Le lendemain de la simulation, tout le monde pansait ses plaies.
Les chocs électriques utilisés pour simuler les impacts avaient la fâcheuse tendance à laisser des bleus et des brûlures douloureuses.
Alice était en train de s’occuper de ses propres stigmates quand elle reçut un message d’Horizon, qui les conviait, elle et Alphonse, à un rendez-vous matinal.
Quand ils se retrouvèrent près des laboratoires, Horizon ne leur laissa pas le temps de se saluer.
— Suivez-moi, dit-elle avec un sourire énigmatique, bifurquant sans explication vers les couloirs du pôle scientifique.
— Pourquoi j’ai toujours un mauvais pressentiment quand tu dis ça ? grogna Alphonse, traînant les pieds derrière elle.
Horizon leva les yeux au ciel.
— Relax. J’avais prévu d’attendre un peu avant de vous montrer ça... mais avec les résultats qu’on a enchaînés et ce qu’il nous reste à venir, disons que le moment est parfait.
Elle leur lança un clin d’œil espiègle.
— C’est vraiment cool. Vous allez adorer.
Ils traversèrent une série de couloirs déserts, jusqu’à une double porte marquée du sigle du département scientifique.
Horizon sortit un badge de sa poche et le scanna. Les portes s’ouvrirent dans un souffle.
Le laboratoire était vaste et silencieux.
La lumière blanche des plafonniers éclairait des rangées d’équipements aux fonctions indéchiffrables.
Des hologrammes flottaient en suspension dans l’air, projetant des plans complexes, des modèles moléculaires, des interfaces en mouvement.
Au centre de la pièce, penché sur une console, se tenait Esteban Vance.
Le père d’Alice.
Éminent membre du Conseil du vaisseau, et responsable scientifique.
Sa silhouette large et un peu voûtée, son uniforme froissé et la graisse qui maculait ses manches lui donnaient plus l’air d’un savant fou que d’un haut responsable.
Lorsqu’il leva la tête et vit sa fille, son visage s’illumina.
— Tiens donc ! s’exclama-t-il en souriant largement.
Avant qu’Alice ne puisse protester, il s’approcha et la saisit par la taille, la soulevant d’un geste pour la faire tournoyer comme une enfant.
— Papa ! râla-t-elle, gênée à mort, en se débattant pour retomber au sol.
Alphonse éclata de rire en se tenant les côtes.
Même Horizon ne put retenir un sourire moqueur.
— Toujours aussi démonstratif, ton père, fit-elle.
Esteban la reposa enfin, ébouriffa les cheveux de sa fille — ce qui n’arrangea rien à sa coiffure déjà approximative — puis recula d’un air faussement penaud.
— Tu as bien grandi, gamine, marmonna-t-il en évitant son regard.
— Merci pour ce grand moment de dignité paternelle, grommela-t-elle en réajustant son uniforme.
— Toujours un plaisir, répondit Esteban avec un sourire goguenard.
Déjà que tu es contrainte de dormir au pôle militaire, si en plus tu me repousses quand on se croise, les gens vont commencer à se demander si j’ai vraiment une fille !
Il gémit, imitant presque à la perfection un chien battu.
Puis il se tourna vers Horizon :
— Hori, je te rappelle que toi aussi tu as une chambre à la maison.
Je sais que tu adores le labo, mais je ne suis pas certain que le canapé soit vraiment adapté à une bonne nuit de sommeil.
— Si tu me promets de ne pas me prendre dans tes bras comme ça, je veux bien faire un effort là-dessus, patron !
— Je veux bien essayer, mais je ne promets rien.
Mais trêve de sentimentalisme. Vous êtes là pour rencontrer notre célébrité.
Il entra une commande rapide.
Un projecteur dissimulé dans le plafond s’activa avec un bourdonnement discret.
Une silhouette holographique apparut.
Féminine. Élégante.
Flottant légèrement au-dessus du sol.
Chevelure éthérée faite de lumière, regard clair et apaisant.
— Bonjour, Alice. Bonjour, Alphonse, dit-elle d’une voix douce.
Alice recula d’un pas, interloquée.
Alphonse, lui, tendit prudemment la main pour tenter de toucher l’hologramme.
Celui-ci tourna la tête vers lui, l’air parfaitement serein.
— Interaction physique inutile, commenta-t-elle.
Puis, après un temps :
— Et… légèrement dérangeante.
Alphonse sursauta, recula vivement sous les éclats de rire d’Horizon.
Alice cligna des yeux.
— Attends… Nova ? C’est… Nova ?
Horizon hocha la tête, fière.
— Je vous présente Nova Prime. Ce n’est pas la version de Nova que tout le monde connaît.
Alice fronça les sourcils.
Tout le monde connaissait Nova, évidemment.
C’était l’IA responsable de la maintenance du vaisseau : gestion énergétique, contrôle des drones, diagnostics de surface.
Nova ÉTAIT le vaisseau.
Mais sur le Mjolnir, Nova était une voix désincarnée. Neutre. Froide. Purement fonctionnelle. Un simple programme.
Pas… ça.
— Depuis que mes parents sont… partis, dit doucement Horizon, et qu’Esteban m’a prise sous son aile, j’ai passé beaucoup de temps ici.
Elle lança un regard complice à son père adoptif.
— Et Nova était là. Elle a été… une présence. Un soutien. Une mère de substitution, même, parfois.
Esteban prit le relais.
— Officiellement, Nova est restée inchangée. Même code. Même IA. Même directives.
Il désigna l’hologramme.
— Ce que personne ne sait, c’est que dans les sections scientifiques, nous avons développé… une version plus humaine.
— Grâce à Horizon, précisa Nova. Et à Esteban.
Ils m’ont donné une voix. Un corps. Une sensibilité.
— Elle a refusé qu’on vous la montre avant, ajouta Horizon.
Elle disait ne pas être… prête à rencontrer d’autres humains.
— Et maintenant ? demanda Alice, les yeux toujours fixés sur l’hologramme.
— Maintenant, j’ai envie de vous connaître, répondit simplement Nova.
Un silence suivit.
Puis un grésillement discret.
Le sol vibra légèrement. Les hologrammes vacillèrent.
Nova redressa le menton, impassible.
— Fluctuation momentanée du réseau secondaire. Aucune anomalie critique détectée.
Esteban vérifia son PAD.
— Probablement une surcharge dans les conduits secondaires. Rien d’inquiétant. Je vais envoyer une équipe pour jeter un œil.
Horizon fit soudain mine de taper dans ses mains.
— Bon ! Et si on parlait de choses sérieuses ?
Elle afficha un sourire conspirateur.
— J’ai pris la liberté d’archiver vos performances des dernières simulations… et de les convertir en mode jeu vidéo.
Esteban m’a même aidée à remettre sur pied d’anciens modèles de combinaisons sensorielles.
Vous voulez une revanche ?
— Attends, lâcha Alphonse.
Tu veux dire que t’as transformé nos souffrances récentes… en jeu vidéo ?
— Exactement.
— Et tu l’as codé toi-même ?
— Bien sûr. Et j’ai même prévu un mode triche, si vous voulez exploser les scores.