SOS !

Le lendemain matin, la rumeur se répandit en silence.

Une recrue avait été retrouvée morte dans son lit.

Aucune annonce officielle.

Juste des regards fuyants. Des soupirs.

Et le lit vide dans le dortoir.

- Vous savez ce qu'il s'est passé ? avait demandé Alice.

- Une pathologie génétique, je crois, murmura Horizon.

Un truc qu'elle traînait depuis toujours. Personne n'en parlait, mais...

- Mais l'épreuve de la veille était rude, ajouta Alphonse. Peut-être trop.

Dante, passant près d'eux, eut un rire étouffé.

- Une de moins. Dommage que ce ne soit pas la bonne.

Il adressa un regard à Horizon.

- Enfin... paraît qu'à génétique fragile, destin fragile.

- Tu devrais fermer ta gueule, souffla Alphonse.

Mais Dante était déjà parti.

Le moment passa.

Louise aussi.

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Les semaines suivantes s'écoulèrent à un rythme infernal.

Chaque jour, de nouvelles épreuves étaient organisées, conçues pour tester leur endurance, leur adaptabilité et leur capacité à agir en équipe.

Et chaque semaine, l'épreuve éliminatoire continuait à clairsemer les rangs des aspirants.

Au départ, plusieurs centaines de candidats postulaient pour intégrer les futures escouades d'exploration.

Parmi eux, certains venaient même des filières agricoles, scientifiques ou ouvrières, espérant se réorienter pour être parmi les premiers à fouler Avalon.

Mais jour après jour, les rangs s'amenuisaient.

Beaucoup abandonnaient d'eux-mêmes.

D'autres se blessaient et se retrouvaient contraints à l'abandon.

Tests d'endurance, parcours sous gravité variable, épreuves de survie sans assistance technologique...

Chaque test voyait tomber son lot de participants.

Alice, Horizon et Alphonse progressaient sans flancher.

Non sans difficulté - certains exercices frôlaient l'inhumain, surtout pour Horizon, qui, comme elle aimait à le rappeler, n'avait aucune formation militaire préalable -

mais leur détermination, leur coordination naturelle et les séances d'entraînement secrètes au labo leur donnaient un net avantage.

Le trio n'était pas seul, cependant.

Deux autres figures se détachaient parmi les aspirants :

Dante et Syra, issus de la filière militaire, mais aussi Marcus Reaves et Célia Thorn, apprentis du secteur ingénierie.

Célia, avait ce regard froid, calculateur, qui semblait chercher la faille chez chacun des participants. Son partenaire n'avait rien à lui envier, c'était une machine de guerre.

Du genre beau brun ténébreux, les muscles en plus.

Une chose était sûre : ces deux-là étaient farouchement déterminés. Et tous deux formaient un duo redouté - et détesté - par la majorité des autres candidats, tant ils excellaient dans les épreuves.

Dante et Syra, quant à eux, malgré leurs difficultés, avançaient toujours.

Et prenaient un plaisir manifeste à humilier les autres.

Horizon, du fait de sa fonction scientifique et de sa nature joviale, était devenue leur cible favorite.

- Tiens donc, lança un jour Dante, alors qu'Horizon rejoignait Alice et Alphonse à l'entrée du terrain d'entraînement.

- La blouse blanche vient encore jouer à la soldate ? Fais gaffe à pas salir ta manucure.

- Ou à casser tes jolies lunettes, renchérit Syra avec un rictus mauvais.

Ça serait dommage que tu blesses un de tes amis en le prenant pour un drone !

Alphonse fit mine de bondir vers eux, mais Alice le retint d'une main.

- Ignore-les, murmura-t-elle. Ils cherchent juste à te faire craquer.

Horizon, elle, leur adressa un sourire glacé, sans répondre.

Elle avait compris, elle aussi.

Réussir ici ne signifiait pas seulement franchir des obstacles physiques.

C'était tenir bon face à l'humiliation, au doute, à l'hostilité.

Et tenir bon... ils savaient le faire.

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Le soir, quand ils n'étaient pas trop éreintés, ils trouvaient refuge au laboratoire d'Esteban.

Nova les y attendait souvent, flottant au-dessus des consoles comme une présence bienveillante.

Parfois, Horizon et Esteban leur faisaient essayer de nouvelles simulations tactiques sous forme de jeux de stratégie élaborés -

où Alphonse ne manquait jamais une occasion de se ridiculiser en tentant des manœuvres aussi improbables que spectaculaires.

Un soir, alors qu'ils rentraient épuisés d'une épreuve de survie en milieu hostile simulé, Horizon les entraîna comme à son habitude vers le laboratoire.

Esteban n'était pas là, absorbé par ses tâches de membre du Conseil.

Seule Nova, en veille holographique au centre de la salle, les accueillit d'une lueur douce.

Un chat noir et blanc les attendait aussi, couché en boule sur une pile de câbles.

Il leva à peine une oreille, puis se rendormit.

- Il est encore là, murmura Horizon. Je crois qu'il a élu domicile.

- C'est un génie, souffla Alphonse. Il passe sa vie à dormir dans un labo climatisé, nourri par une IA. Je veux sa vie.

Quand ils franchirent le seuil, l'avatar de Nova s'activa pleinement.

Ses cheveux lumineux flottèrent autour d'elle comme une auréole.

- Bonsoir, Alice. Bonsoir, Alphonse. Bonsoir, Horizon, dit-elle d'une voix cordiale.

Ils échangèrent des regards fatigués, prêts à s'affaler sur les bancs de maintenance.

Mais Nova poursuivit, avec une nuance inhabituelle dans la voix :

- Avant toute chose... il y a une information importante que je dois partager.

Ils se redressèrent, alertes.

- Aujourd'hui, à 17h43, temps Mjolnir, j'ai intercepté un signal anormal.

- C'est-à-dire ? s'étonna Horizon.

- Cela ressemble à un appel de détresse émis depuis un objet spatial situé en bordure de notre trajectoire actuelle.

Un frisson remonta l'échine d'Alice.

- Quel genre d'objet ? demanda-t-elle.

Nova inclina légèrement la tête.

- Un vaisseau de conception humaine.

Identification préliminaire : modèle d'Exode génération I, similaire au Mjolnir.

Statut : gravement endommagé.

Activité de bord : inexistante... à l'exception du signal automatique en cours d'émission.

Un silence pesant suivit.

- Et... que dit le Conseil ? murmura Horizon.

- Le Conseil a décidé de poursuivre la route vers Avalon sans intervention, répondit Nova, sans émotion.

Décélérer pour étudier l'objet aurait retardé l'arrivée de plusieurs semaines.

La priorité a été donnée à la mission principale.

Alice sentit son estomac se nouer.

- Et toi ? demanda-t-elle. Qu'est-ce que toi tu en penses ?

Pour la première fois, Nova marqua une pause.

- Le protocole standard recommande de secourir toute vie humaine détectée. Même hypothétique.

Le choix du Conseil est rationnel... mais il ne suit pas le protocole principal. Cela n'est pas normal.

Alice se leva, déterminée :

- Il faut parler à mon père.

Alice avait immédiatement pensé à son père.

Si quelqu'un à bord du Mjolnir pouvait leur fournir des réponses, c'était bien Esteban Vance.

Et s'il y avait quelqu'un capable de s'opposer au silence du Conseil, c'était encore lui.

Dans l'ascenseur qui les menait au pont supérieur, Horizon tapait nerveusement sur son PAD.

- Tu crois qu'il nous écoutera ? murmura-t-elle, inquiète.

- Je suis sa fille. Et toi, c'est tout comme.

S'il ne nous écoute pas, il n'écoutera personne.

Les bureaux des membres du Conseil étaient tous identiques.

Sombres. Circulaires.

Un écran géant, faisant office de fausse fenêtre, diffusait l'image paisible d'un paysage montagnard terrien.

Esteban se tenait debout, penché sur une projection stellaire.

- Papa, dit-elle sans détour.

Il se retourna, surpris. Horizon resta en retrait.

- Alice ? Hori ? Qu'est-ce que...

- Le signal. On sait. Un vaisseau humain. Un appel de détresse. Tu étais au courant ?

Esteban pinça les lèvres. Il abaissa lentement les mains.

- Oui. Le Conseil a étudié les données. Les scans longue portée n'ont révélé aucune activité biologique. Aucune réponse non plus aux tentatives de communication.

- Alors pourquoi ne pas aller vérifier ? Un simple survol. Une reconnaissance rapide !

Il la fixa un instant.

- Parce que chaque jour compte. Nos ressources sont précieuses. Et depuis le Grand Incident, la tension monte dans les factions.

L'annonce de l'arrivée sur Avalon a calmé les esprits, mais ce n'est que temporaire.

Tout ce qui pourrait retarder la colonisation pourrait rallumer les braises.

Il soupira.

- Ce vaisseau est une épave. Sans importance.

Notre priorité est le Mjolnir. Et Avalon.

Alice sentit son ventre se contracter.

- Et s'il y avait quelqu'un encore en vie ?

- Ce serait un miracle statistiquement improbable.

Et on ne dévie pas un vaisseau-monde pour un miracle.

Horizon fit un pas en avant.

Mais Alice leva la main pour l'arrêter.

- Tu n'y crois pas... ou tu refuses d'y croire ?

Le silence s'épaissit.

Nova apparut soudain, projetée entre eux via l'intercom du bureau.

Esteban recula d'un pas. Ses yeux clignèrent brièvement.

- Il est pourtant de notre devoir de secourir toute forme de vie humaine, rappela l'IA.

Ce que vous appelez perte de temps, je l'appelle espoir.

- Tu n'as pas ton mot à dire, coupa Esteban.

Tu es une instance technique. Rien de plus.

- Faux, dit Alice, les dents serrées.

Tu sais très bien qu'elle est plus que ça.

Le regard d'Esteban s'adoucit. Un instant.

Mais c'était trop tard.

Alice recula d'un pas.

- Tu m'as toujours dit que les survivants de l'Exode étaient notre responsabilité.

Que l'humanité devait se tenir ensemble.

Pourquoi tu dévies maintenant ?

- Parce que parfois, il faut faire passer le collectif avant la curiosité, répondit-il.

Même si ça fait mal.

Mais Alice vit autre chose dans ses yeux.

Il était inquiet.

Elle comprit qu'il ne leur disait pas tout.

Et qu'il était vain d'insister.

- Merci pour ta franchise, papa, dit-elle froidement.

Elle fit volte-face.

Horizon la suivit.

Dehors, Alphonse les attendait, la mine sombre.

- Alors ?

- Alors on fera ce qu'il faut.

Avec ou sans son autorisation.

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Plus tard, au laboratoire, Horizon fit apparaître une carte holographique projetant la trajectoire du Mjolnir et celle de l'épave.

- On peut le faire, souffla-t-elle.

Nova a un plan pour dévier légèrement le vaisseau et le ralentir juste assez pour nous permettre une sortie.

- Et on y va comment ? demanda Alice.

- Par la baie technique extérieure, répondit Nova.

Non surveillée. Rarement utilisée.

Je peux générer une fausse séquence de maintenance et une boucle sur les caméras de surveillance.

Alphonse, jusque-là silencieux, croisa les bras.

- Et on y va comment, exactement ?

- Une navette de transport, répondit Nova.

Elles sont conçues pour les EVA, les sorties extravéhiculaires.

Je vais en réactiver une et l'affecter à un faux protocole de test. Vous l'emprunterez sous mon contrôle. Je piloterai à distance.

Ils échangèrent un regard.

Inquiets.

- Vous pourriez sortir en extra-véhiculaire, atteindre l'épave, identifier la source du signal, puis revenir discrètement à bord, conclut Nova.

- Discrètement... répéta Alphonse, blême.

- Uniquement si vous êtes prudents, confirma l'IA.

Alice fixa longuement Horizon. Puis Alphonse.

Ils devaient en discuter.

Ils savaient aussi que c'était une folie.

Mais dans leur cœur...

... ils savaient déjà qu'ils iraient.