Partie V—«Le Poids de l’Encre»

...... C’est véritablement remarquable… Ne me dites point que vous refusez, une fois encore, de le publier. 

Un trouble fugitif s’effaça du visage de Damien, remplacé par un sourire discret, presque mélancolique. Il avait enfin reconnu la voix.

« Ne conviendrait-il pas, monsieur, de vous assurer de l'identité de votre interlocuteur avant de vous enflammer ainsi ? »

Fabrice :

« Hélas, le cœur a parlé avant la raison… Mais où donc étiez-vous caché ? J’ai tant demandé de vos nouvelles. »

Damien :

« Mon parcours touche à sa fin.

Je m’apprête à recevoir ma dernière promotion au sein de l’armée, ce qui me rendra plus libre, sans doute. D’ailleurs… avez-vous reçu mon invitation ?Je vous en conjure, venez. Votre présence m’est précieuse. »

Fabrice :

« La chose ne sera guère aisée… mais je ferai tout ce qui est en mon pouvoir. L’essentiel, c’est que nos chemins se croiseront davantage à l’avenir. »

Damien (avec une douceur teintée de reproche) :

« Vous éludez, comme à votre habitude. Je souhaitais ardemment vous voir ce jour-là. »

Fabrice (souriant, devinant une intention) :

« Auriez-vous quelque dessein secret ? Préparez-vous un coup d’éclat ? »

Damien :

« Rien de spectaculaire. Je désire simplement me présenter tel que je suis, sans masque. On m’a toujours connu comme le fils de mon oncle, Armand Louis Valporine. Puis, lorsque la vérité éclata… ce scandale… ils firent comme si de rien n’était. Aucune parole d’excuse. Aucun égard pour mes sentiments. Même ma mère – cette femme que l’orgueil aveugle – ne m’a jamais accordé le moindre geste maternel. »

Fabrice (avec gravité, baissant légèrement la tête) :

« Je comprends ce que c’est… Être réduit à néant, alors même que l’on se croyait maître de son monde. »

(Il se remémora la trahison de son épouse, survenue après qu’il eut été frappé d’un mal consécutif à une violente blessure à la tête. Sa convalescence fut lente, et jusqu’à ce jour, il en portait encore les séquelles. Elle ne vit plus en lui un compagnon, mais une charge trop lourde à porter ; elle choisit alors de le trahir. Depuis leur séparation, il n’a jamais revu sa fille.)

Damien (tentant d’alléger l’atmosphère) :

« Soit. Pour le manuscrit… vous pouvez le publier. »

Fabrice (avec une joie enfantine) :

« Splendide ! J’avais même songé à un pseudonyme… Que dites-vous de Avec tout mon amour, Diamant ? 💎»

Damien (gêné, presque choqué) :

« Miséricorde ! C’est d’un romantisme écœurant. »

Fabrice (soupirant, faussement blessé) :

« Et pourtant… cela me semblait lyrique et profond. Très bien. Que penseriez-vous de Murmures de D. ? »

Damien (ironique) :

« Encore pire ! Je vous en prie, évitez toute référence à mon nom. Trouvez un titre qui ne trahisse rien. »

Fabrice :

« Fort bien… Autre proposition : et si vous écriviez sur autre chose… que la douleur ? »

Damian (avec un sourire ironique, presque provocateur) :

« Et que suggérez-vous ? La guerre ? Le fétichisme ? »

Fabrice (levant les yeux au ciel, faussement indigné) :

« Par tous les saints... te voilà encore possédé, misérable hérétique ! »

Damian (en riant ) :

«Je suis simplement honnête................ »

Fabrice (riant doucement) :

« Je parlais d’amour, mon ami. D’un amour vrai, sincère, celui qui fait battre le cœur. »

Damien (amer, mais calme) :

« Je n’y crois pas. Comment pourrais-je écrire ce que je ne ressens pas ?..... L’amour me semble une superstition bien plus dangereuse »

Fabrice :

« Pourtant… on m’a murmuré que vous seriez bientôt fiancé. Après la cérémonie, sans doute ? »

Damien :

« Ah, par pitié. Vous savez pertinemment ce que valent ces unions. Nous ne sommes que des pièces sur l’échiquier des convenances. Même le nom de ma promise change au gré des jours. Toute cette mise en scène m’épuise. »

Fabrice :

« Ce monde est insensé… Je vous souhaite, malgré tout, de goûter un jour au bonheur véritable. »

Damien :

« Ne vous apitoyez pas sur mon sort. Je me porte bien… tant que je refuse de me laisser berner par ces illusions. »

-Il marque une pause, puis, d’une voix douce

« Puis-je vous poser une question… au sujet de Sybille ? Êtes-vous toujours en contact avec elle ? »

Fabrice (le regard voilé) :

« Merci de penser à elle. Je crois que ma chère Sybille va bien. Deux années ont passé depuis sa dernière missive. Elle m’avait envoyé un portrait d’elle… Elle y paraissait si mûre, si belle. J’espère, de tout cœur, qu’elle est en paix. »

Damien (à voix basse) :

« Je l’espère aussi… »

*****Passé de Fabrice,

Fabrice dirige une maison d’édition prestigieuse, comprenant un journal d’actualités à large influence ainsi qu’une revue littéraire considérée comme un véritable carrefour pour l’élite culturelle. À mesure que son aura s’élargissait, il fit l’objet de pressions de la part des hautes sphères du pouvoir, l’incitant à réduire le tirage de ses publications , une tentative manifeste de les réserver à une classe sociale triée sur le volet.

Il s’opposa d’abord avec fermeté à cette demande, attaché à ses principes de libre accès au savoir. Mais les pressions politiques devinrent si intenses qu’il finit par céder.

Peu après, il fut convoqué pour un interrogatoire officiel, accusé d’avoir enfreint certaines « directives souveraines ». Cette convocation fit resurgir en lui une vieille angoisse… celle de voir remonter à la surface certains pans obscurs de son passé.

Un souvenir en particulier ne cessait de le hanter , le jour où il aurait dû accueillir sa fille, Sybille, après son divorce. Il avait promis d’être là, mais ne s’y rendit jamais. Ce jour-là, tout avait été bouleversé à cause de Damien : l’enfant devait intégrer l’école militaire interne. Fabrice avait voulu lui remettre en personne une lettre écrite par son père.

Pour le faire, il dut se faufiler dans la gare réservée à la noblesse, un lieu strictement surveillé. Il fut brièvement arrêté, puis relâché après avoir affirmé qu’il menait une enquête journalistique sur les héritiers des grandes familles , une manière détournée de justifier sa présence parmi l’élite.

Des années plus tard, Damien découvrit la vérité. Ému, il rechercha Sybille pour lui raconter toute l’histoire. Cette révélation inattendue permit aux liens brisés entre le père et la fille de se renouer peu à peu.......