Après avoir réglé le problème avec Wi Seol-Ah, je préparai rapidement de quoi manger. On finit le repas tout aussi rapidement ; il était trop tard pour cuisiner quelque chose de plus élaboré.
C’était assez amusant de voir à quel point Wi Seol-Ah mangeait. On aurait dit qu’elle avait jeûné pendant des jours.
J’ai demandé aux serviteurs s’ils savaient pourquoi elle mangeait autant, et ils m’ont répondu qu’elle avait toujours eu cet appétit.
En y repensant, elle avait effectivement dévoré une quantité effrayante de pommes de terre le jour de notre première rencontre.
Dans tous les cas, avec Wi Seol-Ah et son appétit parmi nous, nous allions devoir nous arrêter bien plus souvent pour refaire le plein de nourriture.
__________
Le reflet de la lune brillait magnifiquement à la surface d’un lac situé près de notre campement pour la nuit.
On avait choisi cet endroit parce qu’il semblait idéal pour camper, mais à mesure que la nuit tombait, l’air devenait plus froid que d’habitude à cause de la proximité du lac.
Vers 23 heures, les escortes commencèrent à se préparer pour les tours de garde.
Elles disposèrent des talismans démoniaques autour du camp et prirent ensuite position de manière à pouvoir surveiller efficacement tout en restant mobiles au cas où quelque chose se passerait.
J’étais assis là, à contempler la lune, quand Muyeon vint vers moi.
« Vous devriez rentrer, Jeune Maître. Il commence à faire vraiment froid. »
« Peu importe à quel point il fait froid, je serai probablement toujours plus au chaud que vous tous. »
Grâce à mon Qi de feu, l’air froid ne me paraissait qu’une brise fraîche tandis que je restais assis devant le feu de camp.
Wi Seol-Ah bondit bientôt vers moi après avoir pris quelque chose des mains des serviteurs.
En y regardant de plus près, c’était un bol de raviolis.
… Des raviolis ? Comme ça, tout d’un coup ?
On voyait encore de la vapeur s’en échapper, preuve qu’ils venaient tout juste d’être cuits à la vapeur.
Comment avaient-ils réussi à les cuire ici ?
« Les grandes sœurs servantes m’ont dit de partager avec vous tous ! »
Apparemment, ils avaient été préparés pour les escortes.
Alors que Wi Seol-Ah distribuait les raviolis, les escortes lui souriaient.
La beauté de Wi Seol-Ah était une véritable arme.
Wi Seol-Ah adulte, dans ma vie précédente, pouvait faire capituler des ennemis par sa seule apparence. Et bien qu’elle ne possédât pas encore cette beauté-là, elle était déjà suffisamment mignonne pour faire sourire quiconque posait les yeux sur elle.
Une fois la distribution terminée, elle vint s’asseoir à côté de moi.
« J’ai pris un gros pour le Jeune Maître. »
Avec un grand sourire, Wi Seol-Ah me tendit deux raviolis.
Je les acceptai et lui dis :
« Tu es sûre que tu n’as pas besoin de dormir maintenant ? On devra se lever tôt demain. »
Nous devions repartir dès le lever du soleil.
Il vaudrait mieux pour elle qu’elle dorme dès maintenant pour ne pas être fatiguée demain.
« Vous non plus, vous ne dormez pas, Jeune Maître. »
« …Eh bien… »
J’étais habitué grâce à mon Qi, mais Wi Seol-Ah n’était pas encore une artiste martiale, alors je craignais qu’elle ait du mal.
Je secouai la tête et mordis dans un ravioli. Sa texture moelleuse et humide me rappela à quel point ces choses étaient un don des cieux.
À mesure que la nuit devenait plus froide, Muyeon se leva et commença à s’étirer. Je décidai qu’il était temps de retourner à la carriole et poussai légèrement Wi Seol-Ah dans le dos.
« Allez, va maintenant. Si tu ne te réveilles pas à temps, on partira sans toi. »
« Uuu… Vous êtes méchant. »
« Les raviolis que tu nous as donnés étaient délicieux. »
Je terminai mon dernier bouchée, retournai à la carriole, et m’endormis.
__________
C’est horriblement loin.
Cela faisait déjà quatre jours que nous avions quitté le Clan pour aller au Sichuan.
Tout ce qui s’était passé durant ces quatre jours, c’était du camping et de la route.
J’avais bien continué à m’entraîner pendant le voyage, mais je n’avais pas senti de progrès notables.
Je pouvais le comprendre, bien sûr. Ce n’est pas comme si on améliorait son Qi du jour au lendemain. Mais ce n’était pas vraiment ce qui me préoccupait le plus.
…Y aller, c’est une chose… mais le retour ?
Le trajet retour prendrait sûrement autant de temps. Je devrais donc endurer tout cela une nouvelle fois… ?
Le long voyage commençait à vraiment peser sur moi, et ce qui rendait les choses encore pires, c’est que la carriole ne pouvait même pas aller à pleine vitesse à cause des routes cahoteuses.
Grâce à cela, j’avais droit à une vue imprenable sur les paysages… jusqu’à en être écœuré.
« Jeune Maître ! »
« Pff… Quoi encore ? »
« Regardez là-bas ! Regardez ! Un écureuil ! »
Je regardai l’arbre que Wi Seol-Ah pointait du doigt, et effectivement, un écureuil y grignotait joyeusement un gland.
« Oui, c’est un écureuil… »
« Il est mignon, non ? »
Je tenais souvent de courtes conversations comme ça avec Wi Seol-Ah, et honnêtement, ces petits moments de répit étaient sans doute ce qui m’empêchait de sombrer totalement dans l’ennui.
Parfois, elle parlait de comment le yakgwa était meilleur que les pommes de terre, ou que les aigles étaient durs à manger, ou encore que les cochons normaux étaient plus savoureux que les sangliers… En y repensant, on ne parlait que de nourriture.
À cette pensée, un frisson me parcourut. Je regardai Wi Seol-Ah, toujours en train de pointer l’écureuil en disant qu’il était mignon.
Je ne pus retenir ma curiosité et lui demandai :
« Tu as déjà mangé des écureuils ? »
Wi Seol-Ah me regarda bizarrement avant de répondre :
« Jeune Maître… même moi, je ne mangerais pas d’écureuils. »
Tu es bête, Jeune Maître ? Voilà ce que disait son regard.
Je me sentis mal.
Mais à ma décharge, elle avait dit avoir déjà mangé des aigles… comment étais-je censé deviner qu’elle n’avait jamais mangé d’écureuils ?
Pris d’un élan de mesquinerie, je pris le yakgwa qu’elle s’apprêtait à manger et le mangeai moi-même.
Elle resta figée un instant, puis,
« Hein… Heiiin !!??? »
Elle fit une tête comme si le monde venait de s’écrouler.
Sur son visage rebondi, c’était vraiment hilarant. Cette réaction me fit retrouver le sourire.
« C-Comment avez-vous pu… »
« Tu dois vraiment arrêter de manger du yakgwa. Regarde à quel point ton visage est devenu rond. »
« Il n’est pas rond ! »
« Va demander aux autres s’ils sont d’accord avec ça. »
Les serviteurs, assis en face de nous, riaient en silence.
Mais dès que Wi Seol-Ah se tourna vers eux, leur rire s’éteignit, et quand elle ouvrit la bouche pour poser sa question, ils détournèrent tous les yeux.
Ils ne pouvaient pas se résoudre à lui dire la vérité.
Wi Seol-Ah, cependant, comprit tout de suite leur silence, et des larmes se formèrent au coin de ses yeux.
« Je… je suis une boule… »
« Oui, tu es une boule. »
Avec cette dernière attaque verbale, Wi Seol-Ah se laissa tomber contre la paroi de la carriole et se tut, vaincue.
Même si, pour être honnête, son visage n’était pas si rond que ça.
Elle avait juste un peu grossi depuis la première fois que je l’avais vue.
Donc elle a bien pris du poids, non ?
Quoi qu’il en soit, grâce à son silence, je pus profiter d’un peu de calme.
En reportant mon regard sur le paysage extérieur, je réfléchis aux événements à venir.
J’espère que tout se passera bien.
Visiter le Clan Tang du Sichuan était déjà une tâche énorme, mais je devais aussi penser à la Nature Dorée et au Clan Gaecheon.
Combien de temps pourrais-je consacrer à la recherche de la chambre secrète ?
Trois jours tout au plus, bien moins que ce que j’avais prévu. Les informations que je possédais se résumaient à une localisation vague.
Honnêtement, j’envisageais de simplement en parler à la Secte des Mendiants si je ne parvenais pas à la trouver moi-même.
Ou, au minimum, empêcher les groupes comme le Clan Gaecheon — ou d’autres alliés potentiels du culte démoniaque — de mettre la main dessus.
Et si je la trouvais, cette chambre secrète ? Je verrais bien à ce moment-là.
On manque aussi de nourriture.
…Ce n’était évidemment pas parce que Wi Seol-Ah dévorait tout…
Les routes cahoteuses et la pluie de temps à autre ralentissaient la carriole, il nous restait encore pas mal de chemin.
Je passai la tête par la fenêtre et demandai à Muyeon :
« Muyeon, combien de temps encore avant d’arriver ? »
« Au rythme actuel, au moins deux heures, Jeune Maître. »
« À pied, on irait plus vite. »
Je pensai sérieusement à partir seul devant tout le monde, mais j’abandonnai l’idée : je serais épuisé en moins d’une heure, et j’avais un cadeau à remettre au Clan Tang.
« Pff… »
Le sourire de Muyeon disparut soudain. Il tourna brusquement la tête vers l’avant de la carriole, les yeux alertes.
Remarquant son comportement, je lui demandai :
« Qu’est-ce qu’il y a ? »
« Arrêtez. »
Le ton grave de sa voix correspondait à son expression tendue, et tout le monde s’arrêta aussitôt.
Moi aussi, je sentis que quelque chose clochait, alors je me concentrai.
Je perçus une étrange présence, et je ne pus m’empêcher de sourire.
C’était une présence démoniaque.
Je me disais aussi que c’était trop calme ces derniers jours.
« Il n’y en a pas beaucoup. Nous allons les éliminer rapidement. Jeune Maître, restez à l’intérieur pour vous reposer. »
Comme la dernière fois, il me demandait de rester à l’intérieur.
Je ne savais pas ce qui arriverait si je touchais encore une pierre démoniaque, alors je comptais obéir.
Heureusement, ce n’était pas une Porte des Démons.
Cela ressemblait plutôt à des restes.
La présence s’approchait de nous à vive allure. Venaient-ils pour nous attaquer ? Mais quelque chose semblait étrange.
— Shshshsh
D’étranges sons provenant des hautes herbes nous alertèrent de ses mouvements, et Muyeon ainsi que les autres gardes avaient déjà dégainé leurs épées, prêts à abattre tout ce qui approcherait, au moindre signal.
Peu après, quelque chose surgit des hautes herbes et attaqua les gardes.
— Rooaa-schwing !
Muyeon l’avait tranché en deux avant même qu’il ait fini de rugir, et avant que je ne puisse distinguer quel type de démon c’était.
Thump !
La bête abattue s’effondra lourdement. C’était un démon ayant l’apparence d’un ours.
J’avais toujours pensé que le Deuxième Ancien ressemblait à un ours, mais en comparant réellement cette bête à lui, je commençais à revoir mon jugement.
Un ours des forêts vertes.
Tout comme le molosse à cornes vertes, c’était le rang le plus bas de démon pouvant sortir d’une Porte.
« Cette chose… »
Muyeon parla tout en regardant la bête.
« Il y a une autre blessure sur la créature en dehors de celle que je viens de lui infliger. »
« Hm ? »
En vérifiant après ses mots, je remarquai qu’il y avait en effet une autre blessure d’épée, différente de celle faite par Muyeon.
La bête fuyait-elle un autre assaillant ? Malgré leur attirance naturelle pour le Qi ?
Des démons qui fuient les humains, alors que tous leurs instincts leur dictent de massacrer tout ce qu’ils croisent… ?
À ce moment-là, je sentis d’autres présences démoniaques autour de nous. Mais la plupart disparaissaient quelques secondes après leur apparition.
C’était comme si quelqu’un les éliminait derrière nous.
Soudain, une présence fonça droit vers nous. Elle était rapide, et se dirigeait directement sur nous.
Muyeon avait été secoué par ce qu’il avait ressenti, tout comme moi, mais la présence qui approchait le réveilla brusquement, et il adopta immédiatement une posture de combat, tout comme les autres gardes.
La présence traversa les hautes herbes sans la moindre hésitation.
— Roooaaarr !
C’était un autre ours des forêts vertes, et,
Slash !
Un rapide coup d’épée le fit subir le même sort que le premier.
Thump !
Du sang bleu jaillit de l’ours fraîchement abattu, mais Muyeon n’y prêta pas plus attention.
Il fixait plutôt les hautes herbes d’où cet ours venait de surgir, et parla en reprenant une posture tendue :
« Qui est là ? Montrez-vous ! »
Quelques secondes après les paroles de Muyeon, quelqu’un sortit réellement des hautes herbes.
Qui que ce soit, cette personne tenait une épée. Je voulais savoir qui c’était, mais je ne pouvais pas distinguer son visage, recouvert d’un tissu.
Tout ce que je savais, c’était que c’était une femme, à en juger par les formes de son corps.
Elle s’approcha de nous lentement, d’un pas léger.
En la voyant de plus près, mon regard tomba sur ses vêtements.
Des feuilles et de la poussière parsemaient ses habits bleus, montrant qu’elle avait probablement fait un long voyage.
À mesure qu’elle se rapprochait, elle rengaina son épée ; mais Muyeon, lui, gardait toujours son arme pointée vers elle.
Une fois assez proche, la femme retira le tissu qui couvrait son visage pour révéler son identité.
Un des gardes poussa un léger cri de surprise en la voyant.
Elle semblait avoir moins de vingt ans, mais elle paraissait plus âgée que moi.
Ses cheveux bleu clair et sa peau blanche s’accordaient parfaitement.
Son nez fin et ses lèvres laissaient deviner qu’elle était probablement l’une des plus belles femmes de ce monde.
Elle commença à parler en regardant Muyeon :
« Je suis sortie seule, alors je n’ai pas pu tous les éliminer proprement. Je m’en excuse. »
« Seule ? Vous voulez dire que vous avez éliminé toutes ces bêtes toute seule ? »
« J’ai eu pas mal de malchance récemment. Une Porte Démoniaque est apparue juste devant moi, mais certains démons se sont enfuis pendant que j’en tuais d’autres. »
« Ils… se sont enfuis… ? »
« Je ne sais pas si c’est à cause de l’art de mon clan, mais c’est fréquent. »
Pendant que Muyeon parlait avec la jeune femme,
Pour une toute autre raison que celle du garde qui avait haleté, j’étais moi aussi sous le choc en voyant son visage.
Ce n’était pas à cause de sa beauté, non.
Je vis une petite inscription blanche sur son habit bleu.
‘Namgung.’
« Nom de… »
Je faillis jurer en voyant cela.
Seules quelques rares personnes pouvaient se promener avec ce nom inscrit sur leurs vêtements.
Et parmi elles, une seule femme en avait le droit. Mais…
Pourquoi elle est là, bon sang ?
J’essuyai la sueur qui me coulait sur le front avant qu’elle n’inonde mon visage.
Je savais exactement qui elle était.
On ne se connaissait pas dans cette vie, mais c’était différent dans la précédente.
C’était l’une des personnes avec qui je voulais le moins avoir affaire, dans cette vie.
Même avec ma poisse habituelle, comment les choses peuvent-elles toujours tourner aussi mal ?
Je forçai mon cœur à se calmer, lui qui battait à tout rompre.
Ce n’était pas dû à l’excitation ou à l’amour ou quoi que ce soit.
La peur. Ce n’était rien d’autre que la peur.
La femme parla à Muyeon d’une voix raide :
« Je m’appelle Namgung Bi-ah. Vous allez à Sichuan, vous aussi ? »
Je serrai les yeux et les poings après avoir entendu son nom. C’était bien elle.
Et je dus soupirer après avoir entendu ce qui suivit.
« Puis-je vous accompagner ? Je vous paierai en retour. »
« Non, bon sang ! Hors de question ! »
Je défonçai la porte de la calèche d’un coup de pied et courus vers eux en hurlant.
Puis nos regards se croisèrent.
Ses yeux sans expression étaient les mêmes que dans ma vie précédente, ce qui les rendait encore plus effrayants.
L’Épée Démoniaque Namgung Bi-ah.
La femme, folle de l’épée.
La femme, qui avait fini par détruire son propre clan après s’être transformée en Humaine démoniaque.