce que j’aime ? Il prit son enfant dans les bras. Il comprit alors toute sa faiblesse. Il le supplia de rester. Juste de rester. Mais il partit… après vingt-cinq jours seulement.
Vingt-cinq jours. Un cycle de lune. Et ce n’était pas assez pour que son nom s’ancre dans la mémoire. Il déposa un baiser sur son front glacé, l’enterra lui-même aux côtés de sa mère, et dit : « Pardonne-moi… de ne pas avoir pu t’offrir autre chose que mon cœur brisé. »
Depuis ce jour… Vidal cessa de rêver. Il fit la promesse de ne plus jamais rêver. Il vivrait seulement ses jours… pour ses enfants♡.