Le Mjolnir n’avait ni crépuscule, ni aurore.
À une certaine heure, deux fois par jour, le vaisseau modulait progressivement la luminosité, jusqu’à ne garder que les veilleuses dans les parties communes.
C’était ce moment de la journée qu’Horizon préférait, surtout le matin.
Cet entre-deux magique durant lequel elle aimait arpenter les couloirs encore vides pour réfléchir.
Marcher seule lui permettait de respirer un peu, loin du tumulte, loin des doutes.
Et surtout, loin des regards.
— Alors ? La blouse blanche, t’as perdu tes amis ? Ou tu cherches ta maman ?
Elle s’arrêta net.
Dante se détacha de l’ombre d’un renfoncement, Syra sur ses talons.
Ils la bloquaient à mi-chemin, dos à une rambarde, posture faussement détendue.
— Les tests te plaisent, Horizon ? lança Syra avec un sourire en coin.
— Tu t’amuses bien à jouer à la soldate, maintenant ?
Horizon ne répondit pas. Elle avança d’un pas.
Mais Dante s’interposa.
— Tu sais ce que tout le monde pense ?
— Que t’as pas ta place ici.
— T’es brillante, c’est sûr. Douée pour faire pousser des algues et coder des jeux vidéo… Mais dans un combat ? T’es un poids mort.
Il la toisa, moqueur.
— Tu tiens à peine debout. Sans tes copains, tu n’aurais pas tenu une minute aux tests. Et tu veux explorer Avalon ? Laisse-moi rire.
Syra ajouta, presque amusée :
— Tu devrais retourner là où t’excelles. Dans un labo. Avec des gants et des éprouvettes.
Horizon garda les yeux sur Dante. Droite. Silencieuse.
Mais ses mains tremblaient.
— Tu n’as pas le droit de décider à ma place, dit-elle simplement.
— On n’a pas besoin de le faire. La sélection s’en chargera, répliqua Dante.
Il s’apprêtait à poursuivre quand une voix résonna dans le couloir :
— Hé ! Tu veux pas t’en prendre à quelqu’un de ta taille, espèce de lâche ?
Alphonse surgit à grandes enjambées. Il se planta entre Horizon et Dante, prêt à frapper.
— Alphonse, non, coupa Horizon.
— Il le mérite. T’as entendu ce qu’il…
— Oui. Et je ne veux pas de ton aide.
Elle recula d’un pas. Le regard baissé. Les traits fermés.
— Ce n’est pas la peine. Pas avec eux.
Alphonse hésita, puis recula à contrecœur.
Dante haussa les épaules et tourna les talons.
— Bonne chance au prochain test, docteure. Tu vas en avoir besoin.
Syra le suivit, sans un mot.
Horizon resta figée. Puis, lentement, elle s’éloigna à son tour.
Sans un mot. Sans se retourner.
Alphonse la suivit du regard, frustré, impuissant.
Personne ne remarqua la silhouette dissimulée dans l’ombre, non loin de là.
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Un peu plus tard, la nouvelle épreuve de sélection allait commencer.
Le gymnase vibrait déjà du claquement des bottes sur le sol synthétique et des ordres aboyés par les instructeurs.
L’air sentait la sueur, le caoutchouc brûlé, et la tension électrique.
Alice, Horizon et Alphonse étaient répartis dans des groupes d’entraînement pour les tests de combat rapproché.
Aujourd’hui marquait la troisième épreuve du mois : réflexes, endurance, résistance sous pression.
Ils avaient tous trois combats à main nue à réaliser, chacun noté individuellement.
Depuis quelques jours, Alice n’arrivait pas à se sortir Célia de la tête.
Elle avait remarqué ses regards soupçonneux depuis leur brève rencontre dans le couloir des âmes. Toujours là, toujours à observer leur trio.
Et ça ne la rassurait pas.
Elle aussi participait à la sélection, même si son partenaire avait été contraint à l’abandon après la dernière épreuve de survie.
Et Alice connaissait sa réputation : ses prouesses chez les agro étaient légendaires.
Le sifflet strident du sergent instructeur fendit l’air.
— En position ! Deux par deux !
Autour d’eux, les recrues s’agitaient, ajustant leurs protections, bandant leurs muscles.
La première confrontation tomba sur Alice.
Son adversaire : Vera Krauss, aspirante du secteur technique.
Solide comme un roc.
Connue pour sa hargne et ses coups de sang.
Pas de bol, pensa Alice en soupirant.
Le sergent hurla :
— Combat !
Vera chargea immédiatement. Épaules en avant. Poings levés.
Le choc fut brutal.
Alice para un crochet du droit, recula d’un pas, sentit l’impact vibrer jusqu’aux épaules.
Vera enchaîna. Frappant bas. Puis haut.
Un style sans finesse. Mais d’une agressivité écrasante.
Alice esquiva, recula, manquant deux fois de trébucher sur le sol glissant.
— Accroche-toi, Vance, murmura-t-elle pour elle-même.
Elle tenta une contre-attaque : un estoc rapide.
Mais Vera bloqua, répliqua d’un direct dans l’abdomen.
L’air quitta les poumons d’Alice.
Elle plia en deux, recula, haletante.
Vera souriait maintenant. Sûre d’elle.
Elle avançait, frappait, dominait.
Alice comprit : elle ne gagnerait pas en force brute.
Elle changea de stratégie.
Feintes. Provocations. Esquives.
Elle chercha à la fatiguer.
Le combat dura.
Un ballet épuisant sous les yeux d’un public suspendu.
À la sixième minute, Vera commit l’erreur.
Trop confiante. Elle chargea à découvert.
Alice esquiva. Crochet arrière.
Vera vacilla.
Alice l’attrapa, bascula dans son dos, verrouilla la gorge dans une clé inversée.
Vera se débattit. Lutta.
Trois secondes. Trois longues secondes.
Puis tapa deux fois sur le sol.
Le sergent siffla.
— Fin du combat !
Alice relâcha la prise et roula de côté, haletante.
Elle tendit la main à Vera.
La technicienne hésita… puis accepta.
Pas de mots.
Mais un hochement de tête.
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Puis vint le tour d’Alphonse.
Son adversaire : Dante.
Le sergent siffla.
Alphonse s’avança, calme, détendu.
Dante fit craquer ses articulations comme un boxeur de foire.
— Alors, Blondin ? T’es venu t’entraîner à perdre ? Quand j’en aurai fini avec toi, ta copine binoclarde va devoir te reconstruire au scalpel.
Ricanements autour du ring.
Alphonse haussa les sourcils.
— Charmant. Tu t’échauffes la bouche ou les poings ?
— Combat ! cria le sergent.
Dante fonça.
Alphonse esquiva.
Un petit pas de côté. Élégant. Moqueur.
— Olé ! lança-t-il en mimant une cape.
Rires dans le public.
Dante, furieux, fonça à nouveau.
Trop vite.
Alphonse le saisit au poignet, utilisa l’élan, projeta.
Dante roula au sol.
— Tu devrais apprendre à freiner, souffla Alphonse.
Encore une charge. Encore une erreur.
Cette fois, Alphonse arma un uppercut.
Frappant avec une précision chirurgicale.
En pleine mâchoire.
Dante s’écroula. KO.
Silence. Puis explosion d’acclamations.
— Et boum, murmura Alphonse en soufflant sur son poing.
Le sergent siffla.
— Fin du combat !
Alphonse s’inclina théâtralement et rejoignit Alice.
— C’était mesquin, commenta-t-elle.
— C’était magnifique, rectifia-t-il.
Elle leva les yeux au ciel. Et rit.
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— Horizon Mirea. Célia Thorn. En place.
Un murmure parcourut les rangs.
Alice et Alphonse se tournèrent vers leur amie.
Horizon enfilait ses gants, le visage neutre, les gestes un peu raides.
— Elle est sérieuse ? murmura Alphonse.
— Elle n’aime pas reculer, répondit Alice.
Sur le tatami, saluts brefs. Pas d’insultes.
Mais dans les yeux de Célia brillait une concentration glacée.
Le combat commença.
Horizon résistait, mais Célia menait la danse.
Esquives. Feintes. Contrôle.
Puis un coup partit.
Violent. Précis.
Horizon vacilla.
Et dans le mouvement de recul, Célia glissa.
Elle chuta. Percuta Horizon de plein fouet.
Un craquement.
Un hurlement.
Horizon s’effondra, tenant son genou tordu à un angle impossible.
Alice bondit. Alphonse aussi.
Célia, déjà agenouillée, sortit un injecteur.
— Ne bouge pas.
Elle injecta l’antidouleur. Compresse. Stabilisation.
Le visage d’Horizon était blanc de douleur.
Alice la fixa. Puis regarda Célia.
Elle ne vit ni défi. Ni indifférence.
Juste une gêne sincère.
— Ce n’était pas voulu, murmura Célia.
Alice ne répondit pas.
Elle s’agenouilla aux côtés de son amie.
Puis, alors que le sergent approchait, Célia ajouta :
— Au fait… bravo pour votre qualification.
Un mince sourire. Pas d’ironie. Juste du respect.
— Vous êtes plus impressionnants que je ne le pensais.
Alice la fixa, surprise.
Puis répondit d’un ton tendu, mais sincère :
— Merci.
Pas de chaleur.
Mais plus d’hostilité.
Le sergent donna ses ordres.
Horizon fut évacuée.
Alice et Alphonse l’aidèrent à se redresser.
Les regards les suivaient.
Derrière eux, Célia resta seule. Bras croisés.
Pensive.